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angoisse

« Pour moi, IVG = meurtre »

Exit la « droite serre-tête », le combat est aujourd’hui incarné par des militants 2.0 qui pratiquent le guérilla marketing. Ce dimanche, ils marcheront « pour la vie ».
Photo : instagram @MarchePourLaVie

Petite, ses parents l’y emmenaient. Cette fois, c’est elle qui se rendra avec son « bébé » à la Marche pour la vie. Enfin, celui qu’elle appelle déjà comme ça alors qu’il ne s’agit encore que d’un embryon qu’elle porte depuis à peine trois mois : « Si petit soit-il, c'est une vie humaine », martèle Manon, 29 ans, chargée de mécénat dans une association d’aide aux handicapés.

Alors, ce dimanche 21 février, la jeune femme battra le pavé aux côtés des dizaines de milliers d’autres manifestants hostiles à l’avortement. Chaque année, ils sont de plus en plus nombreux à gonfler les rangs de cette Marche pour la vie : alors qu’ils n’étaient que 10 000 il y a 10 ans, ils étaient plus de 50 000 l’année dernière. Parmi eux, beaucoup de jeunes. Dont certains sont nés bien après la loi Veil.

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« Il faut revenir sur la loi Veil » - Manon, 29 ans

Ainsi, quand Manon est née, l’IVG était légalisé depuis déjà treize ans. À l’époque, le combat contre l’avortement est réservé à des groupuscules aux méthodes hardcore, comme l’enchaînement aux portes des centres d’IVG, pour en barrer l’entrée ou le saccage pur et simple des lieux. Mais Manon, élevée dans un foyer catholique, n’en avait pas connaissance, ou de très loin. « Pendant longtemps, je ne réfléchissais pas plus que ça à l’avortement. Simplement, j’ai grandi dans l’idée que l’on n’avorte pas. Point ». À la maison, le débat n’a pas sa place.

Quand la Marche pour la vie est créée en 2005, sous l’impulsion d’associations traditionnelles comme l’Union nationale des familles catholiques, elle participe sans se poser de question à ce qui lui apparaît comme une « fête joyeuse ». C’est en s’installant en collocation que Manon, devenue étudiante, rencontre pour la première fois des gens qui ne pensent pas comme elle – et qu’elle se forge une véritable conviction : « il faut revenir sur la loi Veil ». Mais très vite, elle nuance : « mais il faut aussi apprendre aux femmes à gérer leur fécondité. Avec les moyens de contraception disponibles aujourd’hui, on peut éviter une grossesse ». Un discours qui fleure bon le paternalisme d’antan et qui surprend, venue d’une jeune femme qui porte tous les habits de la modernité, du jean slim à la Stan Smith immaculée.

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« Pour nous, musulmans, ce n’est pas concevable. Ça s’apparente à un meurtre » - Sarrah, 24 ans.

Ali ne la contredira pas. Si ce chef de chantier dans le bâtiment de 31 ans soutient « inconditionnellement » toutes les actions des anti IVG, pas question, pour lui, de se joindre à la marche de dimanche. Il estime ne pas y avoir sa place : « C'est un mouvement catholique et je suis musulman ». Mais très vite, il ajoute : « toutes les religions interdisent l'avortement ». Un argument qui lui suffit. Le regard fuyant, peu habitué à aborder le sujet frontalement car « à la maison c'était un tabou », il se souvient par bribes de ses cours d'éducation coranique. Et détaille avec plus ou moins de précision que « Dieu met l’âme dans l’embryon seulement à partir de quarante jours ». Même point de vue chez Sarrah, ingénieure énergique de 24 ans : « pour nous, musulmans, ce n’est pas concevable. Ça s’apparente à un meurtre ».

La phrase est cash. Les jeunes générations d’aujourd’hui assumeraient-elles plus volontiers leurs convictions que leurs parents à leur âge ? Oui et non. Car aucun de ceux que nous avons rencontrés n’a accepté que soit publié son nom de famille. Avec toujours une même crainte : être trollé sur les réseaux sociaux. Mais un constat s’impose : être anti-IVG ne serait plus une tare. Longtemps, afficher son opposition à l’avortement vous classait automatiquement dans la catégorie « droite serre-tête », cette bourgeoisie coincée fan de Christine Boutin. Alors qu’aujourd’hui, des people bien plus cools ont exactement le même discours – sur le fond, en tout cas.

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« Nous sommes là et un autre, non. » - Mahault, 24 ans

Souvenez-vous du rappeur Colonel Reyel qui, en 2011, chantait en boucle sur Skyrock : « Aurélie n’a que 16 ans et elle attend un enfant/ses amis et ses parents lui conseillent l’avortement/Elle n’est pas d’accord et voit les choses autrement/Elle dit qu’elle se sent prête pour qu’on l’appelle maman ». Véritable star des cours d’école, Colonel Reyel a déringardisé la lutte anti-IVG – et s’est attiré le soutien des militants « pro-vie » (comme ils s’autoproclament). Plus récemment, c’est Maeva Anissa, une chroniqueuse de la chaîne NRJ 12 aux 230 000 abonnés sur Twitter qui a posté un dessin représentant un embryon de deux mois, dans le ventre de sa mère, avec une tête, un corps et des membres bien distincts, accompagné de ce message sans équivoque : « je ne veux pas casser le délire de certaines filles mais, vu comme ça, même à deux mois, ça craint d’avorter ». Et plus généralement, les séries américaines dont nous raffolons culpabilisent les héroïnes qui y ont recours. Ainsi dans Six Feet Under, de jolies têtes blondes viennent hanter les rêves de la jeune femme qui a fait ce choix… Le message ne saurait être plus clair : l’IGV, c’est mal.

Et les jeunes militants anti-avortement ont bien compris l’intérêt de parer des couleurs de la modernité un combat ultra-réac. Notamment en le dissociant de la question religieuse. Ainsi, l’association Les Survivants qui a commencé à faire parler d’elle en 2016. Ils sont un bon millier d’activistes et plus de 10 000 à les suivre sur les réseaux sociaux. Des jeunes entre 20 et 25 ans qui se voient comme des « survivants ». Comprendre : des rescapés des 220 000 avortements pratiqués chaque année.

Là encore, il est question de culpabilité mais elle est, cette fois, endossée par ceux qui sont sur Terre quand « un autre, lui, ne l’est pas », explique Mahault, étudiante de 24 ans et modératrice de la page web des « Survivants ». Elle ajoute : « nous sommes là et un autre, non. Comme si nous étions là « à la place » d’un autre ». Très actifs sur les réseaux sociaux, les Survivants surfent sur toutes les modes. Il faut dire que le fondateur du collectif, Émile Duport, sait y faire : il a monté sa propre agence de communication, Newsoul et cultive une allure de hipster à des années-lumière du militant pro-vie traditionnel. Ainsi, profitant de la popularité du jeu Pokemon Go, ils ont appliqué sur les lieux où l’on pouvait trouver des Pokemons, des pochoirs du célèbre Pikachu assortis du slogan : « et s’il n’était pas né ? ».

Photo : Instagram @lessurvivants

Plus récemment, des affiches montrant le visage Bob Marley barré de la mention « Interruption volontaire de génie » ont beaucoup fait parler d’elle. Lancés à fond dans ce qu’ils appellent eux-mêmes une « guérilla marketing », les Survivants multiplient les actions décalées et résolument cool. Comme cette vidéo devenue virale où l’on voit des militants taguer des murs sur fond de hip-hop. Et ils ont même un signe de ralliement : une main levée déployant tous les doigts sauf l’annulaire – symbole de « cet enfant qui ne verra pas le jour », puisque l’IVG concerne une grossesse sur cinq. Avec ce check, présenté comme un « doigt d’honneur à la société », les Survivants reprennent les codes de la culture « gangsta » issu du rap américain. Et tentent de donner une street credibility à un combat ultra-réactionnaire. Vertigineux.