Mind Records : « Il n'y a rien de plus chiant qu'un collectionneur de disques »

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Mind Records : « Il n'y a rien de plus chiant qu'un collectionneur de disques »

À l'occasion des quatre ans du label parisien, on a tendu le crachoir à son fondateur Abraham Toledano. Sa cible préférée ? Les collectionneurs de disques.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Depuis 2014, Abraham Toledano sort des disques qui reflètent à la fois une époque désormais obsédée par les raretés et l’ultra-spécialisation dont font parfois étalages les amateurs de musiques aujourd’hui. Son label, Mind Records, échappe pourtant à l’écueil « brocanteur du cool », envoyant la sauce avec des sorties qui font la nique au bon goût et placent les curseurs sur la confrontation tous azimuts : du stupre discoïde de Bernadino Femminielli à la post-house fractale et cosmique de Bataille Solaire, des premiers pas d’Umberto aux claques sur les fesses disco de Pelada, jusqu’au club punk de Volition Immanent dernièrement, se dessine un catalogue déjà riche en discordances et en notes d’intention contradictoires – dans le sens où elles sont dans la contradiction, plus qu’elles ne se contredisent elles-mêmes.

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Ses dernières sorties, le split Crave/Lieu Noir et l’acid techno de DRONGA, tout de noir vêtus, ainsi que la noise concassée et technoïsante de Deeat Palace à venir prochainement, traduisent un certain besoin de renouvellement du label ainsi qu’une volonté continue de se faire violence – dans tous les sens du terme. Plus sombres, revêches et atrabilaires que tout ce que Mind a pu sorti jusqu’ici, ces trois disques évitent les effets de mode, avec en ligne de mire cette envie renouvelée d’aller chercher là où « ça sent le cul et la violence », pour reprendre les mots fleuris du taulier.

Car Abraham Toledano est un petit con – dans le bon sens du terme. Considéré par beaucoup comme un indécrottable digger, lui va pourtant être le premier à chier allègrement sur cette étiquette qu’on lui colle et tout ce qu’elle véhicule : les arnaques des prix gonflés pour des rééditions que personne n’écoute vraiment, la monomanie des collectionneurs de disques, ainsi que la manière dont on considère la musique populaire en France font ainsi les frais de ses flèches décochées à la sulfateuse.

Des propos rafraichissants à une époque où tout, dans notre petit microcosme musical auto-centré, semble aujourd’hui être affaire d’échanges de bons procédés, et où tout le monde semble avoir comme hantise ultime de donner simplement son avis, par peur, sans doute, de s’aliéner un potentiel partenaire – sexuel, musical, professionnel, tout ce que vous voulez.

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Noisey : Alors, ils t’ont fait quoi les pauvres petits diggers ?
Abraham Toledano : [Rires] Rien, mais tout le monde m'en parle. Aujourd'hui encore un mec m'a envoyé un message en me disant « Ouais, y'a quelqu'un qui vend une collection de disques de library music, est-ce que ça t'intéresse ? » Bah non, je m'en bats les couilles. J'en ai rien à foutre de tous ces trucs-là.

C'est quoi qui te dérange ?
Le côté complètement con et hyper fermé. C'est censé être un qualificatif positif, tout le monde voit les diggers comme des personnes hyper pointues, des collectionneurs. Moi, je trouve qu'il n'y a rien de plus chiant. Je n'ai jamais été dans la collection. J'aime juste la musique, je suis curieux de différents styles. Les diggers, là, ils vont tous collectionner la même chose. Les B.O italiennes, les illustrations sonores, les trucs antillais. D'ailleurs depuis trois ans tout le monde nous fait chier avec les trucs antillais, alors que les 3/4 des albums, c'est tout pourri. De temps en temps il y a un bon morceau, mais le reste c'est inaudible. Ça vaut des fortunes en plus, et au bout du compte tu te retrouves avec des kids qui débarquent parce que c'est la mode du vinyle. Ils mettent des fortunes là-dedans et les prix ça devient n'importe quoi. Moi je m'en fous, j'ai juste envie d'écouter de la musique. Du punk, d'autres trucs. Pas toujours la même chose.

C'est le côté obsessionnel qui te défrise, donc ?
C'est surtout l'effet de mode. Tu te retrouves avec des gens qui n'ont aucune culture musicale mais qui te parlent de digging. Les mecs vont être super spécialisés dans un style, qui parfois est super relou en plus. Alors bien sûr il y a des trucs mortels qui vont en ressortir, mais dans l'ensemble, ça n'a aucun intérêt. C'est super que tu me parles de ton truc hyper underground, mais si tu ne sais pas ce que c'est Michael Jackson ou ce que c'est que la soul, on s'en fout en fait.

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Tu n’as pas l'impression que c'est un effet qui se multiplie depuis quelques années ? Avec les labels de rééditions, notamment.
Bah ouais, tout le monde monte son label de rééditions, aujourd'hui. Après il y a des trucs hyper intéressants dans les rééditions. Mais il y a souvent des choses pas incroyables qui ressortent et qui sont montées en épingle et ultra surestimées. Justement il y a cette mode d'aller chercher les trucs les plus obscurs. Mais bon, parfois les trucs les plus obscurs ne sont pas obscurs pour rien. Ils sont obscurs parce que personne n'en voulait. Bon, il n'y a pas de règle générale là-dedans, mais il y a certaines choses qui auraient mieux fait de rester là où elles étaient.

Tu penses à quoi ?
Je vais balancer personne. [Rires] Après il y a aussi des trucs super, mais au bout d'un moment t'en as ras-le-bol. La musique ambient par exemple. J'adore ça, mais je ne pourrais pas écouter que du Music From Memory, parce qu'au bout d'un moment t'as besoin d'avoir quelque chose d'un peu excitant. T'as besoin de te défouler. Je comprends pas moi, cette mode d'écouter de l'ambient, ou d'écouter des trucs genre jazz smooth chanté. Alors oui, c'est des bons disques, y'a pas de problème. Pris séparément, tout est cool. Mais cette espèce de mode de n'écouter que ça, c'est juste complètement bidon.

Et c'est quoi pour toi, la porte de sortie ?
Je sais pas, quelque chose d’excitant, qui sent le cul, la baise, la violence. Tu ne peux pas juste toujours écouter des trucs gentils, avec des gens gentils. Je ne supporte pas cette fausse bonne humeur, genre on écoute tous de la musique, on est tous potes, on partage tout, c'est plein d'amour. J'ai jamais trop été là-dedans, perso.

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J'en parlais avec Regis quand je l'avais interviewé. Il me disait qu'il ne supportait pas cette idée de la soi-disant communauté de la dance music.
Mais ouais. C'est super fatigant. Surtout, tu te retrouves avec des gens qui au bout du compte n'ont pas vraiment de personnalité, qui se perdent un peu là-dedans, qui se cherchent juste une identité. « Bon bah voilà, je me suis trouvé un truc. Avant je me faisais chier, je ne sais pas trop ce que je faisais, mais en tout cas j'avais du temps à perdre. Je me suis foutu là-dedans, et maintenant ma vie c'est ça. » C'est pas possible, tu ne peux pas vivre ta vie par rapport à tes disques.

C'est la geekerie ultime, ça.
Ouais, mais le côté geek ça peut être cool quand tu fais autre chose ou quand t'essaies de devenir quelqu'un. Mais juste te complaire là-dedans avec tes quinze potes qui font la même chose que toi, ne jamais évoluer… Ça ne sert à rien.

Tu n’as pas l'impression que depuis Internet, c'est comme si on était condamné à ça ? Comme si, dès qu'il y a une brèche, on se sentait obligé de s'engouffrer dedans ?
Oui, bah c'est ça qui est con en fait. Après ça arrive sûrement aussi dans d'autres pays, mais je pense que c'est un truc très français. Il y a vraiment ce manque de curiosité par rapport à ce qu'il se passe à côté. Aux États-Unis tu vas avoir des mecs avec des vraies dégaines de punks, mais qui ne vont avoir aucun problème à écouter de la disco. Ou du funk. Au Canada quand j'y vivais c'était la même chose. Ça m'a beaucoup changé quand j'ai rencontré Bernardino Femminielli et toute la bande. Je me retrouvais avec des mecs un peu freaks, mais en même temps hyper ouverts. Ils écoutent de la très belle chanson française, mais aussi de la noise de taré. Il n'y a pas de règle. Juste : c'est bien ou c'est pas bien. Et ça, c'est important.

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Tu penses que c'est une des raisons qui fait que la scène musicale y est meilleure qu'à Paris ?
Je pense que c'est lié, ouais. Les bases ne sont pas les mêmes. En France, il y a plein de choses, mais les gens ne les ont pas forcément en leur possession. Qui écoute Gérard Manset chez ses parents à dix ans ? Qui va écouter de l'électroacoustique ? Mais tout ça, ce n’est pas de la musique populaire. La musique populaire en France, à l'époque, elle était un peu pourrie. Et là-bas, non. Ils avaient la musique américaine : quand t'as grandi en écoutant, au hasard, les Supremes, tu n'as pas du tout la même curiosité. Eux ont une sorte d'acceptation des superstars que nous n’avons pas.

Du coup, ça marche un peu dans les deux sens, non ? Ces labels de rééditions, ces obsessions, ça n’aide pas justement à réhabiliter des oublis qui auraient dû être essentiels ? Par exemple, avec les rééditions des B.O de Jean Rollin, on se rend compte qu'il y a eu des choses incroyables en France, aussi.
C'est clair, on est en train de s'en rendre compte maintenant, mais c'est drôle que ce ne soit pas des Français qui s'en chargent. Ça a toujours été des Japonais, à fond dans la musique française, ou des Anglais. C'est Finders Keepers, non, les rééditions des B.O de Jean Rollin ?

Oui. Mais il y a un label messin aussi sur le coup, Specific Bis, qui commence à éditer des bandes-sons de cinéma de genre.
C'est cool. Mais sinon les Japonais font ça depuis hyper longtemps, depuis la fin des années 70. C'est eux qui ont réédité toutes les B.O françaises. Et même à l'époque il y avait des pressages français. Mais c'est cool, je n'ai pas de problème avec ça. Pourvu que ça ouvre à un maximum de personnes, et que les gens commencent à écouter autre chose. D'ailleurs c'est déjà le cas, comme tu le dis. Tu t'en rends compte quand tu sors, quand tu vas dans des concerts. Le seul truc, c'est que les diggers diggers, ça reste une niche et honnêtement moi ça me fatigue un petit peu. Il y a une sorte de combat de qui va trouver la réf' la plus obscure, et de qui va racheter le stock pour le revendre à des prix incroyables. Et au bout du compte quand tu leur parles d'autre chose, ils s'en foutent, jusqu'à ce que la mode arrive.

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Toi aussi tu vas aller chercher la perle rare, quand même, et la donner à un public, disons « jeune et branché ».
Je ne sais pas si je la cherche vraiment. En fait je brasse beaucoup et, de temps en temps, il y a des trucs qui tombent. Ça a commencé avec les Canadiens, et c'était facile au début. Via Bernadino j'ai connu Bataille Solaire, puis Jesse Osborne-Lanthier… Tout tournait comme ça. Là je commence à peine à avoir des artistes français, et c'est cool.

C'est bon signe surtout, non ?
Oui, c'est très bon signe. Et puis je vais commencer à pouvoir faire plus de soirées et plus de choses en Europe, parce que c'était compliqué de n'avoir que des artistes canadiens ou australiens.

Quand tu as commencé Mind Records, tu avais quand même une base musique électronique au sens large ?
Non, il s'est juste trouvé que mes deux premières sorties étaient dans cette veine-là.

Il n'y avait donc pas spécialement de ligne directrice au départ ?
Non. J'en avais juste ras-le-cul du garage, de toute cette scène-là. Mais maintenant peut-être que j'ai envie de revenir vers quelque chose de plus punk. J'ai envie de sortir de la musique de groupes. Pas de la musique d'un geek derrière son ordinateur, qui va sans doute faire ça très bien mais qui n'aura aucune personnalité. Cette espèce de musique électronique à la chaine, j'en peux plus.

À la base je viens quand même d'un truc 60's, je collectionnais les disques de rock et de psyché garage. Mais j'en ai eu marre, de tous ces mecs du rockabilly avec leur gomina. Au début ils se foutaient de ma gueule en disant que j'étais pas un vrai rocker. Bah ouais, mais un vrai rocker c'est souvent un bon gros beauf.

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Tu as toujours vécu à Paris ?
Ouais, à la base je viens de Puteaux. J'y ai vécu jusqu'à mes 20 ans puis j'ai bougé sur Paris et très rapidement au Canada dont je me suis fait exclure pour rien. En revenant j'étais sans logement et complètement fauché, je vivais dans le garage de Fredovitch avec les voitures comme réveil.

T'étais quand même un peu dans un délire de collectionneur à l'époque, donc ?
Ouais, et d'ailleurs je galérais pas mal, surtout en revenant du Canada. Je me souviens, j'allais voir Michallon du bar Ne Nous Fâchons Pas à Pigalle, je lui sortais quelques 45 tours de 60's français hyper rares et je repartais avec 1000 balles en cash. Ça a duré un moment jusqu'à ce qu'il ne se fasse casser la gueule par un skin qui l'avait accusé de gonfler les notes des clients pour se payer mes disques.

L'exemple auquel on pense tout de suite quand tu parles de ce genre de mecs, c'est JB de Born Bad. Mais lui s'en est détaché, justement.
Ouais, c'est une des exceptions. Et le pauvre, il est en train de se faire cracher dessus par tous les « vrais anciens », qui disent que c’est un vendu. Mais ça rime à quoi de rester un rockeur toute sa vie ? D'être un gros beauf avec du mobilier 50's chez toi ? Fréquenter le même cercle et baiser les quatre même meufs que tout le monde s'est déjà tapé ? Ces gens-là ils se cherchaient une vie, ils l’ont trouvée, ils sont dedans, tant mieux pour eux, mais moi ça ne m’intéresse pas du tout. D'ailleurs rien à voir mais à JB aussi je lui vendais assez souvent des disques, il y en a même un qui a fini sur les compiles Wizz.

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Tu es quand même vachement attaché au format avec ton label. Les pochettes sérigraphiées, les doubles formats, les tirages hyper limités…
Ouais, mais bon je ne fais pas de musique, le seul moment où je peux intervenir, c'est sur les pochettes. Et je voulais aussi pas trop me faire chier avec les grosses quantités, parce que je n'ai pas de gros distributeur officiel qui peut tout écouler en deux secondes. Si j'étais chez Boomkat, oui bien sûr je ferais trois fois les quantités que je fais aujourd'hui. Mais bon ce n’est pas le cas. Et tout faire à la main c'est le seul truc auquel je peux contribuer. Donc ça me fait plaisir. J'ai toujours voulu faire de l'objet. Donc ouais, peut-être que je fais des trucs pour les diggers sans être un digger.

No-Go Zones, le duo de DJs que tu formes avec Low Jack, ça fait quand même vachement délire de diggers sur le papier. On vous imagine écumer les disquaires tous les deux…
[Rires] Non, il n'y a pas de ligne directrice, on voulait juste commencer une émission de radio, et Phil avait trouvé le nom, on commençait à passer des trucs, et ça me faisait de plus en plus chier, j'avais pas envie de trucs electro évidents, donc j'ai commencé à passer des trucs de punk. Et Phil vient du metal, il jouait dans un groupe de metal à la base.

Ah.
Eh ouais. J'ai toujours pas retrouvé le nom du groupe, mais je connais des gens qui ont des bails là-dessus. Bref. Du coup moi je commençais à mettre du punk, lui commençait à mettre du metal. J'étais à fond dans le gangsta rap, ou tous les trucs de Memphis. Du coup c'est parti comme c'est parti, et maintenant c'est à peu près l'esprit de la chose, bête, méchante, un peu sans pitié et on s'en fout si c'est cohérent ou pas. Justement un peu anti mix bien fait [Rires].

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Justement j'écoutais votre dernier mix sur LYL Radio ce matin, tu disais dessus que même Rinse n'avait pas voulu de vous.
Ouais parce qu'à la base on avait une émission chez eux, et ils faisaient la gueule à chaque fois qu'on jouait. L'ambiance n’était pas au top, on voyait que ça les emmerdait. Un truc pas calé, ça ne passait pas trop. Un truc qui saturait, ça ne passait pas trop non plus. Il y avait le stagiaire qui venait tout le temps pour nous dire de baisser.

Ça rejoint pas un peu ce qu'on dit depuis tout à l'heure? Ce qu'on devrait attendre du résultat, quelque chose d’hyper léché, bien calé, aux petits oignons… Une idée plus générale d'uniformisation en fait.
Ouais, moi ça me fatigue.

Quand tu vois ce que l'Atonal est devenu, hyper codifié, où tout le monde est en noir, dès qu'il y a un pet de travers tu te demandes ce qu'il se passe. Ça ne laisse pas beaucoup de place pour l'originalité, tout ça, non ?
Ouais, mais ça c'est avec les gens chiants. En tout cas nous on voulait vraiment aller à l'encontre de ce truc-là. Et puis Phil est aussi dans la connerie comme moi, donc je pense que ça se rejoint, ouais. Et puis les gens avec qui on traine ont pas mal de second degré.

C'est quelque chose de bien français, ça aussi, le second degré.
Ouais, mais c'est souvent mauvais en France. En tout cas en musique. La musique-blague, je ne suis pas sûr.

Pas forcément de manière frontale, mais dans les titres, les petits pas de côté, les choses comme ça.
Mouais. C'est souvent un peu pourri quand même. Très rapidement.

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Tu penses à des trucs ? Encore une fois t'es pas obligé de filer des noms. Mais quand même un peu.
Ah mais si là j'ai un exemple parfait de tout ce que je déteste. Infecticide ! On fait du post punk, ou en tout cas on s'en rapproche, mais on va tout tourner à la dérision parce qu'on est complètement des déglingos ! Mais surtout parce qu'on n'assume pas ce qu'on fait. En France il y a un peu ce problème-là de pas assumer de faire les choses. Et puis les clips pourris de Infecticide, avec leurs casques de Lego de merde, c'est juste pas possible.

C'est plutôt un truc de distanciation.
Oui, clairement. Mais je sais pas, prends des risques à un moment, fais les choses à fond. Au lieu de tout tourner à la blague, ou de tout tourner à un truc sympa. Ça c'est vraiment le risque 0. Et puis on n'a pas envie que les groupes actuels sonnent comme les Charlots.

Les Charlots de bon ton, en plus. Au moins eux y allaient à fond.
Oui, c'était juste un exemple comme ça. Mais c'est la même chose que Jacques, pour moi. Jacques et Infecticide, c'est pareil. Je préfère limite Jacques.

Ah nan lui c’est le pire.
Mais il a fait le bon choix, il arrête la musique apparemment. Infecticide, eux ils continuent. Ils font clips sur clips sur clips. Et à chaque fois tout le monde trouve ça sympa et cool, et toi t'as envie de leur dire « putain mais arrêtez, les mecs ». T'as l'impression que les gens qui veulent ça n'ont pas de culture, ne veulent pas prendre de risques, ne sont pas curieux. Ces gens-là vont pas essayer d'écouter des trucs sur PAN, ou d'autres labels. Ils s'en foutent. On leur a mis le truc pré-mâché, sympathique dans la bouche et ça leur suffit.

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Le problème c'est pas aussi la manière dont on leur met le truc entre les mains ? C'est créé, vendu comme ça, c'est normal que ça soit reçu comme ça ensuite, non ?
Je pense qu'il y a assez de médias et de communication sur tout pour que les gens curieux arrivent à y trouver leur compte. C'est juste que les gens ne sont pas spécialement curieux. Ils attendent que quelque chose devienne un peu gros, ou une approbation des médias qu'il faut…

…le tampon, quoi.
C'est ça, l'espèce de tampon qui dit : « C'est bon, maintenant vous pouvez tous commencer à écouter Frustration. C'est bon, vous pouvez tous commencer à écouter Jessica93 ». Je n'ai rien contre eux, c'est pas du tout le souci, mais c'est juste le premier exemple qui me vient en tête qui dise aux gens : « allez-y. »

Tu ne penses pas que c'est un problème français plus large, ça ? Qui dit quelque chose sur la manière dont on appréhende la musique culturellement en France, où elle est considérée avant tout comme un divertissement ? Et la presse dont tu parles agit par conséquence comme un guide culturel, exactement comme si on parlait de bons plans lifestyle du moment ?
C'est clairement lié à ça. Tu as raison, en France, on voit la musique avant tout comme un divertissement. Les gens ne vont pas spécialement dans les concerts pour la musique. Ils vont dans les concerts parce qu'ils ont envie de boire des coups, d'aller voir leurs potes. Quand t'as des trucs qui jouent régulièrement, les gens les ont vus quinze fois, c'est les mêmes groupes, tu les connais, et ils y retournent. Ils veulent encore aller voir le même concert, et le même concert, et le même concert. Au bout du compte ils en ont rien à foutre du live, ils vont juste parce qu'ils savent qu'il y a tel mec ou telle meuf qu'ils ont envie de choper. Tel groupe de potes, qu'ils vont pouvoir se la coller, faire la fête. C'est cool aussi, hein.

Ça c'est un peu autre chose, c'est la musique comme outil de socialisation, ça existe un peu partout, non ?
Oui mais quand il n'y a que ça c'est un peu chiant, il n'y a plus ce rapport de découverte, de curiosité qui peut exister ailleurs. Moi quand j'ai vu un groupe deux fois de suite, à moins que ce soit vraiment excellent, j'ai envie de passer à autre chose.

Il y a des groupes qui se renouvellent continuellement et que t'as envie de suivre.
Ouais, mais bon c'est rare. T'as des trucs à Paris qui tournent tout le temps, tout le temps, tout le temps.

Il y a une époque où Yussuf Jerusalem faisait la première partie de tous les groupes possibles et imaginables.
Ouais, La Secte du Futur aussi. Et il y avait toujours ce groupe de meufs un peu mignonnes, de mecs un peu lookés. Et les gens y allaient pour la fête quoi. Mais bon t'as raison, c'est un peu partout pareil. Y'a une grosse bande de potes, qui sont un peu lookés, qui se la mettent, et ça attire d'autres gens qui se greffent autour de ça.

C'est comme ça que se créent les scènes, aussi.
Oui, et c'est cool. Mais pour la scène musicale française, je ne sais pas trop. Mais là, ça va mieux quand même.

Oui, depuis quelques années. Tu penses qu'il y a une exigence qui a augmenté aussi ? Les gens sont beaucoup plus ouverts à des musiques, disons pas faciles qu'avant ?
Je pense qu'il y a un effet de mode. Beaucoup. Mais tant mieux, aussi.

Parce que tu y participes.
Ah mais clairement, et je n'ai aucun problème avec ça. Moi, ça me va. Les concerts où il n'y avait personne sont désormais blindés ou sold out. Je ne crache pas dans la soupe. C'est très bien ce qui se passe en ce moment, franchement. Il y a du monde dans des concerts trop biens, on ne va pas commencer à faire les snobs. Si quelqu'un qui n'a jamais écouté de musique industrielle se retrouve dans un concert de musique industrielle et qu’il a envie de s'habiller tout en noir pour aller acheter des cassettes, tant mieux, qu'il le fasse. C'est cool, je ne vais pas aller lui dire que j'étais là avant lui, parce que franchement on s'en branle.

Là ce serait une attitude de digger.
Ouais ! [Rires]

La soirée anniversaire de Mind Records aura lieu au Gibus à Paris ce jeudi 1er février, avec Volition Immanent, Crave, Deeat Palace, et No-Go Zones DJs. Vous pouvez gagner des places ici.

Le disque de Dronga est disponible ici. Celui de Crave/Lieu Noir est disponible ici.