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Culture

Ils racontent le Red Star en BD

Pendant plusieurs mois, Gilles Rochier, auteur de bande dessinée, et Pierrick de Morel, journaliste, se sont plongés dans l’univers de Bauer. Interview croisée.

VICE et le Red Star se sont associés pour vous faire vivre de l’intérieur la saison des Vert et Blanc de Saint-Ouen. Nous serons présents sur les terrains et dans les vestiaires, auprès des joueurs, du staff, des supporters et de tous ceux qui gravitent autour de ce club historique du foot français. Aujourd'hui, on discute avec les auteurs d'une BD sur le club audonien dans le dernier numéro estival de La Revue dessinée.

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VICE : Quelle histoire personnelle entretenez-vous avec le Red Star ?
Pierrick de Morel : Je l’assume complètement : je suis un ancien abonné du Parc des Princes. Mais dans le football, je prête autant attention au résultat, qu’à l’ambiance. Or, suite au plan Leproux en 2010, le Parc est devenu horrible : augmentation des tarifs, placement aléatoire… Ce n’était plus pour moi. J’ai découvert le Red Star par hasard, en 2012. J’ai pris la ligne 4 du métro et je suis allé à Bauer. Je m’en souviens encore, c’était face au CA Bastia. Bien sur, le niveau National heurte un peu au début, mais l’ambiance était dingue ! J’y suis revenu souvent. Alors, quand j’ai déménagé à Saint-Ouen en 2013 (pour des raisons complètement indépendantes !), je me suis abonné.

Gilles Rochier : J’en connaissais l’existence, mais je n’étais pas supporter. En réalité, le Red Star est arrivé à moi quand La Revue dessinée m’a proposé le sujet. J’en ai discuté avec mon entourage et mon père m’a parlé de ses souvenirs du club. Cela m’a rapproché de l’identité du Red Star. J’aime le football : ce sport a toujours fait partie de ma vie. Alors, ça tombait bien, ce sujet sur le Red Star.

Comment vous est venue l’idée de faire un article sur le Red Star ?
P. M : J’ai tenu pendant deux ans un blog sur le club [Red Star Actus, ndlr]. J’étais journaliste pigiste donc j’avais un peu de temps. Mon site tournait un peu, mais ça restait intimiste alors que moi, j’imaginais un projet avec plus d’envergure. Je voulais une forme de création originale et La Revue dessinée m’a inspiré. Je les ai contactés pour leur proposer le sujet. J’ai eu le temps d’affiner mon angle pendant qu’ils recherchaient un dessinateur, car ce sont eux qui ont la main là-dessus. Je ne voulais pas faire un article purement sportif. Tu ne racontes pas 120 ans de sport en une BD ! Un jour, ils m’ont dit qu’ils avaient un dessinateur, Gilles Rochier, et on s’est rencontré. J’aurais pu dire non, mais bon.

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G.R : Tu aurais dû dire non, ça m’aurait sauvé la mise !

P. M : C’est vrai, tu aurais moins souffert ! Ce qui est marrant, c’est que, ne le prend pas mal Gilles, mais on n’est pas de la même génération. Pourtant, on a les mêmes références.

G. R : Avec le foot, tu vois immédiatement à qui tu as affaire ! Deux-trois références ou souvenirs et ça fonctionne .

Combien de temps ça prend de faire une BD de 26 planches ?
P. M : Très longtemps : le sujet a été vendu à l’automne 2014 et il a été publié en juin 2017. D’abord, il faut pitcher les 26 pages pour qu’elles soient validées. Après, Gilles a pu commencer à dessiner. En plus, j’ai été très occupé à l’été 2016 avec l’Euro et les Jeux olympiques et on ne s’est pas vu pendant trois mois.

G. R : Six mois… P. M : Enfin, très longtemps. Et à partir de l’automne 2016, on a envoyé du lourd.

G. R : La BD était bien écrite en plus. On avait décidé de faire une ligne du temps.

P. M : Oui, il y avait quelques renvois dans le passé car Gilles nous mettait en scène tous les deux, mais globalement c’était assez linéaire.

Comment s’adapte-t-on au travail en binôme ? Qui plus est avec quelqu’un qui ne fait pas le même métier ?
P. M: C’est très compliqué. Quand on fait du journalisme en ligne, on peut reprendre une erreur. Sur une BD, si j’appelle Gilles pour lui dire que j’ai oublié un truc important, alors qu’il a déjà fait ses crayonnés et ses bulles…

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G. R : C’est technique. Si l’espace est prévu pour un texte de neuf lignes, et qu’au final il en fait douze…

P. M : On était constamment en contact pour réécrire certains passages, même pendant les repas de famille. Il y a des moments où ma copine a maudit Gilles ! Le plus fastidieux, c’est quand il a fallu faire rentrer la dernière version des textes dans tes dessins.

G. R : Certains lecteurs arrivent à regarder les images, mais pas à lire en même temps. Le texte doit être très éclairé à l’intérieur du dessin, sinon ça ne fonctionne pas.

Au cours de la réalisation du sujet, vous avez rencontré Vincent Chutet-Mezence, le président du collectif Red Star Bauer. Comment ça s’est passé ?
P.M : Je le connaissais un peu car Bauer est un petit monde, tu vois toujours les mêmes têtes. Je l’avais déjà interviewé pour mon blog quand je travaillais sur le personnage de Rino della Negra. Vincent, c’est un peu le gardien de la mémoire du club

G. R : C’est quelqu’un d’érudit. Et il capte toutes les émotions de notre époque.

P.M : On n’aurait pas pu faire l’histoire sans lui. C’est un personnage important dans l’histoire du club. Je ne sais pas quels sont ses rapports avec les dirigeants, mais ils peuvent difficilement dealer sans le collectif. Il pense à ce qui va se passer si le club remonte en L2.

Qu’est-ce que vous avez appris du club en travaillant sur cette BD ?
G. R : L’idée du Red Star comme un club antifasciste. Dans une petite couronne qui est vérolée par les idées dégueulasses du FN, tu m’expliques qu’il y a un club de foot à l’ancienne. Je kiffe l’idée, mais au départ j’y crois pas une seconde. Une scène m’a beaucoup marqué. On était dans le bus, à l’occasion d’un déplacement et un supporter se met à siffler, assez lourdement, trois meufs qui passent. Tout le monde les a regardés, en disant « Pas de ça ici ! ». C’est un détail, mais…

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P. M : C’est beaucoup plus qu’un détail.

G. R : Les minots de 14-15 ans qui voient ça, ils se disent : « Ok ça, ça ne se fait pas ». Je ne suis pas sûr qu’ils l’apprennent à l’école ou chez eux.

P. M : À Bauer, c’est simple, si quelqu’un qui lance des trucs homophobes, on le sort. On ne crie pas « Arbitre enculé ! » , on dit « Flic, arbitre ou militaire, qu'est ce qu'on ferait pas pour un salaire ? ». Il n’y a pas de slogans racistes ou homophobes. Je suis pour la défense des ultras, mais il y a encore du racisme dans les tribunes en France. Et à Bauer, il n’y en n’a pas.

G. R: Rien que cette tradition de mettre des fleurs sur la plaque de Rino della Negra chaque année, moi, ça me parle.

P. M : Il y a un aspect qu’on n’a pas traité dans la BD sur les supporters à Bauer : certains sont des vrais militants qui participent aux manifs antifas, par exemple. Mais, même pendant les campagnes municipales ou présidentielles, je n’ai jamais vu de tracts dans les tribunes. À Bauer, ça s’exprime par des chants, pas par la propagande.

Le Red Star pourrait-il monter en Ligue 1 et conserver ses valeurs ?
P.M : C’est le nœud du problème. Quand on monte en Ligue 1, on est obligé de renoncer à une part de ses idéaux.. Sur ton maillot, tu as Fly Emirates ! J’ai du mal à l’imaginer.

G. R : Et pourquoi avoir peur de monter en L1 ? Ils iraient jouer contre Marseille, contre Lyon. Faut leur laisser ce truc-là.

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P.M : Bien sur, les supporters veulent voir le club gagner. Mais la vraie question, c’est : si on monte, pourquoi ne pas trouver un modèle économique qui ne passe pas par le gros sponsor qui tâche, le méga stade et les places qui coûtent deux fois plus cher ? Aujourd’hui, tout le monde construit le même stade. On le voit à Lyon ou Nice. Tu vois comment est le Parc des Princes aujourd’hui, ils organisent des escape game !

G. R : C’est Disneyland, tu peux faire du skate… Mais quand je vais au Parc des Princes, je sais à quoi m’attendre.

P. M : Et bien, à Bauer aussi. C’est en ça que le Red Star est particulier. Car à un moment, il va poser la question du modèle économique et sociétal du club.

Qu’avez-vous pensé du fait que le Red Star a quitté Beauvais pour Bauer en L2 ?
P.M : J’ai fait quelques déplacements, et c’est le pire que j’ai vu du Red Star. Les historiques ne venaient pas, par respect pour Bauer. Le club essayait de remplir le stade avec les Picards du coin, il y avait des opé marketing au Leclerc de Beauvais, et même des pom-pom girls pour remplir les tribunes… Le match, les joueurs veulent le jouer chez eux, à Saint-Ouen.

G. R : À Bauer, il y a encore beaucoup de vieux. C’est familial. Et il y a également des rendez-vous qui ne se font pas au stade. Les parents qui mettent leurs gamins au stade le mercredi par exemple.

P. M : C’est l’image qu’on a quand tu habites à Saint-Ouen : les gamins en survet’ du club.

Le numéro de La Revue dessinée est dispo ici.