ne pas quitter facebook
Illustration : Pierre Thyss 

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Life

Non, je ne vais pas quitter Facebook

« Et tes données personnelles alors ? » Laissez-moi.
Paul Douard
Paris, FR

Dans toute relation, il y a un moment où se dire au revoir est inévitable. Un dimanche de trop chez vos beaux-parents, une énième vaisselle oubliée ou encore une trahison incarnée par une personne plus jeune et plus cool sont autant de raisons de tirer un trait sur le passé. Depuis quelques jours, le monde des think tank, comme celui des influenceurs qu’on invite aux soirées de lancement de baskets, souhaite mettre un terme à sa relation avec Facebook. La raison ? Le réseau social aurait vendu les données personnelles de 87 millions de personnes à un cabinet d’opinion nommé Cambridge Analytica. De fait, c’est toute une communauté d’entrepreneurs qui se sent abusée par son père spirituel, Mark Zuckerberg. N’ayant comme seule arme leur iPhone X 512Go, ils n’ont d’autres choix que de brandir des #DeleteFacebook sur tous les autres réseaux sociaux, accompagnés d’articles solennels – et plutôt chiants - dans lesquels ils dévoilent les raisons de ce départ. Cet exode digital me laisse coi. Personnellement, je n’ai aucune envie de quitter Facebook. Désolé.

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Je sais, le réseau social vend nos données personnelles au plus offrant – ce qui, je l’admets, n’est pas sensationnel pour notre vie privée. Mais… et alors ? Savoir que Facebook sous-loue ma passion pour les chats et Charles Bukowski, ainsi que mes discussions privées délirantes – qui ne sont qu’une suite infinie de « Yo, ça va ? » et de « Elle t’a parlé de moi ? » – est une goutte d’eau lâchée dans l’océan d’angoisse que représente la vie d’un jeune Français en 2018. Certains accros aux threads Twitter, proches de l’agonie après ces quelques lignes, seraient tentés de me répondre « C’est ta vie privée ! » ou encore « Le jour où l’on sera en dictature, tu feras comment ? » Lorsque ce jour viendra, je regarderai le monde brûler devant moi avec un certain soulagement. D’ici là, j’ai des factures à payer, un livre à terminer et un rendez-vous chez le dentiste. Je ne peux pas m'offrir le luxe de glorifier mon départ d’un site internet : ce n’est pas ma priorité. Et puis, cette histoire de données personnelles vendues à des sociétés privées avait déjà été soulevée par Le Monde en… 2007. Donc soit ces gens sont trop bêtes pour n’avoir rien vu venir, soit ils sont complices.

Si, un jour, je devais toutefois mettre un terme à cette relation avec le réseau, ce sera donc pour de vraies raisons – comme ne plus jamais voir de vidéos virales en 144p, d’évènements infernaux « After soirée techno sur une péniche de 8 heures du mat’à 16 heures » et de photos de profils aux couleurs d’un pays pour lui rendre hommage. Mais j'y réfléchirais à deux fois. Grâce à Facebook, j’ai oublié MySpace et j’ai découvert des tas de groupes de musiques que je likais simplement pour qu’une fille me trouve cool. Grâce à Facebook, je peux contempler la misérable vie d’anciens camarades de collège qui, à l’époque, me crachaient derrière la nuque à cause de mes fringues, trop grandes et héritées de mes frères. Les voir flotter maladroitement dans leur pantalon trois quarts beiges, et tenir la tour de Pise avec leurs deux mains, provoque chez moi une certaine jouissance. Il m’arrive même de me dire qu’il y a une justice, en ce monde. Et puis, pour être franc, je suis ravi d’être ciblé par la publicité. De fait, je dispose de tonnes de nouvelles idées d’achat chaque jour qui correspondent à mes goûts. Techniquement, on me mâche le travail et cela me convient. Heureusement, je dispose encore d’un cerveau qui me permet de choisir entre acheter ou non. Et puis soyons honnêtes. Sans Facebook, cet article ne serait lu que par mes parents et moi.

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Non, je ne souhaite pas quitter Facebook. Mais je reste humain et parfois je doute. Face à cet exode massif motivé par des raisons éthiques et morales, je m’interroge : devrais-je quitter la France, puisqu'on y prépare une réforme de la SNCF ? Devrais-je démissionner de mon travail, puisqu'on compte encore 2,5 millions de personnes sans emploi ? Suis-je un lâche ? Je ne sais plus. Pour me rassurer, j’ai tapé dans Google « J’ai décidé de quitter Facebook ». Ainsi, j’ai pu obtenir une image assez précise de la bêtise humaine au XXIe siècle. En scrollant dans mon moteur de recherche, j'ai fait un constat terrifiant : quitter Facebook nécessite au minimum 1500 mots dans un post Medium pour en expliquer les raisons.

Mais ce qui m’attristait ne résidait pas dans la fuite de tous ces êtres en quête de sens – ça, je m’en fous – mais dans ce que cela implique. La notion de courage semble aujourd’hui se loger dans le fait de se désinscrire d’un réseau social - ça donne une idée de l’état de notre civilisation. Pire : cette simple tâche semble vouée à l'échec. Tout le monde est sur Facebook – et à ma connaissance, personne ne veut se rendre à une soirée où trois personnes se regardent dans le blanc des yeux autour d’une table basse Conforama. C’est sans doute pour cela que tous ceux qui ont quitté Facebook reviennent toujours en rampant. Mais Facebook n'oublie rien. Surtout pas ceux qui l'ont plaqué six mois auparavant par peur de l'engagement, et en balançant des « j'ai besoin d'avoir mon jardin secret ».

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