Ultra droite change son image
©Stefan Boness/SIPA

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Culture

L'ultra droite s'habille pour l'hiver

Cela fait quelques années désormais que les groupuscules d’ultra droite tentent de se dissocier du cliché du violent d’extrême droite, crâne rasé et blouson en cuir, grâce à l'esthétique.

La présidente du tribunal fouille dans son épais dossier. Face à elle, six militants de l’ultra droite sont jugés ce 9 janvier pour des violences lors d’une manifestation des « gilets jaunes ». À la barre se tient Xavier Maire, un des responsables du Bastion social à Strasbourg, ce mouvement d’extrême droite né du GUD en 2017 dont plusieurs membres ont été inculpés pour violences. Lors de la perquisition de son domicile, les enquêteurs ont retrouvé plusieurs documents dont la charte du Bastion. La juge quitte le classeur des yeux et pose les docs sur le jeune homme. « C’est marqué que le militant du Bastion social est un “soldat politique”. Ça veut dire quoi ? ». L’interrogé, mal à l’aise jusqu’à présent, relève son buste. « Il doit assumer ses engagements et être respectable ».

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Cela fait quelques années désormais que les groupuscules d’ultra droite tentent de se dissocier du cliché du violent d’extrême droite, crâne rasé et blouson en cuir. Que ce soit le Bastion social, Génération identitaire ou le Mouvement d’action sociale (MAS), tous ont décidé de sortir des codes de leurs prédécesseurs, notamment grâce aux réseaux sociaux. Si les actions politiques chocs restent, comme celle sur le col de l’Échelle pour Génération identitaire ou l’occupation d’un Pôle emploi pour le Bastion, tout y est organisé via le prisme de la communication et de l’esthétisme pour améliorer l’image du groupe. Terminées les photos menaçantes façon GUD avec les visages noircis ou floutés, « la com est très importante et les photos doivent être de bonne qualité », indiquent les documents retrouvés par les enquêteurs, « les militants du Bastion social ont un visage ».

« On utilise des codes couleurs. Le rouge pour le mot le plus percutant sur la banderole et le noir pour le reste. C’est essentiel pour nous de faire les choses très proprement. L’esthétisme fait partie de la ligne, c’est indéniable » – un ancien membre du Bastion social

« On a la chance de rassembler énormément de profils différents avec des compétences, détaille Mathias Jacquet, leader de la section locale à Chambéry, lorsqu’on le questionne sur l’identité graphique du Bastion. On a des graphistes et des photographes professionnels au sein du mouvement, des gens qui maîtrisent bien le montage vidéo. Ça permet d’avoir une uniformité visuelle ». Une continuité qui se remarque sur les réseaux sociaux, notamment dans les logos de leurs bars associatifs – pour avoir une section labellisée « Bastion social », les militants locaux doivent obligatoirement en avoir un. Que ce soit « l’Edelweiss » à Chambéry, « la Bastide » à Aix-en-Provence ou « l’Oppidum » à Clermont-Ferrand, tous reprennent les mêmes codes graphiques. « Il y a une base commune quand vous regardez nos logos, reprend Mathias Jacquet. Cette identité visuelle est très importante. Le fait d’être reconnu rapidement est très important. On essaie d’occuper une place sur les réseaux sociaux. On sait que tout y défile très vite et il faut captiver l’attention de la personne. Pouvoir être clair et en un logo, une phrase, l’intéresser ».

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Le look personnel n’est pas différent. À l’image des hooligans qui ont pris le style casual, les militants d’extrême droite ont leurs marques de vêtements. Au procès des six de l’ultra droite, nombreux sont leurs soutiens à s’afficher avec du Ben Sherman, Lyle and Scott, Weekend Offender, Barbour ou l’incontournable Stone Island, très prisée chez les hools français. « L'esthétisme en général est très important quand tu es néofasciste, confie un ancien membre du Bastion social. On s’habille proprement, on prend soin de nous, notre local est propre et on a un côté graphique qui est très lisse et travaillé ». Lors de leurs perquisitions, les enquêteurs ont pu retrouver chez Xavier Maire un sommaire avec tout un paragraphe « Esthétisme », avec des consignes, pour les bâches et un alphabet à suivre « minutieusement » notamment. « Quand on fait nos affiches ou nos banderoles, on s’inspire en typographie sur CasaPound » [mouvement italien d’extrême droite implanté dans plus d’une centaine de villes, dont s’inspire le Bastion social et qui possède de nombreuses amitiés avec lui, ndlr], confirme anonymement l’ancien membre du Bastion. On utilise des codes couleurs. Le rouge pour le mot le plus percutant sur la banderole et le noir pour le reste. C’est essentiel pour nous de faire les choses très proprement. L’esthétisme fait partie de la ligne, c’est indéniable. »

Le début de ce renouveau graphique en France a commencé il y a une quinzaine d’années. « Quand les identitaires se sont créés en 2003, ils se sont beaucoup positionnés par rapport au Front national en disant que ce n’était pas bien, qu’ils faisaient du militantisme à la papa, se souvient Samuel Bouron, docteur en sociologie, qui a passé un an avec les militants identitaires français en 2010. C’est comme si les identitaires avaient ouvert la voie à cette forme de militantisme très com’ et que les nouveaux acteurs comme le Bastion étaient arrivés et l’avaient développé. Les identitaires sont plus un modèle isolé. Au départ, quand ils se créent, il y a une prise de distance par rapport au modèle traditionnel nationaliste, incarné par le Front et les cathos tradis, plus vieillot ».

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En 2014 a lieu le Congrès européen du GUD à Nanterre. Des représentants grecs du parti néonazi Aube dorée et de CasaPound s’y expriment. Vient ensuite le tour d’Arnaud de Robert, le leader du MAS, qui se lance dans un long plaidoyer pour un changement d’image de la mouvance en France. « Il faudrait qu’on soit les grands méchants, qu’on grogne, qu’on ait des propos ethno-xénophobe. […] Est-ce qu’on va continuer longtemps de servir d’alibi à ce système ou est-ce que l’on va préférer proposer une alternative politique totale, en opposition avec ce système. […] Cela impose certains sacrifices, comme de sortir de notre ghetto. Il faut reprendre langue avec nos concitoyens, reprendre langue avec nos voisins. Aujourd’hui, qui nous connaît, qui nous entend ? Faut qu’on se remette en mouvement, pour l’instant, ce sont eux qui parlent à notre place, nous désignent et nous nomment. À nous de parler ».

À l’époque, le leader du MAS, dissous en 2016, prônait l’entrisme sur tous les tableaux. « On ne doit s’interdire aucun domaine : le social, l’écologie, l’action syndicale, associative, l’éducation, la culture l’écologie, l’art… C’est à nous. Aucune forme de lutte ne doit être proscrite, y compris celles qui passent par la force et la violence […] Les mouvements militants ne doivent plus être des réceptacles de contestation mais des véritables bases de lancement de projet qu’on crée, ancrés dans le réel. Pas nécessaire de voir grand, quand vous sortez de chez vous, il y a des initiatives un peu partout. Allez aux associations de citoyens à droite à gauche qui ont un jardin botanique, n’importe quoi ! Allez-y, pas forcément avec le drapeau mais simplement en disant : “Bonjour, voilà je participe à votre affaire”. Ça fonctionne. Et puis, ensuite, on commence à délivrer notre discours. »

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« On n’est pas là pour faire des ratonnades, c’est un truc de mongoles. On n’est pas des skinheads dans la gogolerie 88. »

Ce discours d’entrisme et d’image est partagé par l’ancien du Bastion social. « On avait une place à côté du local, s’il y avait des poubelles par terre, on les relevait. on avait sacralisé le fait que la rue devait rester propre, explique ce militant d’une trentaine d’années. On avait cette image à défendre aussi, cette cassure qu’on se devait de faire, de sortir du fait que les gens pensaient qu’on était un groupuscule ultra violent. Même si les gens avaient cette petite réticence envers nous, on montrait qu’on était des personnes normales, avec un côté respectueux. » Selon lui, les consignes données dans tous les locaux étaient de ne pas « chercher la merde ». « On n’est pas là pour faire des ratonnades, c’est un truc de mongoles. On n’est pas des skinheads dans la gogolerie 88 ».

Pourtant, au sein du Bastion social, chaque section a connu ou connaît son procès pour des violences. Très souvent, cela concerne même des responsables des sections et du mouvement, comme à Marseille ou Clermont-Ferrand. Le mouvement dans la cité auvergnate s’est d’ailleurs auto-dissous mi-octobre, trois mois après l’ouverture du local, en raison du procès du président et d’un autre membre qui avaient attaqué quatre personnes. À Chambéry, le responsable Mathias Jacquet a eu un rappel à la loi en 2017 pour l’attaque d’un bar anarchiste et attend son procès pour l’agression de plusieurs personnes le soir de la finale de la Coupe du monde.

Les autres groupes ne sont pas épargnés par ce retour du naturel. Une enquête d’Al-Jazeera a prouvé que de nombreux militants de Génération identitaire s'adonnent à des violences. Ce qui ne les empêche pas de continuer leur implantation tant bien que mal dans les villes. « Ils existent à travers l’image. Si t’as l’image, tu as du monde et tu avances comme ça, estime un leader antifa d’une des villes où le Bastion s’est installé. Mais d’un point de vue structurel, leur dernière action c’est trente secondes devant l’ambassade américaine et celle d’avant c’est une banderole… Notre objectif est de les confiner à un entre-soi hyper-sectaire, faire en sorte qu’ils ne puissent pas de faire de la propagande et qu’ils limitent les agressions ».

Car le changement d’apparence de ces groupes tient aussi au fait qu’une image renouvelée attire plus de militants. Il y a quelques années, l’Action française avait réussi à intégrer de nombreuses recrues. Ces derniers sont ensuite partis, comme à Aix ou Marseille, vers le Bastion social. « Il y a l’idée que, derrière, c’est une identité cool, explique Emmanuel Casajus, doctorant en sociologie et auteur d’une thèse sur l’extrême droite. L’Action française, c’est vieillot. Le Bastion on fait des graffitis. Un militant de l’AF me disait que c’était un milieu extrêmement réceptif aux modes et que la mode, ce n’étaient plus eux ». Reste à savoir combien de temps cette mode durera.

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