FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Clubber au pays des cartels

Découvrez le Härdpop, un club logé dans le centre commercial de Ciudad Juarez, une des villes les plus dangereuses du Mexique.

Le Härdpop est un modeste club de 500 personnes situé dans un shopping mall de la zone commerciale de Ciudad Juarez, une ville à deux pas d'El Paso, coincée entre les Etats-Unis et le Mexique. La cité a longtemps été considérée comme la capitale mondiale du crime, en raison des guerres de territoires que se livrent les cartels de la drogue sur les routes rejoignant le Nouveau-Mexique et l'Arizona. En 2010, durant le pic de violence, il y avait environ 300 meurtres par mois à Juarez - presque autant qu'à New York en une année.

Publicité

Pourtant, le club attire régulièrement des DJ's du monde entier comme Carl Craig, Ellen Allien, Roman Flügel, Nina Kraviz, Solomun, Jimmy Edgar ou Ivan Smagghe ; il fêtera d'ailleurs ses 9 ans en septembre en compagnie de Sasha. Parfois, ces DJs raccoursissent la durée de leurs vacances qu'ils passent dans des plus grandes villes mexicaines comme Cabo pour se rendre directement au Härdpop, attirés par son impressionnante communauté de clubbers.

Même si aujourd'hui le Härdpop tourne bien, sa survie a été liée de près aux évènements troubles de Juarez. En 2010, le club a même fermé pendant un temps quand les patrons ont décidé qu'y organiser des soirées devenait trop risqué. Nous avons demandé à Max Pearl, producteur et collaborateur régulier, de nous parler de l'ascension en dents de scie du club, de la nuit à Juarez et du public fidèle qui risque parfois sa vie pour venir y danser.

Noisey : Comment as-tu découvert le Härdpop ?
Max Pearl : Je passe la majorité de mon temps à écrire sur des DJs, et je voyais souvent le Härdpop figurer sur leurs dates. Des gros noms tech-house comme Dixon et Tale of Us—qui jouent habituellement devant des milliers de personnes et dans des gros festivals—s'y rendaient.

Qu'est ce qui attire les DJs dans ce club ?
Quand je pense musique électronique, je ne pense pas à des gens super engagés. Mais le Härdpop n'est pas juste un club où tu vas boire des cocktails. Quand j'ai interviewé les DJ's qui y avaient joué et les tourneurs, ils me racontaient la même chose, tous ces gamins de 20-25 ans étaient tellement excités de voir ces types qu'ils atomisaient le dancefloor. Ils sont tous méga-contents d'y être.

Publicité

Est-ce qu'il y a un rapport entre cette ambiance de feu et la consommation de drogues ?
Eh bien, les gérants menaient une campagne virulente contre la drogue, ils étaient bien conscients de ce qui pourrissait leur pays. Donc, je ne crois pas que vous y verrez tourner beaucoup de trucs.

Tu peux m'en dire plus sur le statut de Juarez de capitale mondiale du crime ?
Il y avait une guerre entre les cartels qui se disputaient l'accès aux routes par lesquelles la drogue transitait vers les États-Unis. Le gouvernement a envoyé l'armée et la police fédérale mais ça n'a pas marché parce que les cartels ont bien plus de pouvoir que le gouvernement. Les cartels sont très présents dans les médias, ils peuvent lâcher un tweet qui dit : Ne sortez pas dans la rue ce soir. Il y avait des nuits où la ville était carrément en état de siège, verrouillée, et celui qui s'aventurait dehors s'exposait à de sérieux problèmes.

Mais les gens sortaient quand même.
En effet. Une de mes connaissances, Alicia Fernandez, qui est photojournaliste pour un journal local, nous a dit qu'un soir où Lee Burridge jouait au Härdpop, une de ses amies était en train de picoler dans un bar de la ville avant de bouger au club. Mauvais endroit, mauvais moment, des membres du cartel ont débarqué et ont shooté une de ses potes. Personne n'a réalisé ce qui s'était passé avant l'after, quand ils ont vu les messages sur Twitter, ils ont réalisé que leur pote avait été prise dans la fusillade. Il y a déjà eu des kidnappings, des décapitations - les pires trucs peuvent arriver.

Publicité

Wow, c'est taré.
La violence est un problème pour la classe ouvrière locale depuis toujours. Il faut lire 2666 de Roberto Bolaño, c'est un livre sur Juarez et sur ces femmes pauvres qui disparaissent dans le désert. C'est à ce moment-là que la middle-class a commencé à se réveiller, « bordel, ce genre de choses arrive vraiment ». Ceux qui viennent de ce milieu savent que cette violence existe depuis des lustres. Donc à un moment donné, les patrons ont été forcés de prendre une décision : « est-ce qu'on doit fermer le club ou non ? » Et les gens les ont supplié de ne pas le faire, parce qu'ils n'avaient aucun autre endroit où aller.

J'ai l'impression que l'acte d'aller clubber représentait bien plus de choses pour ces gens, non ?
Pour eux, ça voulait dire : « nous sommes des gens normaux, et nous menons des vies normales ». Alicia prenait des cadavres en photo à longueur de journée pour son boulot, mais faisait tout pour vivre sa vie comme une jeune adulte lambda le soir venu.

Quand tu as enquêté là-bas pour ton reportage, il y a des trucs que tu n'as pas pu divulguer ?

Oui, quand les promoteurs m'ont parlé de leurs bénéfices, de tout l'argent qui était injecté dans le club ; il se sentaient coupables. En 2005, il y a eu un boom commercial dans la ville, plein de bagnoles et de mecs riches se sont mis à rôder dans le coin. Soudain, ils se faisaient un paquet de blé, avant qu'ils ne réalisent d'où provenait cet argent - c'était une conséquence directe du blanchîment des recettes des cartels. Je me souviens avoir entendu un des fondateurs du club me raconter ça… C'est comme signer un pacte avec le diable. C'était soit l'orgie tous les soirs, ou alors la jouer plus sobre, et ne pas faire la promo des soirées, parce qu'à la fin, ok c'est beaucoup d'argent, mais ça entraîne aussi beaucoup de problèmes.

L'argent du sang, comme on dit.
Personne ne veut de ces types rôdant autour de leur business. Il y avait également beaucoup de délires de type mafia - « si tu ne me donnes pas telle somme pour assurer ta protection, on va brûler ta boîte ». Le Härdpop est une des dernières boîtes qui existe encore parce qu'ils ont eu trop peur que les cartels se pointent s'ils l'avaient fermé. Je ne crois pas qu'ils aient été menacés directement, mais ça les effrayait vraiment. Dès que les business se font rares, les cartels pointent leur nez dans la communauté.

Et le Härdpop n'a pas fermé, parce qu'il rapportait !
Oui, de l'argent propre. L'histoire dit que quand le club a femé temporairement en août 2010, c'est parce qu'ils avaient peur. Alors ils ont commencé à organiser des fêtes secrètes en diffusant l'info uniquement sur les réseaux sociaux, sans flyers ni rien. La violence s'est ensuite calmé dans le coin et a migré vers d'autres zones du Mexique, et le club a pu réouvrir. La guerre des gangs a maintenant lieu du côté de Michoacan, Guerrero et Jalisco. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, Juarez est bien plus paisible.

Max Pearl et Michelle Lhooq sont tous les deux sur Twitter.