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Music

Quaaludes, évangélisme et dépression : la vraie histoire de Big Star

Le groupe power pop fondé en 1971 à Memphis par Alex Chilton et Chris Bell en a chié des ronds de chapeau.

Comme beaucoup d'autres fans de Big Star, j'ai découvert leur existence par le biais d'un autre groupe, The Replacements, mais ça aurait très bien pu être avec The Jesus and Mary Chain, Elliot Smith, Isaac Hayes, REM ou d'autres. Pour Robyn Hitchcock, Big Star représentait « une lettre postée en 1971, qui n'a finalement atteint son destinataire qu'en 1985. » Considérés comme les créateurs de la power pop, leurs trois albums sortis entre 1972 et 1978 ont été salués par la critique sans jamais avoir connu le succès commercial. En 1971, Alex Chilton, alors âgé de 20 ans, était déjà une star. Il était leader d'un groupe de rock, The Box Tops, qui avait connu un énorme succès en 1967 avec « The Letter ». À peine majeur, il avait déjà rencontré Charles Manson, tourné avec les Beach Boys et maté les concerts d'Hendrix sur le coin de la scène. C'était un « enfant de la balle », qui avait goûté, dès son plus jeune âge, au peyotl et vivait déjà une vie extraordinaire. Mais l'arrivée du shred et des harmonies rock en 5 parties l'ont mis mal à l'aise. Pour lui, qui était dans un boys band, il était maintenant temps de se détacher de tout ça et de créer sa propre musique. Il a donc quitté The Box Tops, fait un rapide crochet par New York pour finalement retourner à Memphis, sa ville natale, afin d'y composer la musique qu'il voulait écouter. Puis Chris Bell a débarqué. Issu d'une famille aisée, Chris avait déjà joué dans un groupe de reprises appelé Christmas Future. C'était un jeune type incisif, drôle, absolument introverti et à l'orientation sexuelle encore incertaine. Son unique obsession était de créer une pop au son et à la texture parfaite. Pour ça, il avait à sa disposition les studios d'Ardent Records, gérés par l'ingénieur et petit génie John Fry, qui prêtait ses studios chaque nuit aux jeunes musiciens du coin pour qu'ils puissent répéter et enregistrer. Fry avait appris à Bell comment se servir d'un multi-piste, et une nuit de début 71, Alex Chilton s'est pointé pour enregistrer avec Bell. Chilton s'est lancé dans « Watch The Sunrise » en acoustique, sur une guitare à 12 cordes. Bell y a ajouté l'intro et les choeurs. Ils ne le savaient pas encore, mais Big Star était né.

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_Photo : Michael O'Brien_ Entre temps, Ardent était devenu une filiale du légendaire label Stax Records, ils déléguaient certains de leurs enregistrements et acceptaient, en échange, d'être leur caution pop/rock. À Memphis, les studios et le bar TGI Fridays étaient les piliers d'une scène tapageuse et en totale opposition à la culture dominante, ses membres préféraenit se saouler, tester de nouvelles expériences sexuelles et s'essayer aux drogues, en particulier le Quaalude, le Mandrax et les pilules du même acabit. Le photographe William Eggleston était une figure de cette scène de Memphis et a dédié le film Stranded in Canton à cette période. Big Star : Nothing Can Hurt Me, un documentaire consacré à l'histoire du quatuor et à la scène de Memphis a été réalisé il y a peu. Selon Drew DeNicolas, co-réalisateur et scénariste, l'histoire de Big Star devait à tout prix être racontée par la communauté qui les entourait.

Photo : Eggleston Trust « Je me suis rendu compte qu'une histoire unique synthétisait tout, celle de la scène d'Ardent. Le succès ou l'échec de Big Star faisaient partie intégrante de la vie de cette communauté. Ils partageaient tous ce fantasme pour la révolution musicale qui se déroulait alors en Angleterre. » explique DeNicolas. « À Memphis, il y a une culture du cacheton et des drogues médicamenteuses. C'est ça qui a tué Elvis et c'est aussi ce que prenait les types de Big Star. À cette époque, tout le monde avait un médecin complaisant dans ses relations. La bonne société allait se coucher et laissait ses jeunes, des kids en marge, faire ce qu'ils voulaient, du moment qu'ils ne manquaient pas le déjeuner du dimanche en famille. » C'est dans ce milieu sudiste en pleine ébullition qu'est sorti le premier album de Big Star, #1 Record. Le nom du groupe avait été choisi par désespoir, faute de mieux, il s'agissait d'une chaîne de supermarchés dont l'un était situé dans la rue en face des locaux d'Ardent Records. Chilton et Bell ont tout donné sur cet album, embauchant Jody Stephens à la batterie et Andy Hummel à la basse. On retrouve dans cet album des morceaux pop parfaits, enveloppés de tristesse et de mélancolie, qu'ils soient up-tempo ou down-tempo, ils parviennent toujours à rester subtiles et sont parfaitement intégrés aux canons du genre. Si vous n'êtes toujours pas convaincus, écoutez « The Ballad of El Goodoo » ou la lettre d'amour adolescente « Thirteen ».

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Photo : Ardent Records

Par rapport aux standars actuels,

1 Record

est un album pop tout à fait accessible, mais lors de sa sortie au début des années 70, Big Star n'était pas vraiment à sa place au milieu des dinosaures du rock qui dominaient les charts. De plus, Stax ne maîtrisait pas forcément les stratégies marketing dirigées vers un public blanc. Le label se concentrait uniquement sur le classique

Hot Buttered Soul

de Isaac Hayes et appliquait la même politique de distribution depuis les années 50.

Au niveau de la créativité, la relation Stax/Ardent avait quelque chose de très beau — des blancs passionnés de musique anglaise enregistraient dans un studio, pendant que The Staple Singers enregistraient juste à côté — mais ni Stax, ni Ardent ne menaient les bonnes politiques commerciales. Les critiques ont encensé l'album, mais peu l'ont acheté. La presse ne s'intéressait qu'à l'ex enfat star Chilton. Chris Bell, véritable force motrice de l'album, était complètement relégué au second plan.

​L'une des clés du documentaire Nothing Can Hurt Me est de remettre Bell au centre de l'aventure Big Star. Sans lui, le groupe n'aurait pas pu exister, et c'est ce que vous diront tous ceux qui ont déjà écouté son excellent album solo, tristement intitulé I Am The Cosmos. L'échec qu'a connu #1 Record a dévasté Bell, qui si ce n'était déjà suffisant, était déjà tourmenté par sa sexualité : probablement homosexuel, il était incapable de vivre selon ses principes dans le Tenessee. De plus, la rumeur courait dans Memphis qu'il était amoureux de Chilton, qui ne partageait pas ses sentiments, et qu'il en avait donc profité pour quitter le groupe, peu après la sortie de #1 Record.

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On ne sait pas ce que Bell a traversé, mais il a vite été absorbé dans une spirale d'alcool, de drogues et de dépression, après quoi il s'est tourné, tout aussi tristement, vers la religion. Bell est devenu un « born-again », mais comme le souligne DeNicola « son rapport à l'église était aussi malsain que le reste de sa vie. Il s'est plongé dans la religion comme il s'est plongé dans la drogue. Rien ne pouvait panser ses blessures ». Une nuit de 1978, en rentrant d'une répétition tardive, Bell a perdu le contrôle de sa voiture et a heurté un poteau. Il est mort instantanément. Il avait 27 ans, l'âge fatidique. Aujourd'hui, la plupart de ses amis et de ses collaborateurs se sont aussi convertis au protestantisme évangélique. Ils ne veulent pas parler de sa sexualité, ni du fait que cet accident était peut-être un suicide, ce qui lui interdirait l'entrée au paradis. Ce qui est certain, c'est qu'au TGI Fridays, comme aux studios Ardent, l'homosexualité et la bisexualité ont fait partie intégrante de l'histoire de Big Star. Après le départ de Bell suite à l'échec de leur premier album, Alex Chilton a repris les rennes. Le deuxième album de Big Star, Radio City, est une fois de plus un album brillant, et une fois de plus il fut salué par la critique mais boudé par le public. Et pourtant, le bijou power pop « September Gurls » aurait très bien pu passer en rotation lourde sur les radios de l'époque. Stax était alors sur le point de mettre la clé sous la porte et leur contrat de distribution prévu avec Columbia n'avait finalement jamais vu le jour. Malgré les apparences, Big Star allait survivre, grâce à leur agent d'alors, John King. E, 1973, celui-ci décide d'organiser à Memphis, une convention pour les journalistes musicaux, afin de débattre sur les disquaires et d'assister à un concert privé de Big Star. Lester Bangs, Cameron Crowe et d'autres s'étaient même levés pour danser.

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Photo : Ardent Records Nothing Can Hurt Me remet cette Première Convention Annuelle des Journalistes de Rock au centre de l'histoire. Cet évènement a, pour la première fois, réuni des personnes qui écrivaient sur la musique. L'amour que ce parterre de critiques portait à Big Star a finalement réussi à attirer l'attention et permis au groupe d'enregistrer leur troisième album, Third / Sister Lovers (Chilton et le batteur Jody sortaient à l'époque avec deux soeurs). Cet album tient plus d'un exutoire pour Alex Chilton, et se concentre sur sa rupture difficile avec Lesa Aldridge et l'univers « d'alcool, de drogues et d'ego trip » dans lequel Chilton baignait selon le batteur, Jody. L'album a été enregistré en 1974, mais dû à la mollesse de Chilton, aux problèmes financiers rencontrés, à un son encore plus anti-commercial qu'à l'habitude et à la décomposition de la scène d'Ardent, le disque n'est sorti qu'en 1978. Cet album fait parfaitement écho à ce que dit l'écrivain Ross Johnson sur la scène de Memphis dans Nothing Can Hurt Me, « quand quelque chose n'allait pas, ça donnait forcément quelque chose de beau à l'arrivée ». Jim Dickison, producteur du groupe, essayait au maximum d'incorporer l'ambiance et la créativité qui régnaient à l'époque dans les disques de Big Star. Pour DeNicola, les membres de Big Star étaient « trop sensibles et trop sincères pour réussir. Le groupe n'aurait pas pu exister plus longtemps. Ils étaient profondément dédiés à leur art. »

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​Chilton, qui avait d'abord atteint le succès avec un groupe peu créatif, n'a jamais digéré l'échec commercial d'un groupe qui lui donnait la liberté créative la plus totale. Il s'est ensuit tourné vers la scène punk du CBGB, a produit les Cramps et s'est mué en Alix Chitlin pour les besoins du groupe psych-rock dispensable The Panther Burns, toujours actif aujourd'hui. Il a aussi sorti une tripotée d'albums solo bâclés et a joué sa propre version de « Volare » de ville en ville.

Les réalisateurs de Nothing Can Hurt Me l'ont rencontré et lui ont demandé d'intervenir dans le film, voilà plus de quatre ans maintenant. DeNicola se rappelle que, pour eux, « le succès du film dépendait entièrement de la décision de Chilton ». C'était un type vraiment particulier, qui ne fumait qu'avec son porte-cigarettes et qui avait mis de côté tout son héritage musical pour se contenter de traîner avec les gens qu'il appréciait. Il est décédé à l'âge de 59 ans, avant d'avoir accepté d'être filmé. DeNicola est « encore surpris par cette déferlante Big Star. Les gens s'intéressent à nouveau à leur histoire ». Ce regain d'intérêt a peut-être été provoqué par le décès de Chilton en 2010, mais lui, Chris Bell et les autres membres du groupe n'en méritent pas moins. Au beau milieu de l'alcool, des drogues, des troubles de la sexualité, de Dieu et du sud des États-Unis, Big Star a su transfiguré tout ça pour en faire de l'art.

Le site du documentaire : Big Star Story

'Third' vient d'être réédité chez Omnivore Recordings​.

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