Radio Sexe, la libre antenne où on parle de cul, et un peu de relations amoureuses

L'équipe de Radio Sex

« Du sexe, du cul, du sexe, du cul, du sexe », une table qui tremble, des tasses qui s’éclatent par terre et une bande de six mecs surexcités, c’est le début de la 18e émission de Radio Sexe, enregistrée cette fois en IRL dans un studio du XXe arrondissement de Paris. Après avoir reçu l’acteur porno Manuel Ferrara, la youtubeuse EnjoyPhoenix ou le rappeur Jok’Air, c’est l’humoriste Mister V qui est venu se prêter au jeu de l’émission. Blouse blanche sur le dos, leur spécialité brodée dessus : Docteur Hlel pour Kameto, Docteur Sexe pour Zack Nani, ou le plus osé Docteur Rim Job pour Joël, ils attendent les coups de fil croustillants comme des gamins attendent Noël.

Pendant un peu plus de deux heures, des auditeurs vont défiler raconter leurs histoires sexuelles ou amoureuses. Charge aux chroniqueurs de les conseiller, parfois de les vanner. Le premier à passer embraye direct : « vous me connaissez déjà, l’anus poilu, ça vous dit un truc ? ». Commence une sombre histoire où il raconte que le frère d’une ancienne conquête voulait lui casser la gueule pour une remarque déplacée sur sa sœur. Plus une anecdote qu’une demande de conseils, la bande le félicite de s’en être sorti indemne et passe vite au « prochain patient ». Les histoires vont s’enchaîner toute la soirée.

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Une heure avant le début de l’émission, trois techniciens s’activent en coulisse pour régler les derniers détails, place des invités, préparation des visuels à diffuser pendant le live, etc. Kotei, le jeune homme qui chapeaute tout le projet avec son comparse Kameto, est rivé sur son téléphone « tu as des nouvelles de Zack ? ». Les chroniqueurs arrivent au compte goûte, pas plus stressés que ça par les tests micros à faire. Maintenant presque professionnelle, l’émission part d’une discussion toute simple sur Twitter en décembre 2018 « On avait un groupe avec des potes où on se vannait, on se racontait des histoires. Un pote nous a raconté une histoire de cul qui nous semblait fausse et un dimanche soir, on se faisait chier et avec Kamel on a décidé de faire un live sur Twitch avec ceux qui étaient dispos. »

Le concept plaît tout de suite, avec un peu plus de 5 000 personnes qui regardent l’émission en direct, et se décline vite en libre antenne. Kameto et Kotei, plus habitués des streams de jeux-vidéos s’improvisent animateurs radios tous les dimanches soir. À la sixième édition, ils reçoivent Rebeudeter, un pote et un des plus gros twittos francophones avec ses 400 000 abonnés. « Là ça a ramené du monde, on était à 30 000 viewers. Pour la 6e émission c’était pas mal » se réjouit Kotei.

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L’émission fait son bout de chemin sur les réseaux, le #RadioSexe est en top tweet tous les dimanches soir, se classe en tête des podcasts les plus écoutés sur Spotify. Une notoriété qui leur permet de recevoir Jok’Air quelques semaines plus tard. Le rappeur du XIIIe arrondissement parle de sexe à longueur de temps dans ses sons ou sur ses réseaux : « Y’avait pas mal de gens qui le spammaient sur les réseaux, qui disaient que ce serait énorme de l’avoir chez nous. On s’est mis en contact et il est venu très naturellement. Aujourd’hui c’est un pote, il est venu une deuxième fois, j’ai l’impression qu’il aime bien l’ambiance qu’on met » raconte Kotei. Au téléphone, Jok’Air n’a pas assez de compliments pour raconter son expérience dans l’émission : « La première fois que je suis allé là-bas j’avais peur parce que je ne savais pas trop comment ça allait se passer et tout. Au final c’est l’émission où j’ai eu le plus de retours de toute ma carrière. J’ai vraiment vu un retour par rapport aux autres émissions. Il y a plein de gens qui m’ont connu grâce à Radio Sexe, qui m’ont vu sous un angle différent. Je leur en serais reconnaissant toute ma vie. » Il a même dédié un son à l’émission, dispo en bonus de son dernier album, à la demande générale du chat lors de sa venue.

« Si on marche autant, je crois que c’est parce qu’on a les codes de nos auditeurs. Nos chroniqueurs travaillent sur Twitch, Twitter et Youtube, on sait ce qui plaît. »

Dans les coulisses et sur le plateau, on se marre. Traditionnellement, quand un invité vient dans l’émission, il doit raconter une anecdote personnelle. Et Mister V se lâche. De son histoire sur un tournage de film porno à Los Angeles avec Manuel Ferrara, à la nana qu’il ramène chez lui et qui le lendemain lui vole 50 balles en partant ou de la difficulté à dire « Je t’aime » en plein acte avec quelqu’un que tu ne connais pas tant que ça, l’invité régale le live. Petite coulée de transpiration quand il s’approche de la caméra pour montrer une photo prise sur le tournage porno. « Non non non on va se faire ban » rigole Kameto. Les producteurs font quand même attention à ne pas dépasser certaines limites.


Bien sûr, le concept de libre antenne, surtout en matière de sexe, n’est pas nouveau. Depuis 1997, Difool anime sur Skyrock « Radio Libre » avec le même principe. Si l’émission attire un peu plus de 100 000 auditeurs par soir, les chiffres sont en baisse chaque année. Tout l’inverse de Radio Sexe dont les audiences ne font qu’augmenter semaines après semaines. « On a un public assez jeune. Notre cœur de cible bien sûr c’est le 18-25 ans, mais ça s’ouvre aux gens de 16 à 45 ans » analyse Kotei. Il poursuit : « Si on marche autant, je crois que c’est parce qu’on a les codes de nos auditeurs. Nos chroniqueurs travaillent sur Twitch, Twitter et Youtube, on sait ce qui plaît. »

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« L’avantage qu’on a par rapport aux autres, sans faire offense à Skyrock, c’est qu’on a le même âge que les auditeurs. Du coup on se sent plus concernés par leurs histoires, il y a un côté moins paternaliste, c’est comme si on parlait à des potes. Et puis on n’est pas des stars, enfin Prime et Kameto un peu plus, mais on reste des personnes lambda, ça rajoute une proximité » raconte Joël, chroniqueur « titulaire » depuis la 4 ème émission.

Surtout, l’émission est diffusée sur Twitch, plateforme à la base où sont retransmises des sessions gaming, mais qui s’ouvre à de plus de plus à la musique et la politique, et qui connaît un essor extraordinaire depuis quelques années. Une plateforme qui permet une interaction directe avec l’auditeur, en répondant aux questions ou en créant des sondages (Avez-vous déjà testé les jeux de rôle au lit ? par exemple). Une analyse qu’a donnée Sonia Devillers, journaliste à France Inter. Dans son édito du 20 mars dernier, la spécialiste des médias disait « Ces petits malins ont compris qu’ils pouvaient faire autre chose que jouer des parties en direct. Imaginez un studio, réunissant des gamers stars, que des mecs, ça met plutôt mal à l’aise, en blouse blanche, distillant leurs conseils, morts de rire. Il est là, côté web, le renouveau de la libre antenne dont les FM avaient fait un espace du soir dédié aux ados des années 90 et 2000 »

« Le principe de la libre antenne on l’a pas inventé. Si des gens veulent créer leur propre émission avec leurs codes, pas de soucis. Pour l’instant j’ai rien vu sortir. »

Elle y pointe l’avantage qu’à le web sur les radios : l’absence d’un CSA pour contrôler tout débordement. Sur Twitch en effet, c’est plus free-style, les commentaires sont ouverts et défilent à une vitesse folle sur l’écran. Pour autant, Kotei tempère : « On a des modérateurs qui s’occupent de regarder ce qu’il se dit sur le chat, et si ça déborde trop, on peut fermer les commentaires, ou les ouvrir seulement aux abonnés, mais dans l’ensemble c’est respectueux ». Lorsqu’ils ont reçu la youtubeuse EnjoyPhoenix, pour l’instant seule fille à être venue dans l’émission, le producteur redoutait des remarques sexistes ou pire « au final tout s’est très bien passé, les gens étaient très respectueux et à l’écoute ».


Sonia Devillers pointe également une critique qui est beaucoup revenue sur Twitter : une émission avec que des mecs, où on parle de sujets très hétéro-centrés. Kotei balaye les critiques : « Le principe de la libre antenne on l’a pas inventé. Si des gens veulent créer leur propre émission avec leurs codes, pas de soucis. Pour l’instant j’ai rien vu sortir. Après les critiques on les entend, bien sûr, et on essaye de s’améliorer. » Lui, comme Joël, se dit tout à fait ouvert au fait d’accueillir une fille dans l’équipe, « on attend juste de trouver la bonne qui pourrait s’intégrer à l’équipe ». Dans une équipe où chaque personne à sa personnalité propre et identifiable, ça peut prendre un peu de temps. « Et puis on va pas prendre une fille pour prendre une fille. Aujourd’hui même pour un garçon ce serait dur de trouver sa place dans l’équipe. » termine Joël.

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« Les gars on est 76 000 sur le live !! » Il est 23h45 et l’émission vient de battre son record d’audience. Nouvelles explosions de joie autour de la table. Les histoires s’enchaînent depuis 2 heures et on va toucher à la fin de l’émission. Une dernière patiente passe en consultation, Emma, jeune fille de 20 ans qui a essuyé trois galères sexuelles avec des partenaires peu performants. L’équipe la rassure en lui disant de ne pas se précipiter qu’il n’y a pas de honte à attendre. Radio Sexe, c’est beaucoup de vannes mais aussi des conseils plus personnels. Comme cette histoire qui a marqué Kotei et Joël : Dante, lycéen noir dont la famille de sa copine refusait toute relation entre leur fille et lui de par sa couleur de peau. « C’est l’histoire qui m’a le plus touchée. C’était vraiment du racisme primaire, ça m’a fait de la peine » raconte Joël qui est encore en contact avec lui.

« C’est à la fois marrant pour les gens qui écoutent et pour nous, mais ça amène aussi des avis intéressants, ce n’est pas que de la vanne » debrief Mister V après l’émission. « Et pour moi c’est une émission où je peux être plus naturel. Je n’irais pas chez Ruquier pour raconter des histoires comme ça. Et puis, parler de cul c’est mon quotidien, c’est logique que je vienne dans un truc comme ça. » raconte l’humoriste qui se reconnaît dans cet esprit démerde et sans prise de tête d’où il vient. Jok’Air en rajoute une couche : « C’est frais, c’est des jeunes qui s’adressent aux jeunes, c’est tout ce qu’on demande par rapport aux autres. On peut faire un parallèle avec ce qu’il se passe dans le rap actuellement. Ils sont rentrés dans le bon créneau au bon moment, c’est des mecs intelligents. Je suis persuadé que dans les années à venir y’aura pleins d’autres émissions sur les plateformes de streaming. » Pour preuve, Skyrock a commencé depuis quelques semaines à diffuser son émission culte Planète Rap sur Twitch.

Dans le studio, on entonne un dernier « du sexe, du cul, du sexe, du cul, du sexe » bras dessus bras dessous. La boucle est bouclée, à dimanche prochain.

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