Hawkwind est à l’origine de quelques-uns des plus beaux morceaux ayant fait trembler la terre des justes, de Ladbroke Grove aux confins de l’univers. Forteresse volante à l’équipage aussi salé que fluctuant, le groupe a su créer son propre son, un space-rock hors du temps qui a influencé la punk et la musique électronique et qui s’est rapidement inscrit dans la tradition contre-culturelle qui l’a enfanté. Des festivals au squats, Hawkwind a joué partout et souvent sans rien demander en retour, si ce n’est que le public se laisse entraîner ne serait-ce qu’un instant par leur mélange de riffs garage, de boucles hypnotiques, d’électronique et de spoken words, qui ne connaissait aucun équivalent dans les années 70 et n’en connaît toujours aucun aujourd’hui.
Issu de la très fertile scène underground du West London (qui a également donné naissance aux Pink Fairies et à des journaux alternatifs tels que Friends et International Times), Hawkwind a été créé en 1969 par Dave Brock. Le premier album du groupe est sorti en 1970, mais c’est entre 1971 et 1976 que Hawkwind a sorti les disques qui allaient construire leur mythe et leur style unique.
Aussi rageurs que narcotiques, In Search of Space (1971), Doremi Fasol Latido (1972), Hall of the Moutain Grill et l’essentiel Warrior at the Edge of Time (1975) poseront les bases de la formule Hawkwind : la guitare proto-punk de Brock, la basse caverneuse de Lemmy, les envolées de saxo hystériques de Nic Turner et les expérimentations électroniques de Del Detmar et Dik Mik.
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Loin des autres groupes anglais de l’époque, Hawkwind se rapprochait davantage du MC5, des Stooges et de certaines formations allemandes comme Can, Amon Duul et Neu!, mais aussi de Sun Ra et de Funkadelic, pour l’esthétique et les champs thématiques abordés. Depuis sa création, le groupe a connu des dizaines de membres différents. David Broke est le seul à ne jamais avoir quitté le navire depuis 1969. Mais Hawkwind est plus qu’un simple groupe. C’est une entité immatérielle, un esprit, une hallucination.
Bien qu’il ait toujours été loué par des légions d’adorateurs dévoués, le groupe n’a jamais reçu, contrairement à Can, le succès critique qu’il méritait. Et ce, alors qu’il a enquillé des riffs intemporels avant les Ramones, poussé l’électronique au-delà de ses limites avant Kraftwerk et qu’il est resté actif dans la scène underground. Pour faire simple, si vous aimez Can, Sun Ra, Sonic Youth, Funkadelic, Motorhead, les Ramones et Neu!, vous ne pouvez qu’adorer Hawkwind.
Si cela ne suffisait toutefois pas à vous convaincre, nous avons réuni, en compagnie de Dave Brock lui-même, 9 raisons pour définitivement monter à bord du vaisseau Hawkwind.
CE SONT DES PIONNIERS DE LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE
Si des groupes comme Kraftwerk, Tangerine Dream et Neu! sont considérés (à juste titre) comme des pionniers de la musique électronique, Hawkwind n’a hélas jamais été reconnu comme tel alors qu’ils le mérite amplement. Le style mondo-bizarro de Del Dettmar et Dik Mik mêlant murs de bruit blanc, effets off-key et délires acides avait pourtant largement de quoi interpeller et profondément marquer les esprits.
Pour David Brock, « Del et Dick n’ont jamais eu la reconnaissance qu’ils méritaient alors qu’ils étaient en avance sur tout le monde. Ce qu’ils faisaient avec les instruments électroniques était complètement révolutionnaire. Dik sortait souvent sur Portobello Road pour trouver l’inspiration et se procurer du matos. Il installait des générateurs et des effets sur une petite table de bridge, il y avait des câbles partout. Je crois que Del avait un synthé EMS qui pouvait faire plus de choses. A l’époque, ces deux mecs ont vraiment apporté quelque chose de nouveau. On fournissait le rythme et ils se contentaient de jouer par-dessus. Il y avait très peu de groupe qui faisaient ça au début des années 1970. Cette combinaison entre les sonorités psychédéliques et l’électronique, c’est l’essence même de Hawkwind. »
C’EST LE GROUPE AVEC LEQUEL LEMMY S’EST FAIT CONNAÎTRE
Ian « Lemmy » Kilmister a joué dans Rockin’ Vicars, un petit groupe rock’n’roll des 60s, il a aussi été roadie pour Jimi Hendrix, mais c’est avec Hawkwind qu’il s’est vraiment fait connaître. Comme il le dit dans le documentaire Hawkwind : Do Not Panic, « On était l’équivalent de Star Trek, sauf qu’on avait les cheveux longs et qu’on consommait de la drogue. On n’était pas Pink Floyd, mec… On était un putain de cauchemar dont personne ne pouvait s’échapper. »
Lemmy a joué dans le groupe de 1971 à 1976 (avant de se faire virer pour son accoutumance au speed). C’est pendant cette période qu’il a mis en place et perfectionné son style de basse si particulier. Dave Brock se souvient qu’ « avant de jouer de la basse, Lemmy jouait de la guitare, et c’est ça le truc. Un joueur de basse classique aurait joué « normalement », mais lui jouait en accords barrés et cognait comme un malade. C’était sa manière de jouer. Et c’est devenu son propre style. »
ILS ONT INSPIRÉ TOUT UN TAS DE ROMANS ET DE BANDES-DESSINÉES
Hawkwind a inspiré un bon nombre de projets de fiction. Le journal underground Friends a publié la fameuse BD Codename Hawkwind – The Sonic Assassins. Pour ceux qui ne l’auraient pas lu, ça raconte l’histoire d’une « machine de mort, » qui est enterrée au centre de la Terre et qui envoie des rayons provoquant la léthargie et la désespoir chez les humains. Comment lutter contre ça ? Eh bien avec la douce musique de Hawkwind, bien sûr. Michael Moorcock auteur de nombreux ouvrages de science-fiction, a longtemps collaboré avec Hawkwind. Il a écrit de textes pour le groupe et, avec l’aide de Michael Butterworth, il a adapté la BD en une nouvelle écrite en 1976: Time of the Hawklords.
Brock se souvient : « Dans nos textes on a souvent parlé de science-fiction et de toutes les choses imaginaires qui en découlent : les voyages dans le temps, le sexe avec les androïdes, tout ce genre de trucs. Ce livre était un genre d’hommage. Si je me souviens bien de l’histoire, on était le dernier groupe sur terre et on avait pour mission de protéger le monde de la « mauvaise vibe » émise par la « machine de mort ». C’était totalement absurde mais les fans adoraient. »
Il y a même eu une suite, Queen of Deliria dans laquelle Hakwind devait sauver le monde des musiques d’Elton John. Moorcock est également l’auteur de l’annonce qu’on entend au début de « Sonic Attack » sur Space Ritual : « Do not waste time blocking your ears, try to get as far away from the sonic source as possible. DO NOT PANIC ! »
DAVE BROCK : MAÎTRE DE LA MUSIQUE DE RUE
« J’avais l’habitude de jouer ces morceaux dans le métro entre Kensington et le Royal Albert Hall avec John Harrison, l’un des fondateurs de Hawkwind. Je l’ai rencontré alors que je jouais près de Tottenham Court Road. Il avait l’habitude de venir chez moi à Putney, et on se faisait des sessions sur de la musique super bizarre et psychédélique. Je m’occupais de toutes les boucles un peu bizarres qu’on entend en fond; on peut dire que c’est comme ça qu’a commencé Hawkwind. Je me revois encore en train de chanter « Hurry On Sundown » dans un souterrain près du Royal Albert Hall. J’adorais joué là-bas, il y avait un écho fantastique. »
ROBERT CALVERT ÉTAIT UN GÉNIE
Guide spirituel de Hawkwind au fil des ans, Calvert est un poète né en Afrique du Sud qui a souvent collaboré avec le groupe, notamment sur l’écriture des textes. Il a également participé à plusieurs concerts en tant que vocaliste et écrit le petit journal de bord vendu avec le LP In Search of Space, regroupant images, photos et textes. Calvert est devenu un membre à temps partiel durant les années 70 mais son comportement erratique a souvent posé problème. Il a par exemple frappé Lemmy avec une épée pendant un concert à la Wembley Arena. En 1999, Lemmy racontait au magazine Kerrang: « il est arrivé sur scène, surement sous acide, avec un chapeau de sorcière sur la tête, une trompette et une épée. Après le deuxième titre, il m’a attaqué avec son épée, alors je lui ai mis un coup de basse en pleine tête et il est parti emmerder quelqu’un d’autre. »
ILS JOUAIENT TOUT LE TEMPS GRATOS
Au début des seventies, l’explosion du nombre de festivals gratuits en Grande-Bretagne a permis à de nombreux groupes, dont Hawkwind, de multiplier les apparitions. Même s’ils étaient signés sur une major et qu’ils faisaient déjà des tournées, Hawkwind ont surement fait plus de concerts et de festivals gratuits que de concerts payants. Au début, les festivals comme Stonehenge étaient des lieux de libre expression mais avec le temps, tout a changé, comme le rappelle Dave Brock :
« C’était un super moyen pour les jeunes groupes de s’exprimer. On faisait des scènes tous ensemble, on était très solidaires. L’un des premiers festivals gratuits, c’était à Stonehenge en 1974. On avait loué un espèce de camion de chantier et on était parti à Stonehenge pour quelques jours. On a monté la scène nous-mêmes. Après quelques jours, on a du ramener le groupe électrogène à Londres car on avait un concert là-bas, et les gens nous disaient « Pourquoi vous le ramenez ?! » Ils n’avaient pas vraiment conscience de l’investissement qu’il y avait derrière tous ces festivals gratuits. Ils ne réalisaient pas que l’organisation avait un coût. On a investi beaucoup de temps, d’argent et d’effort car on croyait à ce mouvement. »
« La scène était une communauté très organisée et beaucoup de gens voulaient s’investir. Mais les bonnes choses ne durent qu’un temps et au fur et à mesure, tout a changé : les dealers ont commencé à se pointer et à faire leur business… Je vois ça comme une rose qui fleurit, puis fane et meurt. Les gens y voyaient un moyen de se faire de l’argent. Au début, ce genre de festival réunissait environ 100 personnes, puis ils ont attirés de plus en plus de monde jusqu’à atteindre 60 000 personnes à Stonehenge dans les 80’s. On a joué à des milliers de festivals gratuits, puis la scène rave est arrivé à la fin des années 80, et les gens ont commencé à se tourner vers les entrepôts et ce genre d’endroits pour leurs soirées. Le but était le même car les gens y allaient pour se défouler et être eux-mêmes. Mais au final, hormis le fait qu’ils étaient tous connectés, tout est devenu corrompu. »
ILS SE SONT FORMÉS À LADBROKE GROVE À L’ÉPOQUE OÙ C’ÉTAIT L’ÉPICENTRE DE L’UNDERGROUND LONDONIEN
Il avait de toute évidence quelque chose dans l’eau du West London à la fin des années 60, au moment où Hawkwind a fait ses premiers pas dans les squats délabrés, où trainaient artistes et marginaux. Brock se souvient : « C’était assez dingue. Michael Moorock vivait juste à côté de Portobello Road; là-bas il y avait un tas de journaux underground fantastiques. Cet endroit était une vraie source d’inspiration et il faisait bon y vivre. Avec nous il y avait un tas de mecs un peu en marge, et on faisait tout pour garder la presse underground en vie. Il y avait une grosse équipe derrière Friends et International Times, on fumait tous de la weed ensemble. On se faisait appeler les « Greasy Truckers » et on essayait de récolter des fonds. On était une vraie famille. »
ILS ONT ÉTÉ UNE GROSSE INFLUENCE POUR LA SCÈNE PUNK
Si beaucoup assimilent encore Hawkwind au rock progressif, il suffit d’écouter leurs disques pour se rendre compte que le groupe est, au contraire, bien plus proche du punk. Sur Doremi Fasol Latido, on retrouve par exemple des morceaux comme « Brainstorm » et « Brainbox Pollution, » qui rappellent la fureur des Stooges ou l’efficacité des Ramones. John Lydon était d’ailleurs un grand fan de Hawkwind et il allait régulièrement les voir en concert. En interview, il a déclaré à plusieurs reprises « qu’il n’y aurait pas eu les Sex Pistols sans ‘Brainstorm’ »
« Le truc avec Hawkwind c’est qu’on avait beaucoup de riffs répétitifs, des trucs très rapides, et je pense que c’est pour ça que les punks trouvaient un intérêt à ce qu’on faisait. Dans un sens on a jeté les bases de la dance music, avec des rythmes joués en boucle sur lesquels on balançait des choses plus bizarres et bruyantes. »
ILS AVAIENT UNE DANSEUSE PRÉNOMÉE STACIA QUI MONTAIT SUR SCÈNE NUE ET RECOUVERTE DE PEINTURE FLUORESCENTE
Tous ceux qui ont eu la chance d’assister de voir Hawkwind au début des années 70 pourront vous le confirmer : Stacia était un véritable phénomène. Elle faisait plus d’un mètre quatre-vingt, était recouverte de peinture fluorescente et entrait sur scène dans d’incroyables trances. Comme le dit David Broke, elle a rejoint le groupe par accident :
« On était sur la route pour aller jouer à Redruth dans les Cornouailles, on s’est arrêtés à une station-service au milieu de nulle part. A l’époque, il y avait des pompistes qui venaient et te faisaient le plein. Et ce jour là, c’est Stacia qui est venue nous servir. On se serait cru dans un film. Elle nous a demandé « Vous êtes qui ? Vous allez où comme ça ? », On a répondu « On est Hawkwind et on est en route pour notre concert de ce soir ». Après quoi elle nous a simplement demandé si elle pouvait venir. Elle avait l’habitude de danser dans le plus simple appareil. Et ça a donné des idées à notre batteur qui a, lui aussi, commencé à se mettre à poil pour jouer, vu qu’il suait beaucoup. Il était soit torse nu soit complètement nu. Mais ça n’embêtait personne. »
Harry Sword est sur Twitter – @HarrySword.