J’ai créé le programme « Rattraders » afin d’entraîner des rats de laboratoire à spéculer sur le marché des changes et des contrats à terme. Grâce à l’aide de ces rongeurs, j’ai réussi à surpasser quelques-uns des plus grands gestionnaires de fonds spéculatifs humains. Mon objectif était de découvrir quels étaient les métiers à haute rémunération pouvant éventuellement être remplacés par des machines – ou par des rats.
Comme beaucoup d’études sur ce sujet, mes recherches ont montré que tout travail qui ne nécessitait pas d’interactions humaines était remplaçable. Ainsi, je me suis concentré sur les traders en raison de leurs salaires élevés, mais aussi car leurs tâches en elles-mêmes me paraissaient être fondées sur leur capacité à rester concentrés et à éviter toute distraction – il m’a donc semblé que des rats pourraient être à la hauteur.
Videos by VICE
Mener à bien cette expérience promettait d’être ardu. Je l’ai donc divisée en trois étapes présentées ci-dessous.
ÉTAPE 1 : MISE EN PLACE DES TICKER TAPE
La première partie de l’expérience consistait à créer ce qu’on appelle dans le jargon les « Ticker tape » (des rouleaux imprimés par téléscripteur qui publient les évolutions du marché). J’ai récolté des informations sur le marché à terme et le marché des changes afin de générer des sons qui correspondent aux courbes de l’économie en temps réel. D’après les recherches, les rats répondent particulièrement bien aux notes du piano – j’ai donc choisi cet instrument pour créer les signaux sonores. Je les ai composés avec Sonification Sandbox, un programme élaboré par l’école de psychologie de l’Institut de technologie de Géorgie – le logiciel propose une interface idéale pour transformer des données en sons, un procédé nommé « sonification ».
Les sons suivaient les courbes du marché : quand le prix augmentait, la tonalité montait, et quand les prix descendaient, la tonalité baissait.
ÉTAPE 2 : ENSEIGNER LE COMMERCE
J’ai commencé avec 80 rats de laboratoire – 40 mâles et 40 femelles de race Spargue Dawley – avec l’intention de faire reproduire les meilleurs d’entre eux pour créer le type génétique le plus adapté au trading. Les rats se sont entraînés séparément à raison de cinq heures par jour dans des boîtes de Skinner, communément utilisées dans les expérimentations animales. Ce processus a duré environ trois mois.
Pour entraîner les rongeurs, j’ai produit des ticker tape pour environ 800 situations de marché différentes (je me suis cantonné aux devises USD/EUR, bien que les rats puissent devenir des experts avec n’importe laquelle). Chaque jour, nous avons joué aux rats 100 de ces situations dans l’espoir qu’ils chercheraient des modèles de sons non identifiables par un être humain et qu’ils réussiraient à prédire la prochaine évolution du marché après le dernier son entendu.
À chaque fois qu’ils entendaient un son, les rats avaient le choix de presser un bouton rouge ou vert – le vert s’ils s’attendaient à ce que le prix monte, le rouge s’ils prédisaient une baisse. Quand ils voyaient juste, ils recevaient une petite quantité de nourriture – les rats doués ont vite grossi. Quand ils se trompaient, ils recevaient une petite décharge d’électricité. Très vite, certains rats se sont remarquablement bien débrouillés, montrant une forte capacité à reconnaître les modèles de sons qu’ils entendaient. Comme nous souhaitions réagir à des données en temps réel, nous allions avoir besoin des meilleurs éléments.
Après douze semaines, nous avions quatre rats particulièrement efficaces : Mlle Kleinworth, Mlle Coutts, M. Morgan et M. Lehmann (nous étions d’ailleurs assez surpris qu’il y arrive). Leurs performances étaient comparables à celles des meilleurs gestionnaires de fonds de la planète. Leur talent à reconnaître les modèles de son générés à partir des ticker tape était incroyable.
ÉTAPE 3 : DÉVELOPPER UN PEDIGREE
Après une formation approfondie, nous avons voulu savoir si leur talent s’était ancré dans leur code génétique. Nous les avons donc fait s’accoupler entre eux. Après seulement 20 jours, nous avions 28 nouveaux rats (15 mâles et 13 femelles). Les résultats ont été stupéfiants : ces traders de deuxième génération obtenaient de bien meilleures performances que leurs parents – des recherches plus approfondies se sont néanmoins avérées nécessaires pour confirmer nos observations.
Je développe actuellement un logiciel qui génère des ticker tape en temps réel afin de pousser l’expérience à son stade ultime : faire opérer les rats dans le marché boursier réel. Si cela s’avère concluant, je continuerais l’expérience et mettrais même en place mon propre fond de gestion spéculatif dirigé par mes rats ou j’essaierais de les faire travailler pour des banques.
Cette étude, initialement publiée dans Art and Economy, une revue de la Landia Art and Economy Foundation, a été reproduite ici avec leur aimable autorisation