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Le festival Kazantip n'est plus la dernière république autonome de Crimée

Annexé par la Russie, le Burning Man de la Mer Noire a fui l'Ukraine pour se réfugier en Georgie.

Photo via Souvent présenté comme le Burning Man de la Mer Noire ou le néo-Woodstock de l’Est, KaZantip n’a jamais voulu être considéré comme un vulgaire festival de musique électronique. Et il faut avouer que même si l’on s’y rend principalement pour s’ankyloser les pavillons à coup d'EDM et s’envoyer toute une vie d’Horilka en un mois, l’événement sort largement du lot. Car KaZantip est -comme vous l'avez peut être vu dans le reportage que VICE y a tourné il y a deux ans- une véritable petite nation autonome – en tout cas, c’est le concept vendu par les organisateurs : l’entrée sur le site nécessite un Visa Z et la République est co-dirigée par une armée de ministres auto-élus selon leurs compétences (ministre de la Fête, de la Propagande, des Affaires Etrangères…). Elle a également une couleur nationale (un jaune-orangé qui n’est pas sans rappeler les pires années de l’équipe de football néerlandaise et des protestations ukrainiennes anti-Poutine de 2004), un sport national (le kitesurf), et même un hymne (n’importe quel amas de sons dansable sous ecstasy). KaZantip a également un président, Nikita Marshunok. Dans les faits, il est le fondateur de la Z-Republic, née il y a plus de 20 ans au pied de la centrale nucléaire de Shcholkine, gigantesque construction abandonnée après la catastrophe de Tchernobyl. Dans les faits, c’est un dictateur. Mais cela ne pose aucun problème. Si des élections se déroulent bien chaque année, Marshunok prend invariablement et unilatéralement la décision de remettre le couvert pour la suivante, en toute impunité. « Oui, on est une dictature », admet Daria, la responsable de l’administration de KaZantip. « La dictature du bonheur. Le PréZident force tout le monde à être heureux. » Remarquez, rien que pour sa dégaine de skateur américain de 16 ans et ses incessantes navettes entre les 32 scènes du festival en segway-char romain, on lui pardonnerait sans hésitation sa tyrannie bisounours. Photo via Grâce à Marshunok et à sa République Z, le trou perdu criméen de Popovka était devenu une terre d’asile pour tous les aspirants ravers du monde, Ukrainiens et Russes compris. Pour ces derniers, le festival représentait le style de vie progressiste sur lequel ils lorgnaient depuis la fin de l’U.R.S.S. D’après Daria, qui a bien appris sa leçon, KaZantip « est une nation où chaque citoyen a le droit d’être qui il veut et vivre sa propre vie. Ce n’est pas un festival ordinaire, c’est quelque chose de plus grand ». Mais voilà, ça, c’était avant. Avant que l’Ukraine n’implose en une déflagration qui l’a amputée de sa Crimée gangrenée par des envies d’indépendance, de Russie poutinienne et de reconnaissance. KaZantip a tenu le coup quelques mois, fière d’être la dernière république autonome de Crimée, mais proclamer avoir sa propre bannière n’est pas suffisant pour oublier qu’on vit en réalité sous celle d’un autre. L’histoire de David contre Goliath, avec en bande sonore Skrillex et Armin van Buuren, ne sera donc pas réécrite. Et plutôt que de se battre à coups de fusils à eau, le festival s’est retiré en Géorgie. Première conséquence de l’annexion de la Crimée à la Russie : les visas, d’ordinaire faciles à obtenir, doivent désormais être russes. Sauf que pour entrer en territoire russe, légalement, il faut être invité par l’un des citoyens du plus vaste pays du monde. Du coup, à moins d’avoir un oncle fortuné dans le Nord-Caucase, les visiteurs étrangers qui composent une bonne partie des visiteurs de la plus petite république du monde risquent bien de se retrouver à siffler leur vodka seuls devant un livestream du festival. Ensuite, comment convaincre Moderat, Pendulum, Ricardo Villalobos, Loco Dice ou encore Booka Shade d’aller jouer dans un pays où l’on peut techniquement se faire réduire en miettes dès la sortie de l’aéroport ? Et puis, il y a la goutte d’eau qui a fait déborder la piscine remplie d’ukrainiennes en maillots taille huit ans : la Crimée aussitôt récupérée, le Service de Contrôle Fédéral des Drogues russe a annoncé que des raids antidrogues, menés par des militaires, auraient lieu durant toute la durée du festival. « On n’a pas fui la Crimée », se justifie Daria. « Ceci dit, on a eu quelques difficultés cette année… Notre société est déchirée. Nous sommes devenus otages de cette situation. » Photo via Pourtant, en avril, les rapports avec le nouveau gouvernement étaient « impeccables » selon Nikita Ier, qui ne s’était jamais caché de protéger son business en se liant avec les autorités criméennes. Le fait que l’ex-région russophone ukrainienne se soit réfugiée dans les jupes de sa Matriochka n’aurait en principe pas dû poser trop de problèmes, surtout quand on sait que l’une des scènes du festival appartient au milliardaire russe Mikhail Prokhorov. Personnage qui, s’il était en lice pour les dernières présidentielles, était également soupçonné d’être un allié du Kremlin, livré aux dissidents afin de capturer leurs voix. Mais aujourd’hui, Nikita Marshunok fait volte-face : « C’est particulièrement humiliant de ressentir cette ouverture et ces pensées progressives, qui vont de pair avec la grande hospitalité du gouvernement géorgien, après ces quelques vingt années d’exhortions, de chantage et d’abus de la part des autorités criméennes. Au nom de quoi devrions-nous subir les menaces des forces spéciales russes et de ces institutions qui commissionnent/rackettent ? Allez vous faire foutre et occupez-vous de votre pays, ôtez vos pattes du nôtre ! Kazantip est un petit Etat indépendant. Il est et a toujours été à l’avant-poste de la lutte contre le marasme global. » Le festival qui se considérait comme une « alternative à la réalité » s’est ainsi fait rattraper par celle-ci. Actuellement, et pour une poignée de jours encore, KaZantip a lieu sur la plage d’Anaklia en Géorgie, un pays qui aurait, selon Marshunok, accueilli l’événement (et ses dix à quinze millions de dollars de recettes annuelles) à bras ouverts. Le PréZident y a donc déplacé, en l’espace de quelques mois seulement, le line up du festival-nation, ses stars internationales et locales, son extravagance, ses détritus humains à l’aurore, ses coïts avortés dans les vagues, ses voisins qui n’y comprennent rien et, plus largement, la quintessence de l’esprit rave du 21ème siècle, et le bonheur, évidemment. Elisabeth Debourse a été stagiaire pour Noisey France pendant 3 mois. Elle sait ce qu'est le vrai bonheur. Elle est sur Twitter - @ElisDe Plus de KaZantip et de festivals sur Noisey La république rave de KaZantip
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