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Music

Au milieu des années 80, le Parano-Funk a défoncé les oreilles et les narines de tout le monde

Le pire du hard + le pire du funk = le meilleur du Parano-Funk.

Vers la fin des années 70, une poignée de pulsions musicales américaines totalement antonymiques réussirent à fusionner. Raison ? La cocaïne. Soudain, la slap-bass jazz rencontrait le tapping metal, les synthés épousaient les batteries électroniques, et l'angoisse d'Europe Centrale contaminait le feelgood de la soul-music au nom du Progrès. Le Parano-Funk naissait. 4 titres en définirent les bases : « Strawberry Letter #23 » des Johnson Brothers (1977), « Cruisin » de Michael Nesmith (1979), « Push Come To Shove » de Van Halen et « Bette Davis Eyes » de Kim Carnes (1981), mais aucun n'avait encore tous les attributs du Parano-Funk. (photo : Hall & Oates)

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A - Pourquoi « Parano » ?
Dans le Parano-Funk, les textes sont tous motivés par l'angoisse. Les meilleurs exemples sont « Maneater » d'Hall & Oates (« The woman is wild / A she-cat tamed by the purr of a jaguar »), « Somebody's Watching Me » de Rockwell (« Can the people on the TV see me or am i just paranoid ? ») et « Torture » des Jacksons (« She was up a stair to nowhere / Eyes within the dark were watchin' »). Si tu ne mouilles pas un peu le fond de ton Cerutti, t'y es pas mec.

B - Pourquoi « Funk » ?
On aurait pu dire « Parano Pop », « Cocaine Funk » ou « Goth Funk », mais aucune de ces appellations n'exprimait vraiment le mélange sexe/angoisse. La queue et les boules. Eros et Thanatos. Le mot « funk » dans son acceptation la plus libidineuse, la plus Malibu Sunrise. Le titre et le clip d' « Infatuation » de Rod Stewart incarnent à la perfection cette funkytude glauque.

C - Pourquoi « Parano Funk » ?
Parce que A + B.

Une musique riche Le pire du hard + le pire du funk = le meilleur du Parano-Funk. On garde du funk les rythmiques linéaires, sans apprêts particuliers, avec quelques syncopes lourdement soulignées par la basse (mais on le fait bien hein ?), que l'on mélange à des pulsions hard FM bon marché, notamment à la guitare (tapping, bends, harmoniques naturelles, licks pentatoniques nonsensiques) et à de l'électro de bon père de famille (minimoog, Prophet 5, arpeggiators, etc.). Au chant, on essaie de ne pas trop pousser, merci. Le Parano-Funk a besoin de calme pour mieux répandre sa menace mentale. Exemple : David Paich de Toto dans « Stranger in Town », ci-dessus. Une musique multiculturelle Des blancs et des noirs deviennent verts en prenant de la cocaïne ? Oui, c'est ça aussi le Parano-Funk. L'alliance fut limitée dans le temps, certes, mais elle fut productive. Il suffit de prendre, par exemple, la team qui enregistre l'album
Thriller pour s'en rendre compte : le meilleur du funk afro-américain propre sur soi (Louis Johnson, Greg Phillinganes) avec le meilleur du rock caucasien propre sur soi (Toto, Van Halen). Et comme Hall & Oates rejouent « You Can't Hurry Love » des Supremes sur « Maneater », Michael Jackson pompe les dits Hall & Oates et leur « I Can't Go For That » sur « Billie Jean ». Une boucle bien bouclée, malheureusement mise à mal dès 1987 par l'éclosion de la deuxième vague rap, incarnée par Public Enemy, plus radicale, qui va redistribuer les cartes communautaires chez l'Oncle Sam. Et merde… Une musique qui fait peur dans les ruelles mal famées des 80's Peu dansante, reposant sur des progressions harmoniques mineures peu favorables aux humeurs « chenille qui redémarre », et attirant les meilleurs musiciens du moment, le Parano-Funk ne laisse aucune chance à ses concurrents de l'époque : les Nouveaux Romantiques UK (et leurs brushings bowiens), la Sono Mondiale javellisée Stingo-Gabrielesque et le rock Live Aid qui, de U2 à Simple Minds, part ramasser les grains de riz pour des populations subsahariennes plutôt en demande de billets verts. Billets verts que nos
paranofunksters sont ravis de distribuer, à conditions qu'il soient livrés par Quincy Jones (« We Are The World », avec Hall & Oates, Kim Carnes, Michael Jackson et la mafia Porcaro de Toto). Notons, par ailleurs, un goût prononcé pour les bruits de fouet synthétiques (« Torture », « Stranger In Town »), qui en dit long sur la mentalité régnant chez nos samaritains. Une musique sans héritiers En 1979, le premier règlement de compte public lié au trafic de drogues a lieu à Miami, dans un supermarché, au milieu de clients terrorisés. Parallèlement, en Colombie, le cartel de Medellin s'installe tranquillement comme pourvoyeur #1 de Charlie sur le Nouveau Monde. La circulation de coke aux USA va ainsi doubler et tripler durant les années suivantes. Ce n'est qu'en 1986 que la situation va s'inverser sur le coup de décisions de Washington mais aussi de luttes intestines au sein de la Colombian Connection. C'est aussi -et ce n'est assurément pas une coïncidence- en 1986 que le Parano-Funk s'éteint. Le temps que la marchandise passe de Floride en Californie, David & David ont le temps de fignoler leur « Boomtown » («
Ms. Cristina drives a 944 / Satisfaction oozes from her pores / She keeps rings on her fingers / Marble on her floor, cocaine on her dresser / Bars on her doors, she keeps her back against the wall ») et de magistralement refermer le chapitre de ce genre musical, qui ne laissera aucune descendance. À moins de considérer que le rap West-Coast 90's en soit une, même si on pourra légitimement arguer qu'il manque cruellement de guitares Spandex et d'épaulettes rembourrées.

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Comment écrire un morceau de Parano-Funk ? C'est assez simple. Branchez un DX7, jouez un La mineur en arpèges de manière obsessionnelle. Programmez votre Linn sur un 4/4 primitif en, disons, 110 bpm (restons middle-of-the-road). Envoyez une basse arpeggiator en La. Prenez-un micro, mettez de la reverb et articulez clairement, sur la mélodie la plus flippante que vous trouverez, les mots : « Afraid », «Night », «Cocaine», «Spider» et «Tony Montana » (dans l'ordre de votre choix). Passez en Mi mineur pour le refrain, demandez à un pote guitariste de faire du tapping par-dessus, habillez le tout de hand-claps et de quelques Sax Crimes pendant le solo ou la coda et voilà. Une fois que vous avez une démo, faites-la écouter sur l'autoradio Blaupunkt de votre Cadillac Coupe De Ville à un colombien de passage. Imparable. En passant, déclarez moi à la SACEM c'est sur votre route. C'est à Neuilly, je sais c'est chiant. Mais après vous pourrez aller au Quick des Champs.

Un cas d'école : Russ Ballard - « Voices » La quintessence du genre. Sorti en 1984, « Voices » de Russ Ballard, un laborieux popper rosbeef exilé à L.A, contient toutes les caractéristiques du Parano-Funk. Et, cerise sur le gâteau, il apparaît dans un épisode de
Deux Flics à Miami intitulé « Le retour de Calderone ». Ce morceau c'est l'épilation intégrale : intro moustiquaire de l'espace, cocottes chorusées à la Police, batterie relou gate reverbée façon Phil Collins, soli bien décomplexés genre t'entends la gourmette qui claque sur le manche, et Ballard, qui entend des
« voix dans la chambre de sa tête dont il a la clé » (t'as capté l'isolement ?). C'est Bernadette Soubirous en Testarossa, le mec. Et évidemment, il ne met pas de chaussettes, comme Sonny Crockett. Un exemple français : Jean-Luc Lahaye - « Peur » En France, on a aussi une Riviera, de la coke et des synthés, mais bizarrement tout le monde s'en fout. Pour faire bonne mesure, on dira que le titre « Peur » (1984), du redoutable Jean-Luc Lahaye, représente la plus grande réussite Parano-Funk locale. Les thématiques sont là
(« Envahi par l'envie dans la fumée des ombres »). Intro impeccable, riff de synthé correct. Et puis la petite touche vocale Guichard/Sardou arrive dans le refrain, dès lors on pense moins à de la pure colombienne qu'à de la Valstar. Cool.

Que nous disait le Parano-Funk sur nos vies, nos destins, nos amours, nos amitiés ? Que la prise de cocaïne associée à une activité physique et à des compléments alimentaires adaptés peut, pendant une courte période, permettre une
floridisation de soi. Floridisation qui entend une érotomanie permanente, une paranoïa malsaine et une envie compulsive de marcher, manches de tuxedo retroussées, sur des dalles de trottoirs qui s'allument sous ses pas. Floridisation qui ne peut malheureusement pas durer. En effet, où sont désormais Michael Jackson et ses frères ? Rockwell ? Russ Ballard ? Corey Hart ? James Ingram ? Perdus dans les eaux profondes du Léthé et de l'Eté permanent que furent les early 80's, période où je ne sais plus trop où j'en étais. Ah oui. Michael Jackson est mort. Mais pas Michael Sembello. Alister est à peu près aussi parano que funk. Il sort bientôt son troisième album, Démocratie Chinoise
, et dirige avec une érotomanie permanente la @SchnockRevue.