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Music

Un téléphone, sept rappeurs et trois brosses à dents : les dessous de la célèbre vidéo tournée dans une prison de Caroline du Sud

L'ancien détenu Desmond Metcalf nous raconte les conditions dans lesquelles a été tourné le clip de rap le plus vu en 2014.

Il y a deux ans, nous avions publié un article titré « Comment un clip de rap a foutu en l'air l'intégrité du système carcéral américain ». Dans une cellule du centre pénitentiaire de Kershaw, devant un lit superposé, sept hommes exécutaient avec force et enthousiasme deux chansons qu’ils avaient eux-mêmes écrites, intitulées « I’m On » et « Mix Da Game Up ». La performance, filmée par un téléphone portable entré en douce dans l'enceinte du pénitencier, se présentait comme le premier clip tourné illégalement en prison, et allait être vu plus d’un millions de fois.

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Cette histoire est de nouveau revenue au premier plan en octobre dernier quand Dave Maass, chercheur associé au groupe de défense des libertés individuelles Electronic Frontier Foundation, a exhumé des archives publiques prouvant que ces prisonniers avaient par la suite écopé de 20 ans d’isolement, et s’étaient vu privés de visite, de cantine et d’accès aux communications téléphoniques. La direction de la prison les considérait comme des membres d’un « groupe menaçant la sécurité » - en d’autres termes, un gang de prison. David Fathi, directeur du American Civil Liberties Union's National Prison Project, avait à l’époque confié à Buzzfeed News que même « un an ou six mois d’isolement était déjà largement excessif ». Quant à la porte-parole du Département pénitentiaire de Caroline du Sud, Stephanie Givens, elle a maintenu que ces hommes étaient « les membres d’un gang, et représentaient une menace permanente pour la sécurité ».

Parmi ces sept détenus, il y avait Desmond Metcalf alias Yung Real, 28 ans à l’époque, qui a depuis été libéré. Il a passé plus de six ans en prison pour une série de vols commis à Columbia. Il nous a décrit comment avait été réalisé cette vidéo.

Desmond Metcalf

: J’ai commencé à rapper au lycée, avec les potes, pour se rappeler le bon vieux temps. Quelqu’un faisait le beatbox et on envoyait le flow. C’était juste du freestyle. Je n’ai jamais rien écrit jusqu’à ce que j’arrive en prison. C’était en 2010.

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J’ai rencontré les mecs de la vidéo dans mon dortoir au centre pénitentiaire de Kershaw. On était en tôle pour les mêmes raisons : vols, homicide. On était donc dans le quartier dit de « détention moyenne », où ils mettent les gosses turbulents, ceux qui cherchent la merde tout le temps. Dans le dortoir, il y en a qui jouent aux cartes, aux dominos, ou qui cuisinent. Nous, on faisait des sessions de rap. Quelqu’un tapait sur la porte pour faire le beat, et on faisait du freestyle à tour de rôle.

Un jour, on a joué pour des visiteurs invités à une cérémonie de remerciement organisé par les pasteurs de la prison. Il y avait une femme en fauteuil roulant. On a chanté quelques chansons de rap gospel, et l’une d’entre elles disait « If you a leader like I'm a leader then stand up » [« si toi aussi tu es un leader, lève-toi »]. La femme a pris la main de la personne à côté d’elle et s’est levée de sa chaise !

L’un d’entre nous avait un téléphone portable. On en trouve beaucoup en prison, en tous cas en Caroline du Sud. Ce sont les visiteurs, les gardiens et d’autres membres du personnel qui les font rentrer. Ils viennent bosser à la prison pour gagner leur vie, mais certains font des heures sup', si tu vois ce que je veux dire. J’ai vu un gardien se faire 1000 $ pour un téléphone à 20 $ de chez Walmart. Alors un écran tactile, laisse tomber, mec. C’est le jackpot pour lui. Il y a bien des enquêtes sur ce trafic, mais tu ne peux pas l’arrêter.

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On dit que les prisonniers se servent de leur téléphone pour gérer le deal à l’extérieur. Mais il y en a aussi qui s’en servent pour payer les factures de leur famille, comme le loyer, l’eau, internet, ou l’assurance de la voiture. J’ai même vu un type acheter en prison une voiture pour sa famille. Et puis on s’en sert pour s’amuser. On n’a rien à faire ici, alors évidemment on essaye de rester au courant de ce qui se passe dans le monde extérieur, d'être en contact avec nos proches. Beaucoup ne peuvent pas se permettre d’appeler depuis les téléphones officiels, donc certains louent leur téléphone portable. Quasiment tout est fait avec des cartes de débit prépayées Green Dot, c'ets pour ça que dans une de nos morceaux, je rappe « they call me Green Dot ».

Le premier titre de la vidéo, « I’m On », a été écrit par Joshua Frazier. On a juste fait le refrain ensemble, en improvisant sur le beat. J’ai co-écrit le deuxième, « Mix Da Game Up ». C’était après avoir rencontré un des autres rappeurs, Kasper Mingo, de Greenville, et un autre mec de Charsleston - moi je viens de Columbia. On rappait ce truc : « Yo ! We're from the top three cities in South Carolina. We're mixing the game up, covering the whole map! » [« Yo ! On vient des trois plus grandes ville de Caroline du Sud. On réunit tout le monde, on est sur tout le territoire ! »]. À Charleston, ils disent sans arrêt « mix », alors notre pote a sorti : « Mix, mix, we 'bout to mix da game up. » Et on est partis là-dessus. Les gardiens font des rondes toutes les 30 minutes, donc on attendait qu’ils passent et on s’y remettait. On s’est vraiment éclatés.

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Le mec qui a fait le beat s’appelle Quincy. Trois brosses à dents et une porte, et il te fait un son de studio.

Au départ on voulait mettre la vidéo seulement sur Facebook et la montrer à nos potes. Mais un de nos amis bosse dans la promotion musicale et l’a envoyée à WorldStarHipHop. Ça a si bien marché qu’un des gardiens de la prison l’a vue. Ils ont verrouillé notre secteur et nous ont amenés un par un pour parler aux enquêteurs. L’un d’entre eux m’a dit : « Je souhaite te féliciter. J’ai bien aimé ce que tu fais dans la vidéo. Vous avez un millions de vues, les gars ! » Il souriait, pour de vrai. Les gardiens se sont un peu pris la tête entre eux, mais bon, on était connus pour rapper, chanter et foutre le bordel. C’est comme à l’école quand le proviseur t’appelle par ton nom. Ils savaient très bien qui on était.

Certains types de la prison nous disaient des choses du genre, « vous allez êtres célèbres, les gars ! » La plupart des retours ont été positifs. Les gens disaient : « Maintenant il faut sortir d’ici et continuer votre truc dehors. Ne lâchez rien. » Quand tu fais ce genre de choses en prison, on te voit comme une célébrité. On te regarde sans rien oser dire. Et puis il y a ceux qui n’aiment pas l’idée que tu cherches à être célèbre.

Les enquêteurs nous ont demandé : « Pourquoi avez-vous fait ça ? » Je me suis dit, « tu crois quoi ? On est des rappeurs ! Bien sûr qu’on veut être médiatisés. » Ils disaient qu’on avait monté un gang. Bon, deux d’entre nous faisaient en effet partie d’organisations, mais comme tu peux le voir, on s’entend bien, on traîne ensemble, on a monté le projet pour défendre une cause : faire de la musique. Il ne s’agissait pas du tout de promouvoir les gangs, mais bel et bien la musique. On voulait montrer aux gens qu’il y a du talent derrière les barreaux d'une prison.

Ils m’ont mis en isolement pendant 11 mois, mais ça n’a heureusement pas eu d'impact sur ma sentence ou quoi que ce soit d’autre. Je suis sorti en octobre dernier, et je suis maintenant de retour à Columbia. Je suis allé en studio pour enregistrer deux morceaux, essayer de faire une mixtape, quelque chose de léger à distribuer, juste pour montrer aux gens qui je suis. J’espère aussi que la vidéo de la prison va m’aider à me faire un nom. Je rencontre plein de gens à qui je la montre et ils l’ont tous déjà vu lors de sa sortie. Le monde entier l’a vu.