Des affrontements ont éclaté le week-end dernier au Mali entre les communautés peules et bambaras, relançant de fait les tensions communautaires qui agitent le centre du pays. Selon le bilan officiel des autorités, on décompte 13 victimes, mais des résidents contestent toutefois ces chiffres — les riverains faisant état d’au moins 30 décès, selon l’Associated Press.
RFI rapporte qu’une enquête des autorités maliennes est encore en cours pour établir l’origine de ces affrontements, qui ont opposé des éleveurs peuls à des agriculteurs bambaras. Ces heurts auraient éclaté après l’assassinat d’un commerçant bambara dans les environs de Ké-Macina, à environ 300 kilomètres au nord-est de Bamako, selon Modibo Dicko, le président d’une association de défense des droits des Peuls. Les Bambaras auraient alors entamé des opérations de représailles contre les Peuls, tenus responsables de cet assassinat.
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Les tensions entre les éleveurs peuls et les agriculteurs bambaras ne datent pas d’hier. Alors que la violence était principalement confinée au nord du Mali, ces conflits sont devenus de plus en plus fréquents dans le centre du pays après 2015, quand un mouvement armé fondé par Amadou Koufa s’est constitué dans la région. Ce prédicateur peul est également un allié du groupe djihadiste Ansar Dine.
Selon Mathieu Pellerin, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et au Centre pour le Dialogue Humanitaire, l’existence d’une katiba d’Ansar Dine composée majoritairement de peuls a « jeté le discrédit sur la communauté peule de la région de Mopti et du nord de la région de Ségou », où Ké-Macina est localisée.
« Depuis 2015, les incidents de nature foncière ou de simples conflits de voisinage impliquant des Peuls prennent une tournure ultra-violente parce qu’ils sont systématiquement suspectés d’appartenir à la nébuleuse djihadiste », explique à VICE News le chercheur spécialiste en géostratégie dans la région du Sahel. « Les Bambaras, comme d’autres communautés sédentaires, se sont rapidement organisés en milices. Depuis, des conflits surviennent régulièrement sans qu’aucun mécanisme pérenne ne permette de contenir ces poussées de violences. »
Amalgame entre identité communautaire et appartenance à un groupe djihadiste
Pour Matthieu Fau-Nougaret, spécialiste du droit public et de l’aide au développement en Afrique, les conflits concernant les Peuls ont souvent pour origine des problèmes fonciers. « Il s’agit originellement d’une population nomade, des pasteurs, qui entre en conflit avec les agriculteurs, car les États du Sahel n’ont jamais vraiment eu le courage d’adopter un code foncier qui réglemente les droits et devoirs de chacun », nous explique-t-il.« Il s’agit là d’un problème récurrent dans toute la zone sahélienne, qui peut ensuite être instrumentalisé par les terroristes », conclut-il.
Pour mettre fin à ces tensions, Mathieu Pellerin avance qu’il faudrait mettre en place à court termedes « cadres de concertation permanents » pour « désamorcer au plus tôt une crise de cette nature, toujours fondée sur des logiques de représailles dictées sur l’amalgame entre identité communautaire et appartenance à un groupe djihadiste ».
« L’Etat doit absolument décourager toute forme de “milicianisation” et éviter les dynamiques d’armement des communautés. Parce qu’en retour, cela pousse objectivement les Peuls à rejoindre des groupes djihadistes pour y chercher protection. C’est ce que nous avons vu avec le MUJAO [Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, né en 2011 d’une scission d’Al-Qaïda au Maghreb islamique], en 2012 dans la région de Gao et à Douentza ». À plus long terme, la cohabitation des communautés passe par une « révision du Code foncier et son application à la lettre ».
« Les Peuls sont les premières victimes de ces violences, car de nombreux Peuls (notables, leaders religieux) sont éliminés du fait de leur opposition aux groupes djihadistes », explique le chercheur de l’IFRI. Selon lui, l’État malien doit également veiller à empêcher toute exaction ou bavure de la part de l’armée pour diminuer la tension dans la région. « Il y a énormément d’exactions, spécifiquement contre des Peuls sur la même idée erronée que tout Peul serait djihadiste. Or, ces exactions font le jeu des groupes djihadistes, les victimes voyant à nouveau dans ces groupes un moyen de se protéger. Il y a donc un gros travail de sensibilisation à faire au sein de l’armée afin d’empêcher toute forme de bavure ou exaction. »
Selon le gouvernement malien, le calme est revenu ce lundi, après l’intervention des autorités nationales et communautaires. Mais les problèmes de fond demeurent.
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