Cet article a été publié dans le cadre du partenariat entre VICE et le Red Star et a été rédigé en toute indépendance.
En mai dernier, quelques heures avant le titre de champion de National, l’avenir du Red Star se jouait en coulisses. Dirigeants et supporters du club, ainsi que des acteurs de la région – Valérie Pécresse la présidente de la région Ile-de-France, Stéphane Troussel, président du département de la Seine-Saint-Denis, William Delannoy, maire de Saint-Ouen – se réunissaient pour discuter de l’avenir du stade Bauer. Une réunion qui a entériné la reconstruction sur site du stade mythique de l’étoile rouge.
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Quelques semaines plus tard, le stade Bauer intégrait les projets retenus dans le cadre de la deuxième édition d’Inventons la Métropole du Grand Paris, un appel à projets urbains. Passés au crible pendant plusieurs mois, les trois finalistes devraient être dévoilés ce mardi 16 octobre. Les détails seront eux rendus publics début 2019. « Le pire planning prévoit une fin de construction en 2023. Puisque pour être inclus dans le programme global des Jeux olympiques 2024, il faut être prêt au plus tard en septembre 2023. Ce serait une belle symbolique que Bauer soit acteur des JO cent ans après y avoir participé en 1924 », commente Patrice Haddad, président du Red Star.
Alors que les joueurs de Saint-Ouen sont une nouvelle fois exilés cette saison – à Beauvais – la reconstruction a été choisie au détriment de la rénovation de Bauer, alternative préférée par les plus fervents supporters audoniens, qui se demandent où jouera leur club pendant la période de reconstruction. « Les normes des stades professionnels augmentent toujours et dans le cadre d’une rénovation a minima, nos problèmes actuels se reposeront dans cinq ans », défend Grégoire Potton, directeur général du Red Star.
Un mode de financement qui change
À Bordeaux avec le Matmut Atlantique, à Nice avec l’Allianz Riviera, à Lyon avec le Groupama Stadium, ou à Lille avec le stade Pierre-Mauroy, de nombreux équipements ultramodernes sont sortis de terre ces dernières années, en marge de l’Euro 2016. Au bout de quelques années, les bilans sont plus que mitigés. Les gradins clairsemés sont notamment pointés du doigt. « En France, après le Mondial 2006, on a eu une fascination pour les stades allemands. En lisant le rapport de 2009 de la commission Grands stades, qui portait sur l’Euro 2016, on avait le sentiment qu’il suffisait de construire un stade pour générer de l’argent et permettre au club d’être compétitif. C’est une erreur un peu française de penser qu’il suffit de construire un stade pour que le public vienne », s’étonne Michael Delepine, auteur du livre Les stades du football français et d’une thèse sur le stade de Colombes. Sur la dernière saison de Ligue 1, les stades de Nice, Bordeaux et Lille affichent un taux de remplissage moyen compris entre 63 et 67%.
L’un des plus gros soucis de ces enceintes réside dans leur mode de financement. Historiquement, c’est la municipalité qui finance le stade de son club. Mais la réduction des capacités de financement des collectivités territoriales a remis en cause ce modèle et favorisé l’émergence du partenariat public-privé (PPP), comme à Lille, Bordeaux ou Nice. « Avec ce système, le privé finance le stade et la collectivité rembourse ou paie pour son utilisation, » indique Pierre Chaix, spécialiste d’économie du sport et maître de conférences à l’Université Pierre-Mendès-France de Grenoble, avant de poursuivre : « La construction d’un nouveau stade doit offrir au club de nouvelles ressources. Or avec un PPP, ce n’est pas le club qui exploite le stade, mais les grandes sociétés du BTP comme Vinci, Bouygues ou Eiffage. »
Michael Delepine constate, lui, qu’avec l’étalement urbain, les stades s’éloignent de la ville pour de nouveaux territoires. « À Lille, l’ancien stade Grimonprez-Jooris était aux pieds de la citadelle, alors que le nouveau stade est à Villeneuve-d’Ascq. »
Brasserie artisanale et salle de boxe
Ces difficultés sont prises en compte par les dirigeants du club de Saint-Ouen. « Vue la taille de la parcelle, Bauer ne peut pas excéder 20 000 places. De plus, les stades évoqués sont tous bâtis hors de la ville. Bauer restera sur le même site, c’est le plus important », argumente Grégoire Potton. Dans l’esprit de l’équipe dirigeante, l’arène sera moderne, mais reflètera la mentalité du club. « Il faut de l’ambiance, des tribunes pleines. On préfère le modèle du stade en centre-ville qui garde son identité et qui offre une expérience unique », poursuit Potton.
De plus en plus, l’enceinte sportive s’inscrit comme un des éléments d’une recomposition architecturale et territoriale : construction de bureaux, de logements et revitalisation d’un quartier. Une mutation urbaine qui n’est pas toujours du goût des riverains, comme le montre actuellement le projet Yellopark, qui vise à construire un nouveau stade et redynamiser le quartier de la Beaujoire, à Nantes. Pour Pierre Chaix, l’inscription du stade dans un écosystème global est de plus en plus présente : « Quand Jean-Michel Aulas bâtit le nouveau stade de Lyon en dehors de la ville, il prévoit la vente des terrains autour du stade à des groupes hôteliers ou à des supermarchés pour financer une partie du stade ».
Ce modèle économique privé oblige à penser au-delà du stade en lui-même. C’est d’ailleurs un des points clés de la reconstruction pour le président Patrice Haddad : « Un stade public n’a pas de retour sur économies, à part un bail. Une construction privée doit s’équilibrer avec un modèle économique rentable. Un stade coûte cher, Bauer aura une capacité minimum de 12 000 places, ce qui ne permettra à l’enceinte de se rentabiliser seule. »
Brasserie artisanale, salle de boxe, terrains de basket, salle de théâtre, Grégoire Potton a déjà quelques idées quant à la dynamique à insuffler : « Il faut une activité économique, mais cohérente. Que les gens qui iront à la salle de boxe aillent au stade et vice-versa. Nous voulons construire un écosystème autour de la pratique du sport, pas un casino géant. Il est inconcevable de construire un centre commercial. C’est même un anti centre commercial qu’il faut construire selon nous ». Un développement qui nécessitera notamment la création d’espaces de circulation entre la rue du docteur Bauer et des Rosiers pour une meilleure gestion des flux de supporters.
L’expérience stade en pleine mutation
D’un point de vue purement architectural, le Red Star imagine « un stade qui conserve son âme actuelle, à l’anglaise, aux tarifs populaires, où les gens se mélangent, pourquoi pas construit en briques rouges. Un lieu typiquement intégré à Saint-Ouen ». Le rapport du public au stade a toujours quelque chose de particulier. « Bauer est tout sauf beau, mais il dégage un truc génial. Le public s’y est attaché », estime Michaël Delepine.
Si certains clubs ont perdu de leur singularité et de leur atmosphère en changeant de stade, l’histoire a également prouvé que modernité et tradition ne sont pas forcément antinomiques. Il y a quelques semaines, la tribune Marek du stade Félix-Bollaert à Lens a abandonné les sièges régulièrement piétinés pour des barrières anti-écrasement, inaugurant ainsi le retour des tribunes debout en France. Un aménagement qui était demandé depuis des années par les supporters. En Allemagne, à Gelsenkirchen, le tunnel par lequel les joueurs de Schalke 04 pénètrent sur la pelouse de la Veltins Arena est conçu à l’image d’un puits de mine. Une référence à la très riche histoire minière qui fait la tradition et la fierté de la cité de la Ruhr. Un clin d’œil historique dans l’une des arènes les plus modernes d’Europe, qui accueille chaque week-end plus de 61 000 spectateurs.
D’après de nombreux observateurs, « l’expérience stade » est amenée à évoluer en même temps que les innovations technologiques. « Les spectateurs auront accès à des films qui présentent les joueurs, le match et les performances. Il sera possible de commander un sandwich en restant sur son siège. C’est le marketing expérimental, un service supplémentaire qui va attirer un public plus familial », envisage Pierre Chaix. Des aménagements qui soulèvent plusieurs questions : jusqu’où pousser l’innovation ? Comment moderniser une enceinte sans lui faire perdre son charme et son histoire ? A Dortmund, la simple installation du Wi-Fi dans le stade a montré ses limites. Sa puissance a rapidement été réduite, après constat que les supporters se concentraient moins sur le match, et que l’ambiance, argument marketing numéro du club, diminuait.
Pour Michael Delepine, « on va vers une uniformisation, mais elle a toujours été là. Le stade originel, grec, est une unité de mesure : 192 mètres. Aujourd’hui, les mêmes modèles s’étendent en Europe. Quand on regarde les photos de l’Emirates à Arsenal, de la Luz du Benfica Lisbonne ou du Wanda Metropolitano à Madrid, on a l’impression d’observer le même stade. Trois niveaux, une forme semi-circulaire, les loges au milieu… On va aller vers des stades qui se ressemblent de plus en plus, mais il y aura toujours des gens qui voudront autre chose. » Reste à savoir quoi.
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