Comme l’univers, l’Internet est immense et en expansion permanente. Par conséquent, toutes les vidéos qui y sont postées ne peuvent pas devenir virales, même quand elles le méritent.
Cela explique sans doute pourquoi, à l’heure où j’écris ces lignes, seuls 552 heureux élus ont regardé cette véritable oeuvre d’art contemporain, publiée en 2013 :
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On y voit une limace, plongée dans l’obscurité, qui se régale d’un gros spliff sur fond de musique nulle libre de droits (on l’espère, du moins). Quatre ans plus tard, on ne sait pas grand-chose de cette courte vidéo ; tentons de comprendre ce qui s’y passe.
Selon deux spécialistes des invertébrés à qui j’en ai parlé, cette limace appartient à la famille des Arionidae. Et au vu de sa couleur marronasse sur le dessus et orange vif sur le dessous, on peut affirmer sans risques qu’il s’agit d’une Arion vulgaris.
Au fil des manoeuvres astucieuses du réalisateur, qui nous régale avec son iPhone 5S (on est en 2013, n’oubliez pas), les activités de notre bon pépère gluant se révèlent peu à peu. De toute évidence, il mâche du papier. Les limaces aiment le papier.
Donner de la weed à des limaces et des escargots correspond à un mème qui n’a jamais vraiment décollé, et faire fumer de la weed à un gastéropode, comme l’explique très bien Reddit, n’est pas une invention récente. Par exemple, ces individus avaient approché un briquet beaucoup trop près d’un escargot en tentant de lui faire fumer un joint. Cet autre escargot, lui, a tout simplement dit non.
Les limaces aiment détruire des plants entiers de cannabis, dévorant allègrement les feuilles et les tiges et pondant des oeufs un peu partout. Elles sont si pénibles pour les cultivateurs qu’elles ont droit à leur propre article dans la vénérable Cannabis Encyclopedia, un guide de culture et de consommation de référence de la plante du stoner.
Cette vidéo est très belle, mais elle laisse beaucoup de questions sans réponses : les limaces ont-elles encore plus la dalle après avoir mangé de la weed, ou ne ressentent-elles pas les effets du THC (auquel cas le cannabis n’est pour elle qu’une plante verte parmi d’autres, comme la salade) ? De la weed séchée et roulée leur est-elle aussi appétissante qu’une belle feuille bien verte et vivante pleine de chlorophylle ? Ingérer du cannabis est-il dangereux pour les limaces ?
Aucune fumée ne ressort de son orifice respiratoire : on sait tout du moins que la limace n’inhale pas.
Quant à mes spécialistes des invertébrés, ils sont restés assez perplexes devant cette oeuvre d’art.
“Les limaces sont des herbivores assez peu difficiles, elles mangent n’importe quelle plante, ou presque. J’imagine que les joints peuvent leur plaire…, m’a expliqué par e-mail Morgan Jackson, doctorant en entomologie à l’université de l’Ontario. Je n’ai aucune idée des effets que cela peut avoir sur elles, et on aurait sans doute du mal à les observer vu qu’elles se comportent déjà comme si elles étaient défoncées le reste du temps.” Pas faux.
Le Dr. Menno Schilthuizen, chercheur spécialisé dans les escargots et les limaces au Centre d’études sur la biodiversité de Leyde, aux Pays-Bas, pense pour sa part que c’est le papier qui a attiré notre bestiole. “La plupart des limaces se nourrissent de détritus, m’a-t-il expliqué. Elles se régaleraient de l’extérieur du joint, vu que les escargots et les limaces adorent le papier, mais je ne suis pas sûr que le contenu les attire vraiment.”
C’est à ce moment-là que notre belle histoire prend un tour plus sombre. La poudre de tabac, ou “snuff”, est utilisée pour éradiquer les limaces et les escargots dans les champs. Des études montrent que le tabac tue efficacement les limaces, et l’extrait de tabac mélangé à de l’éthanol les attire pour mieux les tuer. Autrement dit, si la limace dévorait le papier et se trouvait en contact avec un mélange de weed et de tabac, elle en mourrait sûrement.
“On ne sait pas si les limaces sont affectées par les principes actifs du cannabis“, explique Schilthuizen. Il y a clairement un vide dans la littérature scientifique sur ce sujet.
On peut seulement espérer que cette limace ait eu le temps de mâcher un peu de weed avant de tomber sur le tabac. Quoi qu’il en soit, sachant que l’espérance de vie moyenne d’une limace est de 12 mois, on ne peut qu’admirer son oeuvre à titre posthume. Repose en paix, gastéropode déconneur.