Rencontre avec les amateurs de murderabilia

Une corde de pendu au True Crime Museum d’Hastings

Quand j’étais petit, j’ai trouvé une dent humaine. C’était dans un lotissement au beau milieu d’un pâté de maison, et j’ai vu une sorte de grand trou avec un jardin en friche. Mes parents m’interdisaient d’y aller. Selon eux, on n’y trouvait que des seringues usagées laissées par les junkies du coin. Je ne les ai pas écoutés.

Videos by VICE

Un jour, je suis allé au jardin avec des amis et on a décidé de creuser un trou. On a ôté de pleines pelletées d’humus jusqu’aux racines. Et, tandis que j’en jetais une grosse derrière moi, j’ai aperçu un truc blanc et carré. « C’est une dent », ai-je signifié à mes amis qui s’attroupaient autour de la découverte.

La vérité, c’est qu’un tueur en série, John Christie, avait vécu un temps dans cette maison. C’est ici qu’il a tué huit personnes. On dit qu’il dissimulait les corps sous son parterre de fleurs un peu partout dans son jardin. Et qu’il utilisait les os pour soutenir les barrières de son terrain. Lorsque les cadavres ont été découverts, Christie fut pendu et sa maison rasée. La mairie ordonna la plantation du parc peu de temps après la condamnation.

J’ai conservé la dent dans un tiroir de ma table de chevet jusqu’à mon adolescence. Je ne sais plus vraiment quand elle a disparu. Je suppose que c’est quand j’ai commencé à payer des impôts – ce moment de votre vie ou vous réalisez que vous n’avez plus besoin de votre short de Chelsea taille XS ou de votre bouquin de maths de cm2 pour continuer à vivre. Cela dit, je me souviens bien avoir été sûr de tenir dans le creux de ma main une partie de l’histoire de Christie. Je ne le savais pas encore, mais j’étais devenu un collectionneur de murderabilia.

Les collectionneurs de murderabilia sont précisément ce qu’ils paraissent : des gens qui recherchent des objets associés à des assassinats. Le phénomène est né aux États-Unis, mais les Britanniques possèdent eux aussi leur communauté, idolâtrant pièce après pièce les pires êtres humains à être apparus au Royaume-Uni.

La première fois que j’ai entendu parler de cette communauté, c’était dans un livre sur Fred et Rose West, amoureux des oiseaux et tueurs en séries. En 1987, le couple a tué leur fille de 16 ans, Heather, avant d’enterrer son corps démembré sous les pierres de l’allée de leur maison quelque part sur Cromwell Street.

Quelques objets exposés au True Crime Museum d’Hastings

Après l’arrestation du couple en 1994, la maison est restée inoccupée un temps, puis démolie. Pendant cette période, la rumeur dit que « quelqu’un est venu récupérer les pierres de l’allée pour les incorporer à son propre barbecue ».

D’abord, cette histoire me conforta dans l’idée que je me faisais des collectionneurs – des gens étranges, rôdant dans les jardins et maisons de ceux dont la carrière est terminée, à l’affût d’artefacts associés aux meurtres de son ou sa propriétaire. Selon moi, tous ces gens étaient de sexe masculin, perdaient leurs cheveux et aucun n’avait besoin d’un événement traumatisant de plus pour devenir à son tour meurtrier. La vérité, c’est qu’ils ne sont pas du tout comme ça.

Steven F. Scouller

Steven F S​couller est un Britannique collectionneur de murderabilia qui écrit des livres sur les crimes et les assassins qui les perpétuent. Depuis son plus jeune âge, il est passionné de films d’horreur – Psycho, Massacre à la tronçonneuse ou Le Silence des agneaux notamment. Son boulot l’amène à enquêter sur les faits réels à l’origine de ses films préférés et recoupe alors sa passion pour le morbide.

Le personnage de Buffalo Bill dans Le Silence des agneaux, joué par Ted Levine, est en partie inspiré du meurtrier américain Ed Gein. Agriculteur originaire de Plainfield dans le Wisconsin, Gein s’est fait connaître en exhumant plusieurs corps fraîchement enterrés pour les transformer en trophées. Il s’est servi des visages des cadavres et en a fait des abat-jours et des masques. Il utilisait les tétons des cadavres pour se confectionner des ceintures et transformait les crânes en bols et saladiers. Avec un buste de femme, il s’est fabriqué un corset. Ce catalogue Ikea a été réalisé par Gein avec l’aide d’un rasoir ; c’est celui-ci que Steven s’est procuré.

Un dessin de l’assassin et cannibale américain Otis Toole

Bien sûr, c’est un objet glauque, et il est difficilement pensable que des personnes normalement constituées puissent payer pour acquérir ce genre de trucs. Mais l’obsession de Steven n’a rien à voir avec une quelconque fascination pour la violence. Il s’agirait plutôt d’un véritable intérêt pour des objets qui pourraient lui révéler des indices en vue de ses futures publications.

Il possède aussi la carte d’identité de Fred West, où l’on aperçoit une trace de ruban adhésif masquant ce qui semblerait être une tache de sang séché. S’il s’agit bien de sang, la carte pourrait offrir une nouvelle preuve dans l’affaire des meurtriers de Cromwell Street.

Aussi, Steven a acquis des dessins du meurtrier et cannibale américain Ottis Toole. Six meurtres ont été attribués à ce dernier, quoiqu’il en revendique beaucoup plus. Toole a dessiné des scènes de meurtres pour lesquels il n’a pas été condamné et Steven pense que ces images pourraient l’aider à résoudre plusieurs cold cases.

Joel Griggs, conservateur au True Crime Museum d’Hastings

Avant d’être collectionneur de murderabilia, Joel Griggs est père de famille. Il dirige le musée des crimes de Hastings et le jour où je l’ai rencontré, il m’a dit vouloir en faire une attraction familiale. « Ma fille adore ce truc, et elle n’a que 11 ans », m’a-t-il dit.

Parmi les objets pour Halloween, on trouve aussi de rares pièces de murderabilia. Un masque en plastique suspendu à un crochet de boucher jouxte une planche d’information au sujet d’Ed Gein. Sur le mur d’une salle, une maquette éclairée par une lampe UV révèle des empreintes digitales sanguinolentes. Une corde de pendu gît dans une autre pièce mal éclairée.

Quand j’ai demandé une photo, Joel s’est dirigé à côté d’une grosse jarre en verre qui avait un temps contenu de l’acide utilisé par le tueur John George Haigh ; il se servait de celui-ci pour dissoudre le corps de ses victimes. Joel a posé à côté.

Joel reconnaît deux choses : que l’expo n’est « pas vraiment pour les enfants » et que les objets des expositions temporaires « ne doivent pas être trop hard ». Il dit toutefois que son musée est comparable à celui de Madame Tussauds et qu’il n’y a aucun mal à présenter des objets ayant appartenu à des meurtriers.

« On me demande souvent : ”Est-ce que ça glorifie le crime ?” Et je réponds à chaque fois : non, ni glorification, ni condamnation du crime ; ça montre juste que ça fait partie de notre société, et de la nature humaine en général. » Et d’ajouter : « Est-ce instrumentaliser le meurtre pour en faire du sensationnel ? Sans doute. Mais les magazines n’en font-ils pas autant ? »

§

Joel a commencé à s’intéresser au crime à l’âge de 8 ans, après avoir été témoin d’un braquage de banque. L’un des braqueurs s’appelait John Childs, qui devint plus tard l’un des tueurs à gages les plus prolifiques de Grande-Bretagne. Il a tué six personnes, découpé leurs corps en petits morceaux dans sa baignoire avant de s’en débarrasser dans les flammes de sa propre cheminée. Il a finalement été attrapé et a payé de sa vie ces meurtres abominables.

Childs vivait dans un quartier d’employés municipaux de Poplar, à deux portes de la maison du grand-oncle de Joel, qui travaillait pour la municipalité. Ce sont ses collègues de bureau qui ont nettoyé l’appartement de Childs et déposé la baignoire à la déchetterie. Lorsque celle-ci a fermé, le grand-oncle de Joel a récupéré la baignoire pour son potager, où il s’en est servi comme d’un réservoir à eau. Aujourd’hui, la baignoire est toujours dans le jardin du père de Joel – et sans doute bientôt au musée.

Joel dit qu’il est impossible de savoir comme ça si un homme peut être intéressé par la murderabilia. « Je pensais que ces mecs étaient louches, mais en réalité pas du tout », avant d’ajouter : « Vous tombez souvent sur des femmes très distinguées qui ne disent jamais un mot au-dessus de l’autre ! »

Une disposition inspirée d’Halloween au True Crime Museum d’Hastings

Il ajoute tout de même qu’il y a des visiteurs dont les préoccupations sont plus sordides que celles de ceux évoqués plus haut. Il m’a aussi raconté que la corde de pendu fut utilisée pour l’exécution de deux condamnés à la prison Lincoln.

« On a eu une soirée d’anniversaire il n’y a pas longtemps et il y avait quelques personnes qui voulaient être photographiées avec des objets exposés. L’un des fêtards s’est passé la corde au cou. C’est là que je me suis dit : “je serai incapable de faire ça ; ce serait manquer de respect à la corde !” »

Joel a également été approché par des gens qui souhaitaient utiliser ses objets dans le cadre de pratiques SM, précisant qu’il avait reçu plus de demandes pour les objets ayant auparavant servi à tuer.

Comment Joel a-t-il réussi à réunir tous ces objets ? Les méthodes utilisées par les collectionneurs de murderabilia sont diverses. Certains peuvent chercher à devenir ami avec les familles des tueurs ou écrivent aux tueurs eux-mêmes afin que ceux-ci leur envoient des effets personnels. Ça peut être n’importe quoi : des lettres, des « œuvres d’art », des paquets de barres chocolatées et même des ongles de pied.

Steven m’a aussi révélé que les femmes collectionneuses avaient l’avantage lorsqu’elles écrivaient aux tueurs en série de sexe masculin. C’est pourquoi certains collectionneurs n’hésitent pas à se faire passer pour des femmes pour entrer en relation avec lesdits meurtriers.

Évidemment, la plupart des collectionneurs ne disent pas à la presse la façon dont ils ont obtenu leurs objets. Si les autorités découvrent que des meurtriers condamnés envoient des objets ou entretiennent une correspondance avec une quelconque personne, elles chercheront à la stopper. C’est pourquoi les collectionneurs ne dévoilent jamais leurs sources.

Mais pas Joel. Selon ses dires, sa technique consiste à écrire aux musées, auxquels ils demandent s’ils ont des choses « intéressantes » sous la main. Il nous raconte aussi qu’il possède des contacts dans la police et au sein des différents instituts médico-légaux de Grande-Bretagne.

Internet a par ailleurs élevé le marché à un niveau global via des sites internet tels que murderauction.com, lesquels permettent à des collectionneurs américains, australiens ou britanniques d’acheter un important stock de murderabilia grâce à la vente aux enchères. À l’heure où j’écris ces lignes, une œuvre réalisée par un tueur en série sataniste nommé Richard Ramirez est juste sous la barre des 1 300 euros.

Il est même possible qu’une partie de votre argent ait déjà servi à acheter de la murderabilia. En effet, une partie (très faible, je vous l’accorde) de l’argent des impôts a déjà été utilisée pour acquérir des propriétés associées à des meurtres. Le gouvernement gallois a, par exemple, acheté la maison où un homme, Mark Bridger, est fortement soupçonné d’avoir tué une petite fille de 5 ans – grâce à cette somme, l’État gallois a été en mesure de détruire l’habitation. Aussi, le musée du crime de Londres abrite depuis 1874 des trucs ayant appartenu à des criminels.

À y regarder de plus près, des collections d’objets associés de près ou de loin à la mort sont présentées dans nombre de musées de par le monde. La différence entre une épée utilisée au cours d’une bataille et une arme de meurtrier tient simplement à quelques centaines d’années.

Quoiqu’il soit plus simple d’accuser ces collectionneurs de personnes « étranges » ou « dangereuses », peu de gens s’y risquent. Sans doute parce que, comme Ed Gein l’a dit une fois : « chaque homme se doit d’avoir un loisir. »