Rendez-nous les fanzines de supporters de foot !

La culture ultra, ce n’est pas que des décibels hurlés pendant 90 minutes – et parfois des bastons à la sortie du stade. C’est aussi une affaire de mots. Car chaque groupe de supporters possède sa propre publication, dans laquelle il raconte l’actualité de son club et les déplacements de ses ultras. Aujourd’hui, c’est évidemment sur Internet que se déploient ces storytellings, mais c’est surtout à travers le support du fanzine que la culture ultra s’est construite.

Né de la contraction de « fanatic magazine », le fanzine est une publication artisanale papier, auto-éditée par des amateurs passionnés. Symbole de la contre-culture, il est né dans les années 30 aux Etats-Unis, dans le secteur de la littérature dite « de genre », notamment la science-fiction, avant de se propager à d’autres milieux alternatifs comme la bande dessinée, la politique ou la musique punk. C’est donc en toute logique qu’il a investi le monde des ultras français peu après la naissance des premiers groupes dans l’Hexagone – le Commando Ultra à Marseille en 1984, les Boulogne Boys à Paris en 1985 ou la Brigade Sud de Nice [aujourd’hui rebaptisée Populaire Sud, ndlr] la même année.

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Le fanzine de la Brigade Vikings de Caen. Image Benoit Caen.

« À cette période, le mouvement ultra était encore embryonnaire », raconte celui qui se fait appeler Ultrascore, supporter de l’Olympique de Marseille et ancien membre du Commando Ultra. Aujourd’hui retiré des tribunes, le trentenaire fait néanmoins toujours partie de l’équipe qui gère le site et le forum de mouvement-ultra.fr. « Traditionnellement, les associations de supporters communiquaient avec leurs membres par des affichages au stade ou des feuilles d’informations distribuées avant le match – que l’on continue de voir dans les coursives des tribunes, d’ailleurs. Mais à la fin des années 80, les premiers fanzines sont apparus ». En 1988, les Lyonnais ont ainsi eu Les jours heureux et l’année d’après, la Brigade Ultra de Mulhouse a eu le sien.

Parler à sa communauté

Ces fanzines relatent le déroulé des matches, les déplacements en minibus et les photos des animations menées par les groupes ultras. « À l’époque, c’était le seul moyen pour les supporters de voir l’effet produit par leurs actions », rappelle Ultrascore. Mais pas seulement : « Il est aussi le canal idéal pour communiquer dans sa tribune en toute indépendance, afficher son identité et exercer son droit à la critique et à l’humour », explique Franck Berteau, auteur de l’excellent Dictionnaire des supporters (éditions Stock). Alors, qu’importe le manque de moyens, les coquilles et autres fautes d’orthographes qui jalonnent ces publications, « l’esprit fanzine, c’est avant tout le plaisir d’écrire pour sa communauté », explique Nicolas Hourcade, professeur agrégé de sciences sociales à l’École Centrale de Lyon et spécialiste des tribunes. Avant d’ajouter : « Mais on y trouve aussi des enquêtes dans un format journalistique ».

Initialement, les fanzines, qui permettaient aussi de financer les activités des ultras (achats de tifos, location de bus…), étaient uniquement réservés aux membres et aux sympathisants. Mais avec l’arrivée des premiers fanzines dits « généralistes » – c’est-à-dire non liés à un groupe de supporters précis – le mot d’ordre a changé. Le premier, Ultra’Mag, a paru en 1990. Créé par un des membres du Commando Ultra marseillais, il sera publié pendant près de deux ans. Il évoquait l’actualité des tribunes mais, surtout, « permettait de créer des passerelles entre les groupes de supporters – même rivaux ! – afin de dialoguer et d’échanger des gadgets et des photos », précise Ultrascore. Il poursuit : « Dans un match de foot, la confrontation se joue sur le terrain, mais aussi dans les tribunes – ou dehors. Du coup, le fanzine et les images qui y sont publiées apportent la preuve des actions menées et du succès qu’elles ont (ou non) rencontré ».

Ouverture au grand public

L’ouverture au grand public est arrivée en 1992 avec le premier magazine dédié à la culture supporter : SupMag. « Avec ce support, vendu en kiosque et dont la diffusion et le tirage étaient assez larges, c’est le mouvement en lui-même qui est devenu plus visible », analyse Ultrascore. Le magazine aura même son numéro de minitel (36 15 Sup Mag) et sa parution atteindra 32 numéros et 2 hors-séries, avant de s’arrêter en août 1995. D’autres titres suivront : Authentiks Ultras, Le Douzième Homme ou Culture Tribunes, pour ne citer qu’eux. Un tournant s’est produit avec la victoire de l’équipe de France lors de la coupe du monde 1998 et l’incroyable succès populaire du foot qu’elle a entraîné.

À l’époque, Internet commençait à entrer dans les foyers français et des forums ont été créés par – et pour – les membres d’un même groupe afin de parler de la vie de leur association. Limitant ainsi, lentement mais sûrement, l’utilité des fanzines dont les parutions deviendront de moins en moins fréquentes. Du côté « généraliste », un premier chat, – #Ultras – se crée. L’année suivante, le forum Ultra Connexion est monté. À ce forum, ont notamment succédé le désormais célèbre mouvement-ultra.fr créé en 2002 et comptant aujourd’hui plus de 13 000 membres, et culture-ultras.fr, lancé en avril 2009 dont la particularité est de choisir ses membres selon un système de parrainage…

Splendeur et misère du forum en ligne

Grâce à ces plateformes d’échange et de discussion, et aux évolutions d’Internet – de moins en moins cher, de plus en plus puissant –, tout le monde a pu avoir accès, parfois juste quelques minutes après la fin des rencontres, à des comptes rendus et à des photos ou vidéos des tribunes. Mais la fin des années 2000 a marqué le début d’une période compliquée pour les ultras. La répression qui s’abattait sur eux dans les stades s’est aussi propagée sur Internet, à travers la présence de la police sur les forums. Du coup, les images et les paroles pouvaient devenir des preuves en cas d’actions en justice. « Ce phénomène, ajouté à la lassitude de beaucoup de bons intervenants, aux plaintes contre la modération (trop permissive selon les uns, trop rigide selon les autres !) et aux rivalités (voir aux guéguerres stériles) entre groupes, parfois nées de discussions et provocations sur Internet, ont fait perdre de la qualité aux forums même si, en réalité, les groupes se connectent encore dessus. », assure Ultrascore.

Habitués à faire parvenir leurs communiqués officiels sur ces derniers, les groupes de supporters ultras se sont aussi progressivement initiés aux réseaux sociaux comme depuis la fin des années 2000, bien que les positions à ce sujet diffèrent selon les groupes comme le détaille le sociologue Nicolas Hourcade : « C’est très variable selon les groupes. Certains ne sont pas dessus par principe. D’autres ont un compte officiel. D’autres encore n’ont pas un tel compte mais leurs leaders sont présents sur les réseaux et représentent le groupe de manière informelle… »

Manifestations d’ultras contre les mesures prises à leur encontre © Pascal Guyot/ AFP

Retour à la culture de l’underground ?

Sur la nécessité de diffuser la parole du groupe, les supporters tranchent également de manière différente. Pour certains, Internet est un moyen de toucher les gens autrement que par les médias – d’où l’envie d’être dessus pour pouvoir s’exprimer sans filtre. Même si, poursuit Nicolas Hourcade, « en règle générale, il y a quand même une réticence assez globale pour le monde virtuel. Au début d’Internet, pas mal de groupes y sont allés, ont créé leur site, avant d’estimer que finalement, le coté ultra est quelque chose d’underground. Et que si on l’expose trop, on le perd… Il y a aussi une critique forte dans ce milieu envers les “mythos” qui vivraient cette passion virtuellement. D’ailleurs, on trouve dans de nombreuses tribunes françaises, des banderoles adressées au public pour indiquer qu’ici, il ne faut pas être sur Internet ou les réseaux sociaux mais encourager son équipe. »

Rassurons-nous donc, une chose n’a pas changé depuis les années 80 et l’époque des fanzines : le nerf de la guerre pour les supporters ultras reste le chant et les encouragements plus que les hashtags et les posts Instagram…