« Les gens explosent parfois. Comme ça. Causes naturelles. »
Agent Rogersz, Repo Man
Si le film Repo Man défonce autant, ce n’est pas uniquement à cause de ses dialogues qu’on peut citer à l’infini, de son casting parfait ou du simple fait qu’il réussisse à mélanger Scientologie, culture hippie, consumérisme, émissions de télévision décérébrées et conservatisme chrétien sans que ça soit chiant une seule seconde. Non. Le chef d’oeuvre d’Alex Cox a aussi une bande-son qui défonce. En plus des instrumentaux chicano-surf des géniaux Plugz, on y trouve la crème de la crème du hardcore de Los Angeles : Black Flag, Circle Jerks, Fear et Suicidal Tendencies. Sans même parler d’Iggy Pop. À vrai dire, la bande originale de Repo Man a carrément ressuscité le film-lui même : six mois après qu’il ait été retiré des salles (dès sa deuxième semaine, pour « contre-performance » ), quelqu’un fit remarquer à Universal que plus de 50 000 copies de la B.O avaient été vendues. Le film refit alors son apparition en salle et se transforma en succès à la fois critique et commercial. Voici donc un hommage aux morceaux qui ont fait de Repo Man le meilleur film jamais réalisé sur une Chevrolet Malibu de 64 et de sa B.O., le meilleur disque punk des années 80.
IGGY POP – « REPO MAN »
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Dans le morceau-titre du film, Iggy Pop n’y va pas à moitié : il crache le feu dès la première seconde de l’intro, jusqu’à un final apocalyptique dans un torrent de hurlements d’ivrogne – après nous avoir fait part, entre les deux, de son inquiétude concernant les docteurs, les champignons et les hallucinations diverses qui l’entourent. Quand Alex Cox l’a approché pour lui demander d’écrire un morceau pour son film, James Osterberg vivait dans un studio vide près du Whiskey A Go-Go, à Hollywood. Dans l’interview vidéo qu’on peut voir dans les bonus de la réédition Criterion de Repo Man, Iggy Pop s’en souvient avec un léger rictus : « À cette époque, ma carrière ressemblait à un énorme hoquet – principalement à cause de mon style de vie relativement dissolu. J’étais fauché et dans les vapes la plupart du temps. Qu’on me file carte blanche pour une musique de film, je l’ai pris comme un don du ciel. » Et quel cadeau : sur le morceau, Iggy est accompagné de Clem Burke et Nigel Harrison de Blondie, et de Steve Jones des Sex Pistols.
CIRCLE JERKS – « COUP D’ÉTAT »
Déjà tracklisté sur leur album Golden Shower Of Hits de 1983, ce tube des Circle Jerks déclenche un moshpit devant la maison de Kevin, durant la scène de fête du film. Kevin est joué par Zander Schloss, qui dût remplacer Chris Penn à la dernière minute. Il deviendra le nouveau bassiste de Circle Jerks la même année. Son groupe de funk, Juicy Bananas, contribuera d’ailleurs lui aussi à la B.O. de Repo Man. « Coup D’État » marque (très justement) l’arrivée à l’écran de Dick Rude, dans son personnage de Duke, un punk des banlieues qui, à peine échappé du pogo, déclare être prêt à « commettre quelques crimes. »
SUICIDAL TENDENCES – « INSTITUTIONALIZED »
Les parrains du crossover thrash-punk pour gangsters en flanelle font leur entrée fracassante dans le monde de la bande-son au moment où Otto plie son jean avec soin, anticipant un interlude « turlute » avec Debbi durant la soirée. Au lieu de ça, Otto se fait méchamment bolosser : Debbi l’envoie lui chercher une bière dans la cuisine pendant que Duke prend sa place dans le pieu. La scène se termine avec Otto et Kevin interrompant délibérément le coït en déboulant dans la chambre. Kevin pleurniche : « Vous n’avez pas le droit d’être là. C’est la chambre de mes parents. » En gros, c’est l’équivalent cinématographique du passage mythique d’« Institutionalized » : « Tout ce que je voulais, c’était un Pepsi ! »
BLACK FLAG – « TV PARTY »
Clairement dépité après cette soirée placée sous le signe de la défaite, Otto rentre chez lui à pied, et en profite pour chanter un classique de Black Flag : « Don’t talk about anything else / We don’t wanna know / We’re just dedicated to our favorite show! » Cette satire de la Sainte Trinité ricaine – chiller devant la télé, se pinter la tronche, et, de manière plus générale, être un gros tas de merde – se trouvait à l’origine sur l’album Damaged, sorti en 1981 (leur premier album, avec Henry Rollins au chant). Repo Man peut se vanter d’avoir fait en sorte que le groupe réenregistre le morceau pour la troisième fois – la seconde étant pour leur EP de 1982, TV Party. Le truc cool dans cette histoire, c’est que chaque version fait référence à des émissions de télé différentes.
BURNING SENSATIONS – « PABLO PICASSO »
Fraîchement débarrassés de leur hit calypso branlant « Belly Of The Whale », les Burning Sensations reprennent le « Pablo Picasso » des Modern Lovers, pour les besoins de la scène où Otto pique le caddie d’un connard lambda avant d’aperçevoir Leila (Olivia Barash) en train de courir comme une dératée pour échapper à des malabars du gouvernement. Après l’avoir aidée à s’enfuir, il se fout allègrement de sa gueule quand elle lui expose sa théorie sur une possible conspiration extraterreste. Bizarrement, elle le traitera de face de pet mais finira quand même par le piner sur la banquette arrière. Étant donné que le morceau commence par « Some people try to pick up girls and get called assholes », c’est plutôt bien vu.
CIRCLE JERKS – « WHEN THE SHIT HITS THE FAN »
Scène inoubliable : le caméo des Circle Jerks, sapés comme un groupe lounge, pour une reprise acoustique de leur classique de 1983. Quel commentaire cinglant sur la lente dérive du punk vers la médiocrité ordinaire ! Otto déclare même en les voyant : « J’arrive pas à croire que j’étais à fond sur ces mecs. » Chuck Biscuits, qui venait de quitter Black Flag et qui rejoindra Danzig un peu plus tard, était le batteur de Circle Jerks à l’époque. Le groupe a dû oublier sa présence au moment de l’enregistrement, parce que toutes les parties de batterie ont été réalisés avec une boîte à rythme.
FEAR – « LET’S HAVE A WAR »
Au moment de la sortie de Repo Man, les punks angelenos de Fear était célèbres pour deux choses : 1/ Avoir déclenché une émeute sur le plateau du Saturday Night Live spécial Halloween de 1981 et 2/ Être le groupe favori de John Belushi. Bien que ce dernier ait cassé sa pipe après une overdose en 1982, Fear, eux, sont resté éternels. Ils ont même ré-enregistré leur premier album (dont ce morceau est l’intro) en 2012, pour des raisons qui m’échappent – et qui leur échappent aussi, je crois.
J.Bennett trouve que Los Angeles est un putain d’enfer. Et il adore ça.