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2010, le dernier Grand Chelem du XV de France

Les faits remontent à 2010 mais, de mémoire de supporter du rugby français, ça semble faire bien plus longtemps. Avec les récents déboires du rugby français, le Grand Chelem validé le samedi 20 mars de cette année-là, face aux ennemis jurés flanqués de la Rose, a des allures d’antiquité. Toujours présents chez les Bleus, les demis de l’époque Morgan Parra et François Trinh-Duc sont pourtant là pour nous rappeler que ce genre d’exploit, réalisé neuf fois par les Bleus dans l’histoire du Tournoi des Six Nations, n’est pas impossible.

A l’heure où l’actuel XV de France s’apprête à défier les Gallois chez eux, ce vendredi soir, se remémorer les souvenirs du dernier trophée glané ne peut pas faire de mal. D’autant que le calendrier de 2016 a des allures similaires. « Si jamais ils gagnent à Cardiff, je m’étais fait la réflexion que ce pourrait être le prochain Grand Chelem », reconnaît Didier Retière. L’entraîneur des avants de l’époque n’a rien oublié de ce Six Nations version 2010. Ni les instants horriblement tendus de cette victoire contre les fameux rosbifs (12-10), ni la bringue qui a suivi.

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Les 80 minutes de ce spectacle restreint, sous un climat digne d’un hiver londonien, le coach adjoint Retière les a vécues en tribunes, entre Marc Lièvremont, sélectionneur des Bleus, et le vice-président de la Fédération Jean Dunyach. « Au milieu du public, on était très concentrés sur ce qu’il se passait, se souvient-il, mais Marc vivait intensément les matches ! Ce n’était pas un calme. » Au terme d’une rencontre acharnée, l’effusion de bonheur est à la hauteur de l’énorme pression préalable. « On savait qu’on jouait le Grand Chelem et les Anglais avaient à cœur de nous empêcher d’y arriver », reprend l’ex-deuxième ligne Lionel Nallet.

Les trombes d’eau, le combat et la conquête ont été les principaux, voire les seuls, ingrédients de la rencontre. « On savait qu’on devait être agressifs devant, sinon ce n’était même pas la peine d’espérer, ajoute le grand Nallet. On voulait les mettre à la faute en mêlée et sur les ballons portés. On a pris l’ascendant là-dessus. Et ils n’ont eux jamais pu imposer ce qu’ils voulaient. » Âpre, serré jusqu’au bout malgré un avantage physique pris par les Bleus en deuxième période, le match a aussi célébré Nicolas Mas, nommé homme du match, chose rare pour un pilier.

Et du coup, l’émotion n’en a été que plus grande pour l’ancien première ligne qu’est Didier Retière. « En redescendant dans le tunnel, j’y ai retrouvé, tout au fond, Jean-Pierre Garuet (historique grand pilier français des années 80, ndlr) qui m’y attendait avec les larmes aux yeux ! La nomination de Nico symbolisait tout le boulot effectué tous les deux avec l’académie des premières lignes. » La reconnaissance d’un travail lancé en 2005 pour améliorer l’image du poste de pilier alors en manque de talents futurs et qui s’avère aujourd’hui payant, avec l’émergence des Rabah Slimani et Jefferson Poirot, tous les deux titulaires face au Pays de Galles, ou encore d’Eddy Ben Arous, absent en raison d’une blessure aux côtes.

Construite notamment sur l’engagement, la rencontre face aux Anglais a aussi été un symbole du jeu resserré pratiqué par le XV de France pendant ce Tournoi, après plusieurs années compliquées. « A cette époque-là, on avait un pack à maturité, avec des joueurs dans la force de l’âge, assume Retière. Ce n’était pas notre seule ambition, mais on voulait en faire une base solide. » Afin d’en tirer la confiance nécessaire à toute performance. Avec la mêlée fermée comme secteur sur lequel se recentrer dans les moments compliqués, pour marquer l’adversaire et motiver tous les hommes.

Un revirement stratégique en vue de la Coupe du monde 2011, déjà largement inscrite dans les têtes. Ce qui s’explique aussi par la présence de joueurs plus expérimentés parmi les « gros ». « Peut-être que nous avions l’avantage, devant, d’avoir une ossature à peu près sûre de partir en confiance pour le Mondial, décrypte Lionel Nallet. C’est toujours plus facile pour travailler. » En impulsant un plan de jeu des plus classiques. Un triptyque qu’un suiveur des Bleus de l’époque résume même par le remixé “défense – conquête – Bastareaud”.

Mathieu Bastareaud. Photo Charles Platiau

C’est en effet en 2010 que l’Europe du rugby découvre véritablement le bulldozer de 22 ans au centre de l’attaque des Bleus. Auteur de deux essais en Ecosse – « qui nous réussissait bien à l’époque », dixit Nallet – en ouverture de la compétition (9-18), le puissant trois-quarts impressionne ensuite son monde en marchant notamment sur l’historique centre irlandais Brian O’Driscoll. Impliqué sur deux essais tricolores contre le XV du Trèfle (33-10), Bastareaud met la France sur de bons rails, au terme d’une rencontre où les trois-quarts tricolores ont aussi montré leur envie.

Mais c’est finalement au Millenium Stadium de Cardiff que les Bleus de 2010 ont pris conscience de la possibilité d’un Grand Chelem, si vite écartée les années précédentes. Débarqué à la faveur de blessures au sein du groupe et titulaire pour la première fois en sélection ce jour-là, l’ancien Clermontois Julien Pierre n’a pas cogité devant l’opportunité : « C’était vraiment chouette. Un gros match, une ambiance de fou, des essais marqués un peu en contre et la victoire derrière ! » La première balle de match de ce Tournoi.

Sur deux interceptions de l’ailier Alexis Palisson et de l’ouvreur François Trinh-Duc, les Français mènent largement 20-0 à la pause. Face à des Gallois revenus à six points à quelques secondes de la fin, ils ont finalement profité de la roublardise de Frédéric Michalak tout juste entré en jeu. Juste après la 80e minute, l’ouvreur envoie volontairement le ballon en touche sur le renvoi, après la sirène. Victoire. Un fait de jeu si discuté que la Fédération internationale a même été obligée de légiférer à ce sujet. Ainsi est né “l’amendement Michalak”, interdisant tout coup d’envoi hors des limites du terrain après la fin du temps réglementaire. En « s’ouvrant en grand les portes du Grand Chelem » selon Pierre, désormais joueur à Pau, les Bleus ont aussi pris le temps de se lâcher à Cardiff avant un aller-retour d’une semaine en club. Direction le fameux Tiger Tiger en face de leur hôtel, où ils ont trouvé un Mike Philipps (alors demi de mêlée du pays de Galles) déjà bien attaqué malgré la défaite. A en croire les différents membres de l’époque, « le groupe vivait bien », d’après la formule bien cliché. « Il y avait quelque chose de naturel entre nous, justifie Julien Pierre. On était tous plus ou moins de la même génération, on avait le même état d’esprit, et on faisait de bonnes soirées, ça rigolait bien ! »

Solidaires jusque dans les verres à finir. Pour la soirée la plus mémorable, il faut néanmoins attendre la victoire au scénario si explosif contre les satanés Anglais – après celle, appliquée, contre l’Italie (46-20) – marquée, pour l’entrée des acteurs sur la pelouse, d’un superbe tifo tricolore. Des cris de libération au coup de sifflet final – sur lequel tous ne réalisèrent pas de suite l’ampleur de l’exploit – jusqu’aux discours de débriefing teintés de joie devant la presse le dimanche matin, la célébration ne s’arrêta pas. De l’habituel banquet d’après-match au Stade de France au VIP Room en plein cœur de la capitale jusqu’à leur hôtel dans la chic banlieue Ouest, la route fut longue et surtout tortueuse.

Égaré sur le chemin du retour au petit jour, Mathieu Bastareaud se retrouva même ramené au camp de base de Saint-Germain-des-Prés par deux journalistes venus discuter une dernière fois avec ces Bleus auteur, pour certains, d’un des plus beaux exploits de leur carrière internationale, malgré les courtes heures de sommeil. « Ça reste mon premier et mon seul Grand Chelem, résume Nallet, du haut de ses 12 ans et 74 sélections avec le XV de France. Sur une carrière, ça n’arrive pas tant que ça… » Sauf pour Michalak qui en compte trois, mine de rien (2002, 2004, 2010).

Malgré une finale de Coupe du monde perdue quelques mois plus tard au terme d’un parcours complètement inespéré et d’un relâchement consécutif à ce Tournoi 2010, peu de choses ont changé dans le rugby français. Les trois petits jours de stage de préparation en amont du Tournoi n’ont pas vraiment grandi. Le débat sur les doublons et les allées et venues des internationaux entre leurs formations de Top 14 et la sélection n’a pas bougé d’un pouce. Seule l’arrivée de Guy Novès, présenté par beaucoup comme le Messie de l’ovalie hexagonal, pourrait, disent-ils, changer les choses. Mais son mandat ne fait que débuter, à trois ans et demi du prochain Mondial.

Le Pays-de-Galles – France de ce vendredi 26 février 2016 n’a, dans ces circonstances, pas grand chose à voir avec 2010. Au-delà du contexte pourtant, un exploit sur la pelouse du Principality Stadium anciennement Millennium Stadium, ndlr) – qui ne leur a pas tellement réussi pendant la Coupe du Monde, pourrait lancer les Bleus vers un nouveau Grand Chelem attendu. Le Crunch, fameuse réception des joueurs du XV de la Rose, est espéré dans le rôle de finale le 19 mars prochain. Didier Retière veut y croire : « Cette équipe a du tempérament. Je trouve les jeunes plein de détermination même si les matches sont serrés. On sent, de l’extérieur, un bel état d’esprit. » Cardiff permettra encore une fois d’en savoir plus.