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Music

Ça fait 35 ans que les fans de The Pop Group se font lobotomiser

Mark Stewart et ses potes ont une mission bien précise : faire exploser le système.

Pour avoir une idée assez précise du genre de mecs qu'étaient les musiciens de The Pop Group, il suffit de jeter un oeil à leur tracklist. Leur premier single sur Rough Trade s'intitulait « We Are All Prostitutes ». Ont suivi « Rob A Bank » et « Forces Of Oppression », qui figuraient sur l'album « For How Much Longer Do We Tolerate Mass Murder? ». Oui, The Pop Group était clairement une bande d'insurgés, qui mêlait agitprop et Dadaïsme, punk et free jazz, paranoïa et malice. Ils étaient menés par Mark Stewart, l'une des figures les plus politiquement engagées de la première vague punk.

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Au moment où je m'apprête à rejoindre Stewart au Clapham Picturehouse's Café, je n'en mène pas large. Stewart est un géant maniaque, connu pour terroriser les journalistes - notamment John Doran de The Quietus. Mais durant les deux heures pendant lesquelles nous avons discuté, il ne m'a envoyé me faire foutre qu'une seule fois - et encore, je suis à peu près sûr qu'il l'a fait en déconnant. Juste avant, il avait griffonné des notes sur un paquet de Corn Flakes, des trucs qu'il avait l'intention d'évoquer pendant l'interview - interview qui tient plus du voyage dans le temps que d'un simple question/réponse. The Pop Group est de retour, avec des idées neuves et un plan infaillible pour faire voler le système en éclats. Et même si Stewart a aujourd'hui les yeux tournés vers le futur, il a accepté de me ramener dans le Bristol du début des années 70, où tout a commencé. « Un jour, je suis tombé sur les New York Dolls à la télé. Ça m'a retourné. Je suis devenu quelqu'un d'autre » se rappelle-t-il. Un peu plus tard, il rencontre Ian Curtis à Manchester et Bobby Gillespie à Glasgow et découvre qu'ils ont vécu la même expérience. « Au fil des années, j'ai rencontré des mecs comme moi, qui étaient restés enfermés dans leur HLM de Strathclyde ou Wales, après avoir mis la main sur Metallic K.O des Stooges, ou des albums des Dolls… C'était comme un rite de passage. Un truc qu'on partageait ».

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La petite bande de Stewart était entièrement composée de gosses marginaux de Bristol. Il raconte qu'après avoir vu une photo des Sex Pistols où ils étaient plus ou moins habillés comme eux, quelque chose a changé. « Le punk nous a apporté un certain réconfort. Si tu habites dans une ville où il se passe que dalle, tu rêves. Et je rêvais énormément, j'avais beaucoup d'ideaux qui correspondait à cette attitude qu'était le punk. Voir quelqu'un qui était dans un groupe connu et qui était sapé comme moi, c'était super bizarre. Dans notre bled, on ne ressemblait à personne d'autre. Quand on se pointait dans les clubs de funk de Bristol, on portait des pulls en mohair, pour copier Steve Jones. Les groupes, c'était pour les étudiants. Moi, j'avais 11 piges et je portais des winklepickers, et j'allais danser sur du funk super heavy ».

Cette image de Steve Jones, qui semblait appartenir à la même tribu que Stewart et ses potes, les rendit encore plus impatient de voir les Pistols en live. Le groupe était banni de Bristol, mais a fini par jouer à Caerphilly. « Il y a eu un énorme article sur les débuts du punk dans The Observer. Je suis sur l'une des photos, avec des lunettes de soleil. Elle avait été prise à ce concert, justement. »

Bristol était devenu un melting-pot culturel. Pour Stewart - un fan de funk - et The Pop Group, qui mélangeait funk, dub, et punk, c'était un endroit vital. « Dans les années 60, Bristol Omnibus a recruté des employés jusqu'en Jamaïque. Mon grand-père était content, parce que les jamaïcains savaient cirer leur pompes et bien s'habiller », se souvient-il.

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La scène hip-hop de Bristol décolla vraiment quand The Pop Group ramena des cassettes obscures de New York à la fin des années 70 et au début des années 80. The Wild Bunch, un collectif qui comprenait des membres de Massive Attack ainsi que Tricky et Milo Johnson (alias Dj Milo), commença à jouer du hip-hop dans les clubs locaux. « Moi et Grant de Massive Attack, on échange des fringues depuis qu'on est gamins. On avait l'habitude d'aller dans un magasin de sapes qui s'appellait Paradise Garage, c'était tenu par notre manager Alan Jones, qui a joué dans Amen Corner dans les années 60 ».

Bristol est une ville relativement petite, et avec assez peu de quartiers différents. Le ghetto et les quartiers bohémiens se rejoignaient. Les gamins des HLM s'incrustaient au soirées branchées. « Tu avais une interaction intense entre tous ces gens. C'est toujours le cas, je pense. J'ai grandi à la frontière des territoires de 4 gangs de skinheads différents. Mais j'avais la confiance nécessaire pour faire ce que je voulais. J'avais que 11 ans, eux en avaient le double ».

Quand The Pop Group se forma, en 1977, ils prirent le punk, le funk qu'ils avaient entendu dans les clubs, et la musique jamaïcaine, et y apposèrent un message politique hyper frontal. Le nom était inspiré de la mère de Stewart, qui racontait à ses voisins que son fils montait un groupe de pop - tout ça sans aucune ironie.

Ils s'inspirèrent aussi de l'avant-garde, dont Stewart était féru, et engagèrent le violoncelliste Tristan Honsinger. « J'ai traîné avec Sun Ra au North Sea Jazz Festival. Ma copine de l'époque était journaliste. Elle essayait de l'interviewer. Elle m'a téléphoné et m'a dit 'Mark, raboule tout de suite, il est en train de délirer'. Je suis venu, et il m'a s'est présenté à moi en me disant de quelle planète il venait, ce genre de trucs ». Quant on lui demande si il se souvient de la planète en question, Mark répond: « Neptunia, je crois ».

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Presque immédiatement, The Pop Group a décollé : « On a joué dans un club pour les 21 ans de mon frangin. On partait chacun dans un morceau différent à un tempo différent, étant donné qu'on ne savait pas jouer. Quand on est arrivé à Londres, Richard Williams du Melody Maker a trouvé qu'on sonnait comme Albert Ayler. On s'est dit, ok, si ça le fait pour vous, ça le fait pour nous. »

L'apex ne dura que le temps de deux albums, Y (1979) et For How Much Longer Do We Tolerate Mass Murder? (1980). Mais le groupe était unanimement acclamé (même Nick Cave y est allé de son petit compliment) et posait les questions qui fâchent dans leurs morceaux. Douloureux, aliénant et frénétique, le son du Pop Group était la bande-son excentrique d'une époque déjà parano et violente.

Quand ils se séparent en 1981, l'engagement politique du punk n'est déjà plus qu'une illusion. Mais le but de Stewart était aussi d'effacer les barrières entre groupe et public. « Ce que les gens ne savent pas forcément, c'est que The Pop Group était une célébration. Et aussi une bande de potes qui se chamaillaient ».

Aujourd'hui, Stewart se bat toujours pour éviter de glisser dans le « bain moussant de l'apathie ». Mais il évoque aussi la possibilité que The Pop Group devienne vraiment un groupe de pop. L'idée d'un succès mainstream ne lui déplaît pas. La reformation du groupe, pour l'instant, reste « très convenue, dans un style très Rough Trade », mais il y a des chances pour que les choses deviennent un peu plus sérieuses. Si c'est le cas, il compte bien rester aussi bizarre qu'avant : « Je parle souvent de ces agents secrets, de mecs haut placés qui sont fans du Pop Group, des pontes des grandes entreprises japonaises par exemple, ou de Matt Groening, le créateur des Simpsons, ou encore la Electronic Frontier Foundation, et tous ces labos dans lesquels on invente des trucs futuristes. Des gens qu'on a littéralement lobotomisés. Notre heure viendra bientôt. »

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Il ajoute que les gens célèbres qu'il connaît ne sont jamais devenus « hautains » même en passant du côté du mainstream. « On avait un plan : infiltrer le système et le faire exploser de l'intérieur ».

Reste à voir si The Pop Group sera réellement capable de jouer au Wembley Stadium. Je préférerai toujours les voir jouer devant 200 personnes, mais qui sait, peut-être qu'ils feront une tournée des stades en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Et il y a quelque chose de grisant à imaginer des pères de famille habitant la banlieue de New York en train de hurler « Nous somme tous des prostitués, le capitalisme est la religion la plus barbare de toutes ! »

Vous pouvez écouter la nouvelle compilation de The Pop Group juste en dessous :

Oscar est sur Twitter - @oscarrickettnow