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Quand le sexe ne vend plus : le Bangerz Tour de Miley Cyrus

Pourquoi le projet le plus ambitieux et original de la pop-star est aussi son plus gros flop.

Il y a quelques semaines, le O2 de Londres a été le théâtre d'un spectacle exclusivement basé sur le sexe, chose plutôt inhabituelle dans ce lieu aussi froid que familial, qui accueillera prochainement Il Divo et Barry Manilow. Un chien de 15 mètres de haut avec des lasers à la place des yeux domine la scène, au centre de laquelle se trouve un lit géant, d'où jaillissent une dizaine de corps dénudés, menés par une personne de petite taille vêtue d’un soutien-gorge conique. La joyeuse bande se frotte langoureusement avant de se lancer dans une chorégraphie bon enfant, façon Glee. Tout autour des danseurs, des illustrations de John Kricfalusi, le créateur de Ren et Stimpy, mêlées à des photos de godes. On aura également droit à un trip au champi interprété par des monstres à la Jim Henson et aux élans lascifs et passionnés du public, dont les effusions sont captées en temps réel par une caméra-voyeuse se baladant dans toute la salle.

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Non, nous ne somme pas dans un parc d’attraction financé par Irvine Welsh ou à une remise de prix récompensant les meilleurs spectacles de théâtre érotique de l'axe Pigalle-Saint Michel, mais sur la première date européenne du Bangerz Tour de Miley Cyrus.

Elle commence le concert en mimant une masturbation sur le capot d’une voiture, avant d’attaquer agressivement son entre-jambe en hurlant à la foule, « Mind your business / Stay in your lane bitch / I’m a southern belle / I get crazier than hell. » Plus tard, on la verra faire du rodéo sur un hot-dog géant ou apparaître dans un interlude vidéo, ligotée, du ruban adhésif sur les seins et des fleurs sortant de son anus.

Miley est souvent accusée d’être superficielle et de tout faire pour attirer l’attention, et il faut reconnaître que c'est, dans la plupart des cas (émissions TV, cérémonies diverses), à peu près tout ce qu'on peut effectivement retenir d'elle et de ses prestations. Mais il semble assez clair que son objectif avec le Bangerz Tour est autrement plus audacieux : créer un monde dans lequel les scandales des tabloïds, le psychédélisme, les peluches géantes, le pop art, l'hypersexualisation et le monde de l'enfance peuvent se croiser et coexister. Le tout sans la moindre trace de cynisme ou d'ironie.

Les rares moments de répit qu'offre ce peep-show pharaonique, ce sont les prises de parole de Miley, qui profite régulièrement d'une pause entre deux morceaux pour vanter les mérites du cannabis, demander à son public de lui balancer un joint ou deux sur scène, dénoncer les antibiotiques, traiter les infirmières de bitches et fixer les ados pré-pubères du premier rang alors qu’elle parle de son goût pour le porno. Là encore, on pourrait croire que Miley cherche désespérément à attirer l’attention, mais ces tirades soulignent plutôt son incapacité à se réfréner. Quand elle était une toute jeune adolescente, obligée de monter régulièrement sur scène devant des milliers de fans, de composer avec des horaires de tournage éreintants et d'être toujours prête pour les interviews, elle avait une astuce pour ne jamais donner l’impression d’être stressée ou effrayée : la technique de la diarrhée verbale. Le fait qu’il n’y a absolument aucune différence entre ce qu’elle pense et ce qu’elle dit est évident dans cette interview qu’elle a donnée à Jonathan Ross, il y a cinq ans. Sa bouche est juste une valve relâchant la pression qui menace à tout instant d'écraser son cerveau.

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Le décalage entre ce qu'aimerait être le Bangerz Tour – une représentation artistique de la pop et de l’érotisme destinée à un public averti, mature et critique – et ce qu’il est vraiment – un concert pop auquel assistent principalement des gamins fou-furieux et leurs parents déconfits – donne un côté totalement surréaliste à l'ensemble. Les regards défaits et effarés des adultes sont clairement aussi intrigants et passionants que tout ce qu'il se passe sur scène pendant les deux heures de ce show à 200 $ par tête.

« On a appris aux gens à considérer les choses comme étant noires ou blanches, surtout dans les petites villes. Je suis excitée à l'idée de donner ce spectacle dans des lieux où ce genre de discours ne serait pas accepté, où on n’apprend pas aux enfants que l'on peut être différent », expliquait Cyrus plus tôt cette année. Son petit discours a l’air d’avoir convaincu les critiques, qui ne tarrissent pas d'éloges sur le Bangerz Tour. J'ai cependant de sérieux doutes sur le fait que les parents qui ont emmené leur progéniture au show du O2 partagent tout à fait leur opinion.

Miley peut bien s’imaginer dans une galerie new-yorkaise plutôt qu’à un show tout public, si elle en a envie. Mais s'il y a une chose qu'elle ne peut pas nier, c'est que le public ne suit pas. Ce soir, de nombreux sièges sont vides dans la salle, alors qu'il s'agit d'une date unique, chose plutôt inhabituelle pour une artiste de son gabarit. Même constat sur les autres dates européennes, où les tickets ont beaucoup de mal à partir. Aux États-Unis, la situation n'était guère plus reluisante, surtout après son apparition aux MTV Awards d'Amsterdam, où elle s'est tranquillement allumé un joint sur scène. Pour tout dire, sur les sites spécialisés, les places se revendaient la moitié de leur prix initial, les rabatteurs tentant tant bien que mal de récupérer une partie de leur mise.

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Son album s’est lui aussi très mal vendu, malgré une couverture médiatique sans précédent et le fait que deux de ses clips se soient classés dans le top 10 des vidéos musicales les plus regardées de tous les temps. Bangerz a péniblement atteint la 71ème place des charts anglais en 2013. Techniquement, elle a vendu moins de disques que Alt-J, Kodaline, André Rieu ou la chanteuse jazz Caro Emerald.

Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé au juste avec Miley ? Pour comprendre pourquoi l’album de l’ex-égérie de Disney s’est aussi royalement planté, il faut tout d'abord commencer par le principal : oublier tout ce que vous pensez savoir sur elle.

La (triste) logique voudrait que Cyrus, comme n’importe quelle popstar féminine des ces 30 dernières années, utilise le sexe pour vendre sa musique. En gros, Miley = Madonna, en plus cru, moins calculé, moins contrôlé et avec une musique un poil plus merdique. OK, « Wrecking Ball » est efficace, mais si son clip est devenu la neuvième vidéo la plus regardée de tous les temps sur YouTube, c'est uniquement parce qu’on y voit Miley à poil sur une boule de démolition. Ce n'est pas Miley Cyrus qui intéresse les médias et le public et la maintient constamment sous les feux de l'actualité ; c'est son corps.

Évidemment, Miley Cyrus s’est fait un paquet d’argent avec ces vidéos. « Wrecking Ball » et « We Can’t Stop » ont atteint le milliard de vues, uniquement sur YouTube, et on estime l'ensemble des retombées à une dizaine de millions de dollars. Pourtant, au vu des dépenses colossales générées par sa dernière tournée, sans compter la promotion et le train de vie qui vont avec, Miley aura besoin d'un gros retour sur investissement. Et c’est là que les choses se gâtent.

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Parce que le sexe faisait vendre à l'époque où il était nécessaire de payer. Pour lire Sex, le livre de Madonna, vous étiez obligés de l’acheter. Pour regarder Gorge Profonde, vous étiez obligé d'aller au cinéma. Les clips ont toujours été gratuits, mais ils étaient conçus comme des supports de promotion, vantant les mérites d'un produit pour lequel vous alliez devoir allonger la monnaie (disques, concerts). Aujourd’hui, les gens peuvent regarder « Wrecking Ball » autant de fois qu’ils le veulent, sans pour autant avoir le moindre intérêt pour l’album de Miley. Ils peuvent tweeter leur opinion sur la musique, le comportement, le féminisme ou le non-féminisme de Miley jusqu’à l’écoeurement, sans jamais manifester le moindre soupçon d'intérêt pour le disque qui justifie ses apparitions publiques et ses esclandres.

La ruine de Miley Cyrus n'est cependant pas pour tout de suite, l'album Bangerz et le Bangerz Tour lui ayant tout de même rapporté des dizaines de millions de dollars. Mais dans la pop, tout est relatif et le montant, aussi astronomique soit-il, est indiscutablement inférieur à l'impact généré par ses déclarations, son look ou ses performances.

The Guardian a récemment publié un article sur les fans de Miley qui ont grandi avec la popstar et qui continuent à l’adorer, malgré ses frasques et le fait qu’ils ont désormais atteint la vingtaine. Une population qui représente une minorité infime, sur laquelle il est impossible de construire une fanbase globale, constituée des anciennes groupies de Hannah Montana, d’enfants aux parents plutôt ouverts et de journalistes musicaux branchés.

Pour la première fois, la théorie qui veut que « le sexe vend » s’effondre. Le sexe engendre du trafic, des clics, des débats et une curiosité vaguement perverse. Mais le sexe reste considéré par les masses comme quelque chose de sale. Il reste extrêmement difficile de faire reconnaître la valeur artistique d'une oeuvre érotique ou pornographique. C’est la raison pour laquelle le porno a dû lutter plus que n’importe quelle autre industrie contre le piratage sur Internet et que Miley doit aujourd'hui se battre pour continuer à s’assurer une place au côté des autres popstars, accueillies, elles, à bras ouverts par les familles américaines. L’industrie de la musique dépend de plus en plus du pouvoir d’achat des enfants et des mères de famille qui achètent les disques de One Direction ou de Michael Bublé. Et il n'y a plus vraiment de place pour l'érotisme là-dedans.

Et c’est une honte, parce que le monde entier devrait voir le Bangerz Tour. Parce qu'il s’agit, paradoxalement, d'un des seuls exemples dans la culture de masse où l’utilisation d’une imagerie sexuelle gratuite est parfaitement justifiée, d’un point de vue artistique – évidemment, on ne s’attendait pas à ce que les gens s’entre-tuent pour une place, mais on n’imaginait pas pour autant un tel flop. Et malheureusement, la seule manière pour Miley, à l'heure actuelle, de s’assurer que les gens puissent voir sa plus ambitieuse création à ce jour est de diffuser gratuitement les captations de ses concerts. Sam Wolfson est sur Twitter - @samwolfson Plus de Miley Cyrus
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