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Verbal Razors refuse toujours de choisir entre Sodom et Minor Threat

Les thrashers de Tours nous parlent de leur ville, de D.I.Y., d'engagement, de patches Testament et de leur nouvel album « Misleading Innocence », qui arrive début 2016.

Un seul climat permet d'héberger à la fois punks à chiens, groupuscules fafs, art de rue, francs-maçons, étudiants en psycho-socio, royalistes et anars : la douceur de vivre tourangelle. Oui, bienvenue à Tours, la ville de poche qui rassemble toutes les jeunesses (blanches) de France. Crossover à bien des égards, le milieu alternatif du « Petit Paris » est réputé depuis les années 80. À cette époque par exemple, la ville comptait déjà Foutre — un des premiers groupes punk hexagonaux —, au casting des sulfureuses compilations Chaos en France. Aujourd'hui, la capitale du troisième sexe continue d'envoyer ses musiciens à la conquête du Monde Libre. Parmi eux, les thrashers de Verbal Razors incarnent mieux que personne ces poussées transversales.

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Formé en 2008, le quartet, qui cite aussi bien Spermbirds qu'Exodus, s'apprête à sortir son deuxième album, Misleading Innocence, prévu début 2016. « Verbal », c'est aussi une voix, celle de Simon, chanteur possédé et providentiel de la scène locale. Une voix et des pochettes. La dernière en date, signée Jansé, vient de doter le thrash de la toute première pochette tropicale de son Histoire. « Bah tu sais, l'esthétique Apocalypse Nucléaire était légèrement squattée » expliquent les membres du groupe. Sans faire jaillir le sang ni fracasser des crânes, Simon, Pierrot, Degreef et Vincent racontent l'âme de Verbal Razors, du D.I.Y. aux patches Testament.

Noisey : Les dix titres de Misleading Innocence sonnent hyper live. Cette teinte musicale, c'est une volonté impulsée en studio ?
Verbal Razors : À fond ! En fait, on a enregistré en huit jours chez Amaury Sauvé à Laval. Quand on est arrivés au studio, il mixait un groupe de grindcore. Amaury, c'est un mec hyper cool. Il a bossé avec Totoro, Birds In Row, The Decline!, As We Draw ou Nine Eleven. Et puis c'est un mec qui vient de la scène. Donc t'es pas face à un obsédé de la technique. T'es avec un musicien. Avec Verbal, on tient beaucoup à l'énergie, au côté live, au son chaleureux. Et Amaury est connu par les groupes de la scène pour respecter cette dimension libre et instinctive en studio. Donc Misleading Innocence a vraiment une teinte particulière, comme tu dis. On a conservé les attaques de gratte, les frappes plus ou moins fortes de batterie, un grain de voix naturel. Ça compte beaucoup pour nous de garder ce son chaud, très rock'n roll, même si c'est clairement à l'inverse de la tendance actuelle dans le thrash ou le metal, où les albums sont mis en boite avec des attentions complètement performatives et mathématiques… Pour un son qui au final, est le même pour tous les groupes : numérique, triggé, froid. C'est même le cas pour les derniers Exodus ! Nous, on joue pas au clic. On parle beaucoup depuis quelques années du revival de la scène thrash… Votre regard sur cette nouvelle vague ?
Quand on joue à domicile à Tours, on ramène cent personnes à tout péter. Si on tourne ailleurs en province, il y a rarement plus de vingt pélos. On trouve toujours des gens qui ont envie de nous voir, mais honnêtement, ça reste très relatif comme engouement. Gamin, j'écoutais du punk. Le thrash représentait pour beaucoup de mes potes à l'époque un truc compliqué, chelou. Limite beauf, aussi. Aujourd'hui, c'est une scène hyper jeune, dynamique voire influente sur d'autres styles comme le hardcore ou le punk.
Simon (chant) : Je me retrouve complètement dans ce que tu dis. Je pense que le punk, avec son potentiel politique, rebelle, était et reste d'ailleurs propice à des attentes et des envies de gueuler plutôt adolescentes. Les paroles sont plus fédératrices que ce que tu peux entendre dans le metal.

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Pierrot (batterie) : Dans le metal, on va te parler plus volontiers de violence ou de dragons. Moins de lutte sociale, c'est sûr.

Degreef (guitare) : Exodus, t'écoutes les paroles, c'est que de la haine.

Pierrot : Le thrash aime bien chanter la bière et les nichons, aussi. Après, des groupes comme Nuclear Assault ou Anthrax ont toujours fait preuve d'un certain engagement.

Simon : Et puis dans le punk-hardcore, si tu écoutes SSD ou Negative Approach, tu as aussi affaire à des groupes débiles, branchés quasi-uniquement sur la baston, bien bas du front, voire misogynes. Pas mieux, finalement. En fait les cloisons dans les scènes musicales se sont construites de façon très aléatoires, selon les époques, les villes ou les contextes sociaux.

Pierrot : Mais c'est vrai qu'il y a un retour du thrash. Aux concerts on voit plein de kids avec des patches Testament ou Overkill, qui connaissent les paroles par cœur.

Degreef : L'arrivée, il y a quelques années, d'un groupe transversal comme Municipal Waste a vraiment impulsé ce côté crossover. Et ouvert la scène avec une approche plus fun. Et éveillé les uns à la musique des autres. Mais bon, Sodom et Kreator n'ont pas encore fait leur retour en grâce. C'est important de pouvoir vous balader sur d'autres champs musicaux ?
Pierrot : De toute façon Verbal Razors est né de ce côté mutant, hybride. Parce qu'initialement on était parti sur pour faire un groupe de thrash finalement assez traditionnel. L'arrivée de Simon a apporté tout un pan musical supplémentaire à nos influences initiales. À son contact, on a découvert le Punk Hardcore de Minor Threat ou des Spermbirds…

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Pierrot : Son timbre de voix est un des plus singuliers que nous connaissions, reconnaissable entre tous. Et très différents de ce que tu peux entendre dans le thrash ou le hardcore. Cette façon de chanter est vraiment au cœur de l'ADN du son de Verbal. Aujourd'hui, les limites entre hardcore, metal, thrash et punk sont devenues plus floues et poreuses. Et tant mieux. Avec Verbal, ça nous donne la possibilité de tourner dans des réseaux différents. On est trop underground pour squatter le milieu metal par exemple. C'est une scène trop structurée, trop importante pour nous. Et puis s'enfermer dans les codes typiques du thrash par pure posture, c'est pas notre truc. Tu peux nous voir au Motocultor Festival mais le réseau fastcore ou crust nous convient aussi très bien. C'est un réseau où l'esprit non-profit et autonome domine. Et on aime l'idée d'insuffler cet esprit punk-DIY à notre approche musicale. En Allemagne, on tourne dans les squats, quand on joue à Berlin c'est au Køpi. Et c'est pas un positionnement, ça s'est toujours fait naturellement. Hier soir par exemple, on jouait à Montpellier sur l'invitation de Head Records, un label de noise et de math-rock… Qui est le label de vos collègues tourangeaux de Pneu d'ailleurs. Il y a une scène solide à Tours.
Verbal Razors : Déjà, Tours c'est central. T'es pas loin de la Bretagne, le sud c'est jouable, donc les groupes peuvent tourner facilement. Ensuite, de Goat Cheese aux Dirty Guys Rocks en passant par Wolfpack Asso, c'est plein d'orgas. C'est clairement une petite ville, mais elle s'est toujours dotée de suffisamment de cafés-concerts et de rades pour satisfaire la diffusion de lives. Par ailleurs, Tours est blindée d'étudiants, donc côté public y'a toujours eu un bon turn-over. Du coup, on est bien identifiés par les meufs et les mecs en tournée. Le tout compose un espèce de cercle vertueux où les groupes peuvent s'épanouir. Des groupes qui s'appuient également sur une radio associative historique - Béton ! - ainsi que le Label Bleu, un studio de répétition fondé par Rubin Steiner. Là-bas tu croises Pneu, Ed Warner, Alma, un groupe de rap mortel qui s'appelle le Kyma, des gars d'Ez3kiel y jouaient aussi. Bref, cette ville inspire sa propre scène. Finalement son côté embourgeoisé et son conformisme de façade en ont fait le terreau idéal pour des groupes énervés.

Grâce à Verbal Razors, Tours est sur Bandcamp.

Théophile Pillault compose des cercles vertueux. Il est sur Twitter.