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Music

Jouer dans un groupe metal en Iran

Concerts illégaux, alcool sous le manteau mais drogue à tous les coins de rue : le quotidien d'une bande de metalheads à Téhéran.

Toutes les photos sont de Sebastian Castelier Au sous-sol d’un immeuble du nord de Téhéran, à quelques encablures des montagnes de la capitale iranienne, un homme, la trentaine, reçoit. Clope au bec, verre de bière islamique à la main, il balaie sa longe chevelure histoire de souhaiter décemment la bienvenue. Il s’appelle Aboulfaz*, il est le producteur de Rachakyan*, premier groupe de metal iranien. L'homme met immédiatement les choses au clair : la musique en Iran n’a rien à voir avec une partition de violon : « Un matin, ils ont déboulé chez moi. Ils ont défoncé ma porte, m’ont fait lever du lit et pris tout mon matos, raconte-t-il. J’ai été en prison quelque temps avant mon procès. Ça a été très dur… Malgré un bon avocat, j’ai pris douze mois de prison. Pour éviter ça, j’ai du payer 2.600.000 de rials (soit 720 euros). » Le type se dit fatigué de vivre dans la peur et projette de s’exiler : « Pour aller dans n’importe quel espace public, je suis obligé de cacher mes cheveux et raccourcir ma barbe. Avec du gel, j’arrive à lui retirer bien treize centimètres. » Dans la salle d’à côté, ses potes, guitares électriques à la main, envoient du gros son. T-shirt de groupes, rangers noires, boucs affûtés, les types ressemblent à de métalleux classiques. Depuis 2003 et la création du groupe, les quatre iraniens ont oscillé entre concerts illégaux, distributions d’albums dans ruelles sombres et enregistrements en catimini. Aujourd’hui, ils font partie des rares à avoir glané quelques précieux passes-droits. Aboulfaz : Au début, sous Mohammad Khatami, on avait eu la permission de faire des concerts en plein air. C’était une petite révolution. Mais attention, nos concerts n’étaient qu’instrumentaux. Hurler dans un micro, tu oublies. Puis on devait porter des t-shirt basiques, on n’avait pas le droit de bouger nos cheveux, ni de faire usage d’effets lumineux rouges. Et les spectateurs devaient rester assis. Ça a duré quelques années, puis quand Ahmadinejad est passé au pouvoir en 2005, c’était fini. Nos concerts ont repris que depuis cette année avec Hassan Rohani. On n'en a fait que six en presque treize ans d’existence ! Noisey : Qu’est ce qui pousse un gamin iranien dans les années 80 à s’intéresser au metal ?
Quand j’étais gosse, j’aimais que le metal. En vieillissant, je me suis mis à aimer la pop music. Mais que les filles, genre Rihanna. Je déteste les mecs dans la pop. Mais quand j’étais gosse, c’était mon seul hobby. Il n’y avait que ça. Comment j’ai découvert le metal ? Je fouinais dans une vieille vidéo cassette poussiéreuse avec des trucs du Top 40. Il y avait Madonna, Michael Jackson… Et là je suis tombé sur Iron Maiden. Voire des types avec des cheveux longs, en train de se tordre avec des guitares électriques, ça m’a scotché. Je me suis dit « c’est quoi ce truc ? » Après avoir vu ça, j’ai bazardé le reste de ma vie pour le metal. Le métal c’est populaire en Iran ?
Au tout début on était une petite communauté underground. Y’a 15 ans, on était peu. Mais aujourd’hui beaucoup de jeunes en écoutent ou se mettent à en jouer. Pourquoi ce genre de musique est interdit ici ?
Premièrement, en Iran, la musique a toujours été plus ou moins proscrite. Au début, les islamistes ont censuré certaines musiques traditionnelles, ensuite certains genres de pop, mais ils ont toujours eu un souci avec le hard rock et le metal. Pour eux, c’est satanique, ça renvoie au diable et ça irait totalement à l’encontre de l’Islam. Ils considèrent les sons des guitares électriques et de batteries comme le chant du diable, de l’enfer. Malgré ça, on a toujours essayé de faire des concerts. Actuellement, on est les seuls à pouvoir en faire. Récemment on fait un album non instrumental, avec des vocalises thrash. On l’adore, mais on ne peut pas le jouer ici. Du coup on est obligé d’aller jouer nos concerts à Dubaï. Tu sais que faire du thrash vocal ici est passible de prison ? J’aime aller voir la police et les gens du gouvernement, leur parler, essayer d’ouvrir un dialogue, leur dire qu’on n’est pas des satanistes et que nos paroles ne vont pas dans ce sens… J’ai beau leur dire que c’est juste de la musique, y’a rien à faire. Moi j’essaye de faire mon job, point final. On peut vivre du métal en Iran ?
La musique est complètement mon job, je suis compositeur, prof de guitare et j’ai ce groupe. Mais ce n’est pas facile de gagner sa vie. Quand j’étais jeune, j’ai été en école d’ingénieur. J’ai trimé pendant mes études, puis je suis rentré dans des compagnies, mais j’ai réalisé que ce n’était pas pour moi. C’est dur de vivre de la musique, de rester toute sa vie dedans, mais je ne pourrais pas faire autre chose. Le nerf de la guerre, c’est quand même de gagner sa vie. Les autres membres du groupe doivent avoir des jobs à côté. C’est quoi la plus grande difficulté pour un groupe comme le tien ?
Les instruments sont chers. Mais avant c’était beaucoup plus dur d’en trouver, on n’avait pas de boutiques d’instruments. Ça fait seulement quelques années qu’on peut en trouver. Mais le plus difficile, c’est notre rapport aux fans. On a beaucoup de fans, et on ne peut pas faire de concert quand on veut, on ne peut pas communier avec eux comme on le voudrait. Ça existe chez vous des concerts de hard-rock sans pogo, sans bière, sans effet lumineux et avec des spectateurs assis ? C’est une tragédie. Vos textes ça donne quoi ?
On parle d’éveil intellectuel, de liberté et de combat pour le droit. Certains passages évoquent aussi l’Histoire glorieuse de l’Iran. Pas celle des islamistes, ça, c’est de la merde. Bien sur, nos paroles ne sont pas aussi directes. On joue avec les mots, on laisse notre public interpréter nos paroles. Ton gouvernement base ses lois sur la charia, le « chemin pour respecter la loi de Dieu. » T’y crois en Dieu toi ?
Y’a un an, je ne croyais en rien, mais aujourd’hui, oui. Mais attention, pas en celui de l’islam. En une créature, ou une force, qui est à l’origine de tout. Ce que je te dis là, si les autorités le savent, je risque la condamnation à mort. Vous buvez de l’alcool, prenez de la drogue ?
En Iran, l’alcool c’est interdit, tu le sais. Mais beaucoup d’Iraniens boivent pour être heureux. Parce que beaucoup de gens dépriment ici. Alors pour ne pas tomber dans le un trou ténébreux, on boit. Mais on ne peut pas trouver de la bonne tise ici et c’est cher. Après c’est simple d’en trouver. Tu appelles un dealer, tu conviens d’un rendez-vous et le mec t’apporte de la vodka, du whisky ou de l’arak. L’arak, c’est la liqueur locale ?
Ouais, c’est fait à base de raisins et d’anis. Vous risquez quoi en cas de flagrant délit ?
Si la police t’attrape, bourré, après trois fois, tu es condamné à mort. La première fois tu es jeté en prison et tu prends quatre-vingts coups de fouet. La seconde fois, c’est la même et la troisième fois, tu es pendu. Par contre la drogue, c’est ok. Bon, c’est interdit mais tu te feras rarement de la prison et encore moins condamner à mort pour du crack, de l’héroïne, de la morphine, de l’opium ou de la cocaïne. Pour te dire, il y a encore quelques jours, en rentrant chez moi, un soir, j’ai croisé deux jeunes en train de prendre sereinement de la meth’ dans la rue. A ton avis, pourquoi le gouvernement est-il plus sévère avec l’alcool ?
Parce que quand tu fumes de l’herbe, de l’opium ou prend de la drogue, ça t’aplatit, ça te ramollit et te rend incohérent. Alors que si tu bois de l’alcool, t’as envie de débouler dans la rue, crier, te révolter et te battre pour un monde meilleur. L’alcool peut te rendre violent, quoi. La drogue on en trouve aussi facilement en Iran ?
L’opium, je crois qu’on en prend tous dans cette pièce [Rires]. C’est pas cher l’opium, car il vient d’Afghanistan, le pays voisin. Idem pour la meth' qui est produite ici, en Iran. Après l’herbe, c’est le même prix que chez vous, je pense. Seule la cocaïne est très chère. La drogue est plus facile à trouver que l’alcool. C’est politique. C’est totalement occulte et secret, mais des personnes du gouvernement font venir de la drogue dans notre pays, volontairement. Si vous buvez rarement de l’alcool, ça veut dire qu’au bout de deux bières vous êtes torchés ? Ça le fait pas trop pour un groupe metal, ça…
[Rires] A l’année, c’est vrai qu’on boit très peu. Après quand on va à des festivals en Turquie, on finit mal. Moi j’adore la Tequila, et la dernière fois j’en ai tellement bu que je ne pouvais plus jouer du tout. Du coup, on fait gaffe. Au fait ! J’ai croisé des gars de chez vous, Gojira, qui ont fait un concert incroyable ! Un jour, vous pensez qu’il sera possible pour vous de jouer sur scène comme les groupes occidentaux ?
Non. Ça ne changera jamais. Les islamistes sont totalement fermés. L’Iran est un pays bourré de richesses. Il est dans leur intérêt de nous maintenir aussi bas. On essaye de partir de l’underground et d’amener petit à petit le metal à la surface. Mais beaucoup d’entre nous sont fatigués et veulent s’exiler. Après, si tu pars d’Iran, tu dis adieu à la musique. Parce qu'il est encore plus dur d’en vivre à l’étranger. Personnellement j’ai dit merde aux États-Unis. Je préfère la musique. * Les noms ont été changés afin de garantir l'anonymat du groupe et du producteur.