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Music

J'ai grandi avec la makina, ce style de dance infernal qui sommeille depuis une dizaine d'années

Les activistes de Newcastle font tout pour que leur ville ne ressemble pas à la série « Geordie Shore ».

Photo - Lee Davison

Newcastle est une ville insulaire et paroissiale, et nous sommes très fiers de notre région. Honnêtement, on se fout pas mal de ce que vous pensez car on sait à quel point notre ville tue.

Nous avons un sens de la communauté sans pareil ici puisqu'il n'y a que 2 ou 3 degrés de séparation entre les habitants de cette ville. Nous sommes aussi l’une des villes les plus caricaturées du Royaume-Uni. Si vous regardez Geordie Shore, vous pourrez facilement penser qu’à Newcastle, les jeunes sont tous des kékés au torse épilé qui s’enfilent des vodkas RedBull en se déhanchant sur de la house merdique. Mais aussi incroyable que cela puisse paraitre, une émission de télé réalité mettant en scène des jeunes de Middlesbrough qui fréquentent les trois mêmes clubs chaque semaine n’est pas la meilleure représentation qu’on puisse faire de notre belle ville.

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L’un des éléments culturels les plus importants de la jeunesse novocastrienne, c’est la makina. Bien que souvent mise de coté, cette sorte de techno latine caractérisée par des sons hard trance de synthés qui s’enchainent à une vitesse tonitruante fait partie intégrante de notre culture depuis bientôt 20 ans. C’est un mouvement authentique qui colle à la jeunesse de l’ensemble du nord est du pays. La makina est à Geordie ce que le grime est à Londres, ou la bassline à Sheffield.

Quand j’étais ado, la makina grondait dans chaque soirée. On en entendait dans les voitures qui passaient, et certains groupes de gosses s’amusaient dans la rue à lâcher, entre eux, quelques uns de leurs couplets (ou s'appropriaient les couplets des autres). Même le coiffeur du coin vendait au noir des cassettes de musique rave. À l’école, on s’échangeait nos prouesses au micro. On adorait reprendre « Metro Mission » de MC Bouncin. Avec un peu de chance, vous pouviez aussi voir certains mecs de votre bahut s’afficher sur le net en publiant une vidéo de leur chorégraphie en 120 pixels comme les types du Benwell Raving Crew.

À l’époque où je bossais pour l’un de ces centres d’appel semi-légaux dans lequel j’étais rémunéré à la com’, je me suis fait viré d’un restau japonais parce qu'un soir, pendant une soirée boulot, plusieurs commerciaux et un des managers de la boîte avaient pris possession du karoaké pour se lancer dans une session makina. HAutant vous dire que les filles qui avaient réservé la salle pour l’enterrement de vie de jeune fille de leur pote tiraient la gueule.

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Pour moi et les gens de mon âge, le terme « makina » était passé de mode. On appelait ça le « new monkey ». Ce nouveau terme venait du club New Monkey, près de Sunderland, qui était l’un des points de ralliement de l’époque. Dans une interview pour Mixmag, Patrick Topping, le hitmaker de Geordie, déclare même que sa passion pour la dance music est née là-bas.

« Il est important de rappeler que les gens qui n’aimaient pas la makina savaient pertinemment que c’était la musique du nord est » raconte Fred Phethean, alias MC Drop Dead Fred. « Cette musique représente les gens. Dans leur texte, les MC's ne parlent ni de Rolex, ni de trafic de drogue, ni de meufs faciles mais évoquent la fête, le vol de voiture, la consommation de drogues et les pressions policières. »

Alors que le grime flirte avec le mainstream, et que beaucoup d’artistes du mouvement comptent plusieurs hits, personne ne peut se vanter d’avoir fait fortune au New Monkey où en vendant des cassettes de rave sur les étals du marché du coin. D’un autre côté, ce n’était pas le but non plus, le mouvement ne se basait pas sur ce schéma de réussite. Il n’y avait absolument aucune chance pour que ces jeunes troquent leurs Air Max 95 et leurs pull McKenzie contre une ceinture Gucci ou une paire de Prada à bulles d’air. On se rendait aux raves dans les tenues qui nous auraient valu un « Désolé, mais pas ce soir ! », même à l'entrée des pires boites de la ville.

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Une rave à Newcastle

Dans un article récent, la makina était décrite comme une « musique folk trans-générationelle ». Une description éloquente mais qui fétichise les racines du genre et qui ferait lever les yeux au ciel n’importe quelle personne investie dans le mouvement. Pour faire simple, la makina est la bande-son des classes ouvrières du nord est de l’Angleterre, le son des téléphones en mode haut-parleur des mecs dans le fond du bus, ou encore le son du dernier métro. La makina, c’est la musique de North Shields, de Meadow Well et de Percy Main. Point.

Pendant plusieurs années, le New Monkey de Sunderland a accueilli chaque semaine des tas de soirées ouvertes même aux mineurs. Il n’y avait pas de bar, mais de l’eau était disponible au robinet— un élément qui laisse sous-entendre ce qui s’y passait. Sans surprise, le club a fermé ses portes en 2006 après une descente de police. Un coup dur pour la makina que MC Impulse a immortalisé dans « Raid Rhyme ».

Pour Fred Phethean, la fermeture du New Monkey aurait pu être fatale à cette scène underground. « Le New Monkey était le dernier bastion de la culture rave des nineties. Les soirées duraient jusqu’au petit matin, et les gamins se réunissaient pour faire la fête sans alcool. Puis pendant plusieurs années, il n'y a plus rien eu, mais la génération YouTube a su garder le cap et préserver le mouvement. »

Photo - Lee Davison

Lee Davison est l’un des mecs les plus investis pour le retour de la makina dans le nord est du pays. Alors qu’il servait son pays en Afghanistan, il a créé Monta Musica avec un pote et en est aujourd’hui le directeur. Monta Musica fonctionne comme un label et organise différents événements à travers la ville. Aujourd’hui, ils sont si influents dans la région que les jeunes qui n’ont pas connu le New Monkey appellent la makina, la « monta ».

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« À l’époque du Monkey, c’était bas de joggings et casquettes alors qu’aujourd’hui, on retrouve les mêmes styles qu’ailleurs. Avec Monta Music, Lee a organisé des soirées à guichet fermé dans certaines des plus grandes salles de Newcastle. Depuis peu, il travaille avec l’université de Newcastle pour mettre en place des évènements réguliers. « Aujourd’hui, je sais que grâce à tout ce qu'on a organisé ces deux dernières années, je peux me présenter dans n’importe quel club et organiser une soirée sans soucis. La makina a mauvaise réputation mais avec nous il n’y a jamais de problèmes, les étudiants et les rugbymen sont bien pires que nous. »

On est bien loin de l’image qu’avait la makina il y a encore quelques années, à l'époque où la plupart des bars et des clubs de Newcastle ne voulaient rien avoir à faire avec ça. Pendant longtemps, ce qu’on pouvait espérer de mieux c’était se pointer à une soirée super mal organisée camouflée au fond d’un pub. Bien souvent, ces soirées étaient de vrais traquenards qui prenaient fin quand le proprio jugeait qu'il en avait marre du bruit et virait tout le monde. Le staff d’un des pubs de Newcastle où se déroulait ce type de soirées en rigole aujourd’hui. Plusieurs mecs réservaient une partie du bar pour organiser une soirée, se pointaient le jour de l’événement sans micro, sans platines et sans avoir fait de promo. Souvent, après 20 minutes d’embrouille, ils partaient tellement gênés qu'ils n'osaient même pas récupérer leur caution. Parmi les clubs de Newcastle à accueillir certains de ces événements, on retrouvait le Pig and Whistle, un club qui a servi d’ambassadeur dans la fameuse vidéo « Scandinavian Clubs VS British Clubs ». Lee et Monta Musica font tous les deux un gros boulot pour redonner de la crédibilité au mouvement à Newcastle.

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Comusica Arches, un espace artistique dédié à la makina.

12 producteurs affiliés à Monta Musica s’occupent de sortir en permanence de nouveaux titres sur le site du label. Il y a encore peu de temps, le style n’avait pas du tout évolué, et la plupart des soirées se faisaient au rythme de morceaux datant des années 90 et 2000, ramenés d’Italie et d’Espagne. Grâce à Monta, la terre natale de la makina en Grande-Bretagne reprend aujourd’hui ses droits. « Tous les grands producteurs du nord est sont les nôtres. DJ Static et Triple XL sont deux des meilleurs producteurs d’Angleterre. »

Autour de Monta Musica gravitent des labels comme Rewired Records et différents DJ's et MC's qui ont toujours fait partie du mouvement. Des mecs légendaires comme Stretch, Tazzo et Ace ont une très grosse réputation dans la région, comme Flirta D à Londres ou Devilman à Birmingham. DJ Scott, Matrix et Chrissy G ont tous joué un rôle important quand il a fallu importer pour la première fois le style dans les clubs. Pour illustrer l’importance que la réputation qu’un DJ peut avoir dans la région, Fred Phethean m’a parlé d’un des ses amis qui avait passé un morceau dans le seul but de nettoyer la piste à la fin de son set. « Par la suite, mon pote a revendu ce titre à DJ Matrix. Il a passé le morceau au Monkey avec MC Stompin et du jour au lendemain, le morceau s’est écoulé à des centaines d’exemplaires. »

Aujourd’hui, les MC's s’affichent sur YouTube autant qu’en rave. Les plus grands noms sont sûrement MC Rockeye et Genno D. Lors de certaines soirées rap ou grime organisées dans la région, il n’est pas rare de voir Davey Blast se pointer. DJ Jaw-D oeuvre aussi pour étendre la portée du style en passant ses titres partout dans le pays.

MC Rockeye

Newcastle compte plus de 50 000 étudiants, ce qui en fait la cible parfaite du business de la nuit. Pour survivre, un mouvement comme la makina doit maintenir un attrait pour les mineurs. Et depuis une dizaine d’années, le mouvement arrive à remplir cette condition. YouTube a aussi participé à faire perdurer l’intérêt des jeunes pour le mouvement. Phethean a travaillé avec des jeunes MC's et différents artistes dans le cadre du programme CoMusica au centre musical Sage Gateshead. Avec ce projet, il leur a donné la possibilité de s’exprimer et de montrer ce dont ils étaient capables. Grâce à ces différentes actions, la scène a connu un regain d'activité et a montré une nouvelle ligne à suivre, de nouvelles ambitions, un professionnalisme qui lui faisait défaut et des valeurs qui viendront peut-être briser cette image d'un genre totalement décérébré. Paul est sur Twitter.