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Music

Nekfeu passe au détecteur de punchlines

La réussite, l'argent, Kaaris, Charlie Hebdo, la dépendance, le racisme, Olivier Cachin, la Grèce et les top-models qu'il s'est possiblement tapé : le rappeur se met à table.

25 ans, un flow singulier, des rimes complexes, une gueule à faire tomber les minettes de 16 ans comme la ménagère de moins de 50, bref, tout ce qu'il faut pour rassurer les chaumières et assurer le service minimum niveau ventes et retombées média. Mais rien ne nous avait préparés au carton à venir : disque d’or en moins de 3 semaines, couverture des Inrocks aux côtés de Virginie Despentes, Nekfeu plaît décidément à tous. La « révélation » est pourtant loin d’être un jeune rookie dans le Rap, Nekfeu s’étant déjà fait un nom dans l’underground avec l’Entourage ou 1995.

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Le succès a-t-il définitivement transformé le jeune rappeur ? Peut-on encore apprendre quelque chose de Nekfeu ? Pour le savoir, nous l'avons soumis à notre détecteur de punchlines, histoire d'aborder ses sujets aussi divers que l'argent, la réussite, Kaaris,

Charlie Hebdo

, la dépendance, le racisme, la Grèce et les top-models qu'il s'est tapé.

Noisey : « N’ayant jamais brûlé ses ailes, elle ne sentait pas le danger de la flamme » (Jack London, qui t’a inspiré pour « Martin Eden »)… Il faut n’avoir peur de rien pour se lancer dans le rap ?

Nekfeu :

C’est une question métaphysique, c’est la même chose dans la vie en général. Quand tu es passionné, il faut tout donner, il faut n’avoir peur de rien, il faut être prêt à tout lâcher pour arriver à ton but. Mais personnellement j’ai aussi eu de la chance, une bonne étoile. Je suis parti sans diplôme, sans rien, j’aurais pu très mal terminer. Je faisais des tafs de merde et je les ai même laissé tomber pour me retrouver à payer pour faire des concerts ! Pendant deux ans j’ai dépensé de l’argent dans le rap sans en gagner.

Dans le rap indé, on perd plus d’argent qu’on en gagne de toute façon.

Surtout que nous, on n’avait même pas les moyens de faire un disque. Notre premier micro avec le S-Crew, quand on avait 16 ans, on l’a volé ! Heureusement, dans le quartier d’Alpha il y a avait une MJC qui accueillait les jeunes, on a pu y enregistrer nos premiers freestyles.

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« Fils de pute bien-sûr qu’c’est plus facile pour toi quand t’es blanc » (« Martin Eden ») … Tu crois que ça a été plus simple pour toi dans la vie ?

Dans la vie en 2015, c’est plus simple d’être blanc : prendre un taxi, trouver du taf, aller en boite, être invité en soirée ou se faire contrôler. Moi par exemple, je me suis fait contrôler seulement deux ou trois fois quand j’étais tout seul. Par contre avec mes potes noirs et arabes, je me fais contrôler systématiquement.

Et dans le Rap ?

Quand j’ai commencé le rap, il y a des grands qui m’ont dit : « C’est pas mal ce que tu fais, dommage que tu sois Blanc ». Et dans certaines cités t’es un peu regardé de travers. Tu peux faire le même rap qu’un autre mec, on te dit que tu verses dans « le Rap de Babtou ». Tu dois en faire plus que les autres, c’est un peu frustrant. Mais comparé aux avantages que tu as à être Blanc en France ce n’est rien du tout !

Qu’est-ce que tu penses du racisme en France en 2015 ?

Le racisme est loin d’être éteint. Aujourd’hui, il prend de nouvelles formes : l’islamophobie et le racisme anti-rom ont le vent en poupe, et même dans les quartiers, par des gens qui subissent eux-mêmes le racisme. Je ne m’en rendais pas compte parce qu’à Paris, il y a une grosse différence, on a grandi ensemble. En province, il y a encore des « Sale nègres » qui fusent quand on y va. Et quand tu vois le score du Front National, tu te dis que le racisme n’est pas mort, il est même revenu au centre des préoccupations.

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« On ne peut pas mettre de côté qu'il soit blanc et beau gosse. Si ce n'était lié qu'à la qualité des rimes, il est clair qu'on parlerait autant de l'album de Youssoupha » (Olivier Cachin, journaliste Rap, en parlant de de toi).

Déjà je suis super content qu’il me trouve beau gosse ! [

Rires

] Je suis pas insensible à son charme non plus. Ensuite, je trouve que c’est un journaliste rap très repris et très blanc lui aussi !

[

Rires

]

Non, mais il a juste voulu faire un coup de buzz, c’est pas bien grave. Pour lui répondre, je dirais que Youssoupha a été invité à des émissions où je n’ai pas été. C’est son quatrième album, alors que moi c’est le premier. Je ne dis pas que je le mérite, et moi aussi je pense que c’est trop, mais bizarrement pour une fois je ne pense pas que ce soit parce que je suis blanc.

Si les médias se sont intéressés à moi, c’est plutôt pour le côté littéraire qu’ils ont voulu me coller, et parce que ma ganache ne leur fait pas peur, comme un Maitre Gims ou un Black M invités au

Grand Journal

. Le réel problème c’est qu’une grande partie des grands médias ne fait pas l’effort d’aller à la recherche des rappeurs inconnus. Je connais des rappeurs blancs qui crèvent la dalle en indépendant depuis 20 ans ! En tous cas, Olivier Cachin devrait plutôt être content pour moi, parce que je viens de l’underground rap et je ne pense pas qu’à ma gueule, je représente plein de mecs, blancs ou pas, on s’en bat les couilles dans notre équipe ! C’est bien que je sois un cheval de Troie, il ne devrait pas penser comme ça !

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« Etre disque de platine, c’est mon fonds de commerce » (Booba, « Tony Sosa »)… Ça te fait quoi à toi d’être disque d’or ?

C’est un truc de fou, je suis archi content ! Je ne me rendais pas compte que ça pouvait marcher à ce point, même si j’ai tout fait pour. C’est mon 6ème projet dans les bacs. A chaque fois, on s’est donné à fond. Avec l’Entourage, le S-Crew et les autres, on collait nos affiches nous mêmes ! Je suis étonné que là ça ait marché. Quand je vois la bonne humeur de mes gars, de mon équipe, je suis trop content !

Comment tu t'en es rendu compte ?

Déjà j’ai vu les chiffres après la première semaine ! Truc de fou ! C’est comme quand t’as un anniversaire surprise et que tu crames un petit indice

[

Rires

]

. La deuxième semaine on m’a dit : « T’es disque d’or ». J’ai demandé à combien j’étais : on m’a dit « 48 000 ». Et j’ai répondu : « Je suis pas disque d’or » [

La certification disque d’or est valide à partir de 50 000 albums vendus

]. Et la semaine d’après ça s’est fait et je l’ai annoncé.

« Famille nombreuse avec un seul salaire c’est voir la mer à 20 ans en dix ans de galère » (Oxmo Puccino, « Soleil du Nord »)… Est-ce qu’il faut forcément venir d’en bas quand on fait du Rap ?

Il ne faut pas rabaisser le rap, c’est une musique. On ne demande pas à un jazz man de venir d’en bas, alors que le jazz vient des bas-fonds. On lui demande d’être bon ! Je pourrais écouter un fils de bourge qui me raconte sans artifices et avec une belle plume ses problèmes, car je considère que ce n’est pas le monopole de la pauvreté d’avoir des problèmes. Regarde EPMD et Kanye West, ils viennent de la classe moyenne.

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Après, quand tu viens d’en bas, tu as des valeurs qui ne sont pas toujours représentées. Et le rap c’est le seul vecteur de communication qu’il y a à ce niveau-là. C’est un témoignage, c’est aussi en ça que c’est intéressant. Si j’étais né dans la soie, je n’aurais sans doute pas eu la même vision du monde, je ne serais peut-être pas autant acharné dans ma manière de rapper, je ne serais peut-être pas aussi attaché à mes gars, à mon collectif.

« Elle pense que je suis en train de la doigter, je lui mets mon gros doigt de pied » (Kaaris, « Kalash »)… Qu’est-ce que tu penses du mouvement Trap en France ?

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Rires

]

C’est une forme de rap comme une autre ! Souvent, le problème c’est que les rappeurs français n’ont pas la culture américaine ni trap, et recopient bêtement. C’est aussi un peu répétitif, mais c’est en train de changer. Il y a des talents, je trouve que Kaaris par exemple a une bête de plume. Et je ne suis pas du genre à me focaliser sur l’emballage ou la vulgarité, justement parce que je lis beaucoup et que les écrivains sont souvent vulgaires et très violents. Ce qui m’intéresse, c’est la tournure des mots, la musicalité. Tu peux faire un truc amusical à mon sens mais qui a une valeur d’écriture, et je vais kiffer. Tu peux faire un truc très musical mais un peu pauvre lyricalement, je vais kiffer aussi. Si tu fais les deux je vais t’admirer !

« Paperasse à la con, pas moyen d’avoir la paix, l’inconvénient d’avoir un label » (Nekfeu, « Mon âme ») … Dur la vie ?

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Non ! J’expliquais à une de mes conquêtes les raisons de mon absence c’est tout !

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Rires

]

À la base, le fait de gérer des papiers, d’être dans la logistique d’un budget, ce ne sont pas des choses qui me plaisent mais c’est le prix de la liberté artistique. C’est aussi un pari qu’on avait avec les gars de mon groupe et qui est réussi vu que mon album a marché. Je veux faire un truc avec une réelle qualité artistique, et avec le moins de personnes possibles qui ne sont pas de la famille qui mangent sur notre dos. A long terme, ce serait cool d’avoir aussi une distrib indépendante costaud.

« J’suis comme une bulle de champagne, venu d’en bas je veux crever à la surface » (Nekfeu, « Egérie ») … Tu as soif de la reconnaissance d’un milieu dont tu ne viens pas ?

Ce sont plus les filles qui me donnent l’envie de connaître d’autres milieux. Cette fascination je l’ai toujours eu et ça me donne envie de progresser dans les strates sociales. Il y a aussi le fait de pouvoir parler avec des intellectuels qui est génial. J’ai fait la couverture des Inrocks avec Virginie Despentes par exemple. Quand je dis « la surface », c’est pour dire « le top ». Partir d’un endroit où tout le monde te méprise, s’en fout de ta vie, et te condamne à une vie de merde et arriver à tes rêves. Je n’ai pas envie d’être un aristocrate mais de toucher d’autres sphères, comme le cinéma français par exemple.

« La conquête des femmes est la seule aventure exaltante dans la vie d’un homme » (Maupassant, qui t’a inspiré pour « Le Horla ») … Tu es d’accord ?

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Je suis d’accord même s’il exagère, ce n’est pas la seule. En tous cas dans ma tête je suis avec Maupassant au XIXème siècle ! Je crois en l’amour, je crois même qu’il n’y a qu’un seul amour véritable, mais on n’est pas sûr de le trouver…

« Une marque de luxe m'a dit : « On veut pas de rap, tu connais les ches-ri (…) Le lendemain, je me suis tapé leur égérie » (Nekfeu, « Egérie »). Bon, c’est qui cette égérie que tu t’es tapé ?

[

Rires

]

Tout le monde me pose cette question, mais je suis un gentleman donc je ne vais pas répondre ! C’est une vraie histoire par contre, même si j’ai changé l’ordre chronologique.

« Tu vois cette image qu'ont les gens du rap ? Nous, on va changer ça… » (Nekfeu, « Egérie »)… Tu voudrais quelle image pour le rap ?

L’image d’une musique à part entière. Aujourd’hui il y a des trucs qui sortent dans le rap français qui ne pourraient pas sortir dans le rap américain, car les mecs se feraient tellement charrier qu’ils ne pourraient pas avoir de succès commercial ! Je ne citerai pas de noms, j’ai pas envie de me faire tirer dessus et d’aller vers le clash aujourd’hui.

Le problème du rap c’est que dès que les mecs commencent à percer ils ne gardent plus les pieds dans la culture Hip Hop, ils considèrent qu’ils sont à part, et l’énergie et la performance ne restent pas intactes.

Et puis en France c’est encore vu comme une sous-musique, surtout par les médias et la Vieille France. Aux Etats-Unis les rappeurs sont respectés comme les autres artistes, on voit plein de featurings de rappeurs avec d’autres styles musicaux.

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« Ceux qui n’aiment pas le petit grec seront en rogne » (Nekfeu, « Martin Eden »)… Tu te sens grec aujourd’hui ?

J’ai un attachement à la Grèce, quand je suis là-bas j’ai vraiment l’impression d’être grec. Concernant le référendum, il y a toute une dimension économique et politique que je n’ai pas la prétention de maîtriser donc je ne veux pas trop me prononcer. Mais je suis super content de la résistance grecque. Quelque soient les conséquences, je suis toujours heureux quand un petit se dresse face à un grand et quand il y a un espoir de changement ! Ça m’a redonné l’envie de pouvoir faire changer les choses par la politique…

« Je réclame un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo » (Nekfeu, « La marche »)… C’était l’une de tes punchlines quelques mois avant l’attentat… Tu la regrettes ?

Je regrette la manière bête dont j’ai formulé ça, car ça dessert les gens que je voulais défendre. Ça m’a appris à être plus sage dans ma manière de dire les choses. Après je ne regrette pas la critique d’un truc qui était intouchable en France. En tant que non musulman je me sentais le droit de dénoncer une dérive, le blasphème pour le blasphème. Pour moi, les caricatures étaient une manière de diviser les gens, d’attaquer une minorité, d’imposer son athéisme sans respect pour la foi des gens, alors que pour certains la religion est quelque chose de sacré. Tout comme quand tu viens de perdre ton père cela semble logique pour tout le monde que l’on ne rigole pas sur sa mort.

Pourquoi ça te gène ?
Je n’en aurais pas parlé si ça avait été un journal d’extrême droite comme Minute, mais ce qui me dérangeait et que je trouvais triste c’est que j’avais l’impression que les journalistes de Charlie Hebdo étaient du même camp que moi ! Je pensais qu’on avait les mêmes valeurs ; pour moi c’étaient des punks, des humanistes, qui dénonçaient l’ordre établi, qui n’enfonçaient pas les minorités. En 2013 quand j’ai écris le morceau, c’était la 5ème couverture que je voyais qui se moquait des musulmans ! Je me suis dit « Arrêtez les gars, on est déjà dans un sale climat, vous en rajoutez une couche, vous essayez de nous séparer alors qu’on a grandi ensemble ». Après je sais que ce sont des gens intelligents et que c’était de la provoc, mais moi aussi j’ai voulu faire de la provoc, d’autant plus que je pensais pouvoir me le permettre en tant que non musulman. C’était juste une façon de dire : « Il y a d’autres choses sur lesquelles on peut rigoler que les Musulmans, rigole plutôt sur les investisseurs de ton journal par exemple ! »

Comment tu as réagis aux attentats ?
Je ne suis pas sorti de chez moi pendant une semaine… J’étais super choqué. J’ai aussi reçu des menaces de mort ; j’en avais déjà reçu quand mon morceau avait fait polémique à l’époque. Je suis un petit provocateur mais je ne souhaite pas la mort des gens, je souhaite le dialogue.

« T’es un esclave quand t’es plus maître de toi-même » (Nekfeu, « Être humain »)… Tu as connu la dépendance ?
Oui, rien de trop hardcore mais le pilon, l’alcool… J’en suis sorti en trouvant un sens à ma vie. A partir du moment où j’ai su que quoi qu’il arrive je pourrais toujours écrire et avoir le rap dans ma vie, ça m’a apaisé. Je ne suis pas encore débarrassé de tous mes démons mais maintenant j’ai l’impression que des gens comptent sur moi et que je ne peux pas les laisser tomber pour un manque de volonté. Et je tiens à la vie, je n’ai plus envie de me détruire. « Et je n’sais pas si c’est d’l'orgeuil ou même de l’amour propre mais on fait souvent abstraction d’l’amour qu’nos parents nous porte » (Salif, « Dur d’y croire »)… Que pensent tes parents du rap ?
J’adore cette chanson… Mes débuts dans le rap coïncidaient avec le moment où je partais le plus en couille de ma vie. Ce n’était pas favorable à leur bénédiction pour mon choix de carrière ! Mais aujourd’hui ils sont super fiers de moi. Dans tous les cas, je ne suis revenu les voir que quand j’étais dans une bonne dynamique. Mais c’est vrai qu’encore il y a un an de ça, mon père m’a dit « J’ai vu une super formation pour être assistant social ». Mes rêves ne correspondaient pas à leur vision de la vie, ils avaient peur que je me brûle les ailes.

C'est quoi ta punchline préférée de tous les temps ?
Il y en a plein ! Je dirais Booba : « Dégouté comme quand j’ai ché-cra » ! Et un proverbe arabe qui dit « Pour punir les hommes parfois Dieu leur donne ce qu’ils veulent ».