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Music

Non, Nidia Minaj n'est pas la petite soeur de Nicki

Elle a 18 ans, est originaire du Portugal et blaste du kuduro dans tout Bordeaux.

Le point commun entre le kuduro et les autres musiques du ghetto comme la baile funk, la baltimore club ou encore la jersey club, c'est le partage d'un même paradigme : la célébration de la danse et de la transe - voire de la redondance, l’exécution irrésistible et infinie d'une même recette infaillible. Le kuduro se distingue des genres précités parce qu'il représente un carrefour culturel nouveau : c'est une musique née en Angola puis transportée au Portugal par le biais des fils et filles d'immigrés angolais, cap-verdiens et mozambicains. S'inspirant du semba congolais, de la miami bass et de la techno, le kuduro s'est popularisé ces dernières années grâce à des groupes comme Buraka Sum Sistema ou encore des labels comme Principe ou Bazzerk (en France), qui ont sorti des artistes mélangeant techno/bass, house et musique africaine. En gros : l'art de la débrouille et de la fête hors les murs.

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Banlieue bordelaise. Nidia Minaj a une fenêtre du logiciel Fruity Loops ouverte, remplie d'une multitude de petits carrés colorés. Portugaise d'origine cap-verdienne et guinéenne, elle vient d’avoir 18 ans et fait du kuduro, jour et nuit. Après avoir écouté son album Estudia de Mana (sorti sur Brother Sister Records) un milliard de fois, je me suis résolu à la rencontrer. On a évoqué ses débuts, sa vie au Portugal dans le ghetto de Vale de Amoreira, ses relations avec les autres producteurs et évidemment Nicki Minaj, notre sainte patronne à tous.

Noisey : Avant de te lancer dans la prod, t'évoluais dans un groupe : Kaninas Squad. Votre plus gros tube s’appelle « Tas-te a bater », ça veut dire quoi ?
Nidia Minaj : « Tas-te a bater » est une expression portugaise qui veut dire : « tu fais ton malin », en gros tu te la racontes. Avec les Kaninas Squad, on formait un groupe de danseuses et de vocalistes. Ca se passait bien mais on s'est séparées au moment où je me suis rendue compte que j'attendais plus du groupe. Je voulais vraiment faire de la musique, c'était sérieux. Je me sentais capable d’arrêter mes études pour me concentrer entièrement là dessus et c’est déjà un peu le cas. Les autres n’étaient pas dans le même délire, elles voyaient plus la musique comme un hobby, un truc sympa à faire le week-end. Alors que moi, c'est ma vie ! J'y croyais vraiment et je les ai poussées à aller en studio, je voulais que des trucs ressortent de ce projet. Le studio, je le voyais comme un terrain de jeu, j’avais pris mes marques, mais les filles voulaient juste se concentrer sur la danse. J’ai gardé contact avec elles, hein. On est restés super potes quand même.

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Tu as passé la majeure partie de ton enfance à Vale de Amoreira au Portugal, tu y fais référence sur le titre « V.A.G.G (VA GHETTO GANG) ». À quoi ça ressemble comme endroit ?
C'est le ghetto où j'ai grandi, une vallée à 60 km de la frontière espagnole, peuplée majoritairement de noires, mais quelques blancs y résident aussi. Quand j'y habitais, c'était vraiment la vida loca. Mon quotidien était complètement différent : j'allais en cours mais je séchais pas mal pour aller en studio. Je faisais aussi de l'athlétisme. Bref, je rentrais toujours super tard du lycée à cause de la musique. Une fois arrivée chez moi, je passais mon temps sur Internet à parler à d'autres producteurs de kuduro pour en savoir plus sur le beatmaking. Ce que je préférais là-bas, c'était le vendredi, en fin d'après-midi, tout le ghetto était en ébullition, c'était le moment des préparatifs de la grande fête.

Tu allais déjà en club ?
Hmm… non. Le vendredi après les cours, on jetait nos sacs et on faisait la fête dans les rues du quartier tout le week-end. Tout mon ghetto vivait à ce rythme.

Taré ! Une sorte de rave intergénérationnelle en fait ! Les flics n’interviennent jamais ?
Ahahah, on peut dire ça comme ça. Non, la police ne rentrait pas à Vale de Amoreira. On faisait notre vie. Ils intervenaient vraiment quand il se passait quelque chose de grave, style un meurtre ou un truc dans le genre, mais pas pour les fêtes.

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C'est inimaginable ici en France, dès qu'un truc un peu fun débarque, on l'interdit. Comment tu en es arrivée à la production ?
J'ai plus ou moins toujours produit des sons depuis les années collège/lycée mais je n'osais les faire écouter à personne. C'était amateur jusqu'à ce que je commence à beaucoup échanger avec DJ Dadifox. Il m'a expliqué comment me servir de FL Studio et en tirer le meilleur. Il m'a passé des samples aussi. Depuis que j'ai commencé à produire, la musique prend quasiment toute la place. Je sors des cours, je me prépare, je me prends un truc à manger et je reste sur mon ordi jusqu'à ce que je tombe de fatigue.

Quels sont tes rapports avec les autres producteurs ? Il existe une scène kuduro en France ?
En France, y'a pas vraiment de scène. Quelques évènements à droite et à gauche sur Paris mais ça n'a vraiment rien à voir avec ce qu'il se passe au Portugal. Tout se passe là-bas et en Angola. A Paris, j'ai rencontré Jess. Il ne fait pas de kuduro mais il soutient le mouvement avec son label Bazzerk depuis plusieurs années… Il m'a beaucoup aidé.

Quant aux autres producteurs de kuduro, que ce soit DJ Dadifox, DJ Firmeza, DJ Yudifox, DJ Nigga Fox ou DJ Maboku et tous les autres, j'ai de bons rapports avec eux. On s'aide, on se soutient mutuellement. J'ai jamais reçu de commentaires désagréables ou sexistes, au contraire, les mecs m'ont vraiment poussé à continuer genre « Allez Nidia, ne baisse pas les bras ! On te regarde ! ». Ils sont heureux qu'il y ait de la diversité. On a aussi pas mal de vocalistes transgenres donc honnêtement je pense que les rapports sont plutôt bons entre les artistes et que c'est un milieu très ouvert.

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Parle-moi de ton premier album, Estudia de Mana.
Le titre déjà, Estudia de Mana, vient d'un projet qu'on avait DJ Yudifox et moi. Un projet de groupe de producteurs, tu vois ? Ça n'a pas fonctionné pour des raisons qui m'échappent mais du coup, j'ai gardé le nom et Yudifox a finalement formé un autre groupe, Tia Marria. Bref, je ne me souviens plus trop du contexte. Ce que je sais, c'est que ça s'est fait assez naturellement. Brother Sister Records m'ont contacté via Soundcloud après avoir écouté mes beats. C'est un label basé à Montréal. Au départ, ils m'avaient juste demandé un remix pour un de leurs artistes et puis finalement ils ont accepté de sortir mon premier album. Le fait d'avoir déménager loin de Vale de Amoreira en le composant, dans un pays que je connaissais à peine m'a fait réalisé à quel point mon ghetto me manquait et à quel point j'avais envie de le représenter avec ma musique. Lui rendre son essence.

C'est vraiment cool d'avoir déjà sorti un album, si tôt dans ta carrière, mais malheureusement, ça a l'air dur de faire de la musique de club et d'en vivre…
Oui je sais. On ne peut pas vivre de ça du tout. C'est pour ça que j'apprends le DJing d'arrache-pied pour avoir des dates à droite et à gauche. J'ai pas encore de vraies platines mais mon grand-frère m'a acheté un contrôleur Pioneer avec des pads pour que je puisse déjà apprendre les bases. J'ai eu un gig la semaine après avoir chopé ce contrôleur, donc j'ai tout fait pour maîtriser la technique en l'espace d'une semaine. Je ne dormais plus, j'avais la boule au ventre et je voulais que tout soit parfait. J'étais dessus jour et nuit.

Ton nom est quand même bien déconneur : Nidia c'est ton vrai prénom, mais pourquoi Minaj ?
J'ai tenté de me débarrasser de ce foutu blase mais je n'y arrive pas. Ça me jouera peut-être des tours dans le futur, j'en sais rien, mais bordel, j'adore Nicki Minaj. Je ne comprends rien à l'anglais, j'ai commencé à traduire ses paroles… et ok, certaines chansons sont « légères » mais elle a aussi pas mal de tracks où elle parle tout simplement d'elle, c'est sincère. Y'a un message fort derrière : c'est une fille de couleur qui a dû travailler plus que les autres rappeurs pour arriver là où elle en est. Elle sait ce qu'elle veut et c'est ça qui m'inspire.

Ouais, je vois mal comment on ferait sans elle même s'il existe des tonnes de raisons de la détester. T'écoutes quoi à part Nicki ?
J'écoute pas mal de rap portugais, de kuduro. J'écoute aussi de la musique électronique mais je ne suis pas toujours sûre des appellations. Par exemple, j'ai découvert une artiste qui s'appelle Uniique, j'adore ce qu'elle fait et je retrouve la même énergie que dans le kuduro.

Où tu te vois dans 10 ans ?
Je me vois vivre de mon art, faire des tournées partout dans le monde et surtout, surtout, ne jamais oublier d'où je viens.

Dans dix ans, Christelle sera riche et célèbre. Pour l’instant elle est sur Twitter.