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Music

Punk rock, vidéo-clubs et pains dans la gueule : une discussion avec Jeremy Saulnier

Le réalisateur de « Green Room » nous parle de son passé dans la scène hardcore et des raisons qui l'ont poussé à réaliser le film le plus brutal et enthousiasmant de ces dernières années.

À le voir comme ça, stoïque, impassible, dans le hall de cet hôtel branché du 10ème arrondissement baigné par un grand soleil blanc, entre top-models ennuyées et

executives

en baskets, on pourrait croire à un ado attardé, traîné de force à une assommante réunion de famille, qui a bien voulu mettre un pantalon repassé et sa seule paire de chaussures présentable, mais s’est fait un plaisir de tout ruiner en arborant un T-shirt manches longues Sheer Terror hors d’âge, constellé de trous de mite et de traces d’eau de javel. Assis entre son distributeur français et son attachée de presse, Jeremy Saulnier semble chercher le fond du puits des ténèbres de l'espace sans fin dans le substrat d'une assiette à dessert : il est à Paris pour 2 jours seulement, ce qui signifie qu’il ne récupèrera sans doute jamais des 6 heures de décalage horaire qui lui pendent aux paupières.

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Curieux tableau pour celui qui vient de signer

Green Room, jubilatoire jeu de massacre entre punks et skinheads néo-nazis qui s'est assez facilement imposé comme le film le plus enthousiasmant de ce début d'année

- et très probablement du reste aussi. Un vrai film de genre qui frappe dur et juste, sans s'excuser, un truc excitant, bordélique, imparfait, soit exactement ce que plus personne n'est foutu de faire ces jours-ci. Un coup de maître que Jeremy Saulnier, déjà responsable en 2013 du fabuleux

Blue Ruin

, pourrait avoir bien du mal à réitérer, si l'on en juge par ses allures de bête à l'agonie.

« Excuse-moi, je suis encore un peu dans le gaz », me dit-il avec un petit ricanement. « Mais je vais prendre un autre café, ça va aller ». Le temps que le serveur rapplique, j

’embraie sur le T-shirt Sheer Terror

.

« Je suis content qu'il m'aille encore. Durant ma période hardcore, dans les années 80 et 90 j'étais beaucoup plus athlétique, je faisais énormément de sport. J'étais le genre de mec que tu trouvais dans le pit ou au premier rang des concerts, torse nu, crâne rasé. Après,

il faut reconnaître qu'il n'est pas trè

s raccord avec le reste de ma tenue. J'ai tenté un mélange de passé et de présent assez hasardeux [

Rires

]. »

Il peut bien se le permettre : ce mélange, il l'a déjà impérialement réussi sur Green Room, qui renoue avec l'esprit des meilleurs films de genre des années 80 sans jamais se vautrer dans l'ironie, la nostalgie et l'hommage complaisant - pour les contre-exemples, voir la quasi-intégralité des sorties de ces 16 derniers mois. Son deuxième café avalé d'une traite, Saulnier me fait signe qu'il est prêt et me fixe avec un sourire somnolent derrière lequel je finis enfin par reconnaître celui avec qui je suis venu discuter : un mélange de paresse, de ruse et d'un truc glissant, impalpable, qu'on pourrait à peu près traduire par :

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« hey, pourquoi vous n’iriez pas tous vous faire foutre une minute ou deux ? ». « C’est parti ? » Et comment.

Noisey : Visiblement, tout le monde a décidé de comparer Green Room à Assaut ou à La Nuit des Morts Vivants. Pour le coup, j’ai pensé à des films totalement différents en le voyant. Le premier qui m’est venu en tête, par exemple, c’est Hitcher de Robert Harmon.

Jeremy Saulnier :

Oh, super film.

J’ai pensé à Hitcher pour deux raisons : il y a bien sûr cet espèce de jeu du chat et de la souris très violent qui est au coeur de l'intrigue, mais aussi et surtout le soin qui est apporté aux personnages. Dans Hitcher, le spectateur a autant d'empathie et d'affection pour le personnage de Jim Halsey, le héros, que pour celui de John Ryder, l'agresseur. C'est d'ailleurs ce qui rend crédible le lien assez étrange qui s'établit entre eux tout au long du film. C'est un truc qu'on retrouve dans Green Room : tu t’intéresses autant aux punks qu'aux skinheads, tu les montres comme des êtres humains, avec leurs forces et leurs faiblesses, et ça les rend tous intéressants et attachants. Ça pourrait être des potes, des gens que tu fréquentes au quotidien, ils n’ont rien d’exceptionnel.

C’est un peu ce que je cherche dans mon travail en tant que réalisateur : montrer des gens normaux qui se retrouvent confrontés à des situations hors-normes. Ce sont des portes d'entrées fantastiques pour le public, ça lui permet de réellement s'identifier avec les personnages, de s'immerger complètement dans le film. Rentre dans n'importe quelle salle de cinéma : au mieux tu trouveras quoi, grand maximum deux personnes dans le public qui sont d'ex-membres des Forces Spéciales ? [

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Rires

] La plupart des gens n'ont aucune idée de la façon dont ils se comporteraient s'ils étaient pourchassés et agressés. Le fait de se retrouver face à des personnages qui sont comme eux, des gens normaux, sans rien de spécial, décuple leur ressenti et renforce leur implication dans le film.

D'autant plus que tout ce qui arrive aux personnages de Green Room est particulièrement crédible. Tout semble se passer de manière complètement instinctive et naturelle, comme si les acteurs étaient en train d’improviser.

Oui, je voulais obtenir cette impression de réalisme. Quand j’ai écrit le scénario, je me suis fixé certaines règles et certaines contraintes : ne pas trop réfléchir, ne rien provoquer de manière trop artificielle. De cette façon, même en sachant exactement où je voulais amener le film, j’ai pu me surprendre moi-même en l’écrivant. J’ai essayé de vraiment me mettre dans la tête de chaque personnage, les punks comme les skinheads. Tu citais

Hitcher

qui est une super référence en la matière, mais je vois une différence notable avec

Green Room

, c’est que dans

Hitcher

, John Ryder, même si on se prend d'affection pour lui, reste un être sadique dont le but est de nuire. Dans

Green Room

, on assiste à un affrontement brutal, mais les personnages, même s'ils sont malins, sont tout sauf infaillibles : ils sont maladroits, font de mauvais choix. Parce qu'aucun d'entre eux ne désire cette confrontation, au final.

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C’était amusant de jouer avec les idées et les doutes de chacun, les plans qu'ils échafaudent, les informations qu'ils récoltent, ce qu'il se passe de chaque côté. Je me suis tout simplement demandé : qu’est-ce que j’aurais fait à leur place ? Parfois, il n’y avait pas de solution, pas d’issue possible, alors j'étais obligé de faire un truc horrible ou complètement désespéré. Après avoir vu le film, des gens m'ont dit des trucs du genre : « Dans cette scène, je n'aurais pas fait ça » ou « Pourquoi réagissent-ils comme ça ? C'est complètement stupide ! » Et je leur ai tout simplement répondu : « Je comprends ton point de vue et je ne dis pas que j’ai raison ni que tu as tort mais toi, qu’est-ce que tu aurais fait dans cette situation ? » Et généralement, ils ne savent pas quoi me répondre, parce qu’il n’y a pas de réponse. Pour le savoir, il faudrait y être confronté.

Imogen Poots, Joe Cole, Callum Turner, Alia Shawkat et Anton Yelchin dans

Green Room

Un autre film auquel j’ai immédiatement pensé en regardant Green Room, c’est River’s Edge de Tim Hunter. Déjà parce que c’est un des rares films que je connaisse qui, comme le tien, se situe dans une zone indéterminée, à mi-chemin entre le teen movie et le film d’horreur. Ensuite, parce que les personnages sont assez similaires : une bande de jeunes, qui se définissent par la musique qu'ils écoutent, qui se retrouvent dans une situation difficile et qui, comme dans la vraie vie, ont des réactions qui vont parfois à l’encontre du bon sens. Enfin, à cause de l’ambiance générale et des décors, qui sont très proches également.

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En fait,

Green Room

a été tourné en grande partie à Astoria, dans l'Oregon, qui est la ville qui a servi de modèle pour

River's Edge

- même si, en réalité, le film de Tim Hunter a été principalement tourné à Sacramento, en Californie. Et ce n’est pas un hasard :

River’s Edge

est une grosse référence pour moi, c’est un de mes films préférés de tous les temps. C’est un film sur les metalheads, sur la jeunesse, ce sont des thèmes qui me sont chers, et l’atmosphère est incroyable, le film est sublime, très beau. C’est un film très rock, très provocant, mais en même temps très sombre, très triste, très mélancolique.

C’est ce qui fait qu’il vieillit aussi bien. J'ai 39 ans et j'aime toujours autant ce film, même si c'est pour des raisons différentes que lorsque je l'ai découvert à l'âge de 16 ans.

C'est pareil pour moi - on a exactement le même âge. Tu sais un truc qui m’a vraiment gavé ? La cinémathèque de Brooklyn a diffusé une copie originale de

River’s Edge

il y a quelques mois et j’y suis allé - la copie n’était pas en très bon état, mais j’étais vraiment content de le voir sur grand écran. Et tous les gens plus jeunes dans la salle étaient morts de rire. Dès que Crispin Glover apparaissait à l'écran, ils étaient pliés en deux.

Beaucoup de gens trouvent qu'il en fait des caisses dans le rôle de Layne, mais pour avoir grandi dans le même genre de ville rurale que celle qu'on voit dans River's Edge, avec le même genre de potes et à la même époque, je peux certifier qu'il existait des tas de mecs comme celui que joue Crispin Glover. Il n'y a rien d'excessif dans son personnage.

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Exactement ! Moi, de les voir rire comme ça, ça m’a brisé le coeur. Ce film, c’est un truc sacré pour moi. C’est un film intemporel. En tout cas j’espère qu’ils ne riront pas devant

Green Room

. Tout du moins pas avant 2036. [

Rires

]

Jeremy Saulnier sur le tournage de

Green Room

Un truc que j'ai adoré dans Green Room, c'est la salle de concert, qui occupe un peu la même place au final que les marécages de Southern Comfort ou les gorges de Tallulah dans Deliverance. Déjà, elle est extrêmement crédible - je l'ai trouvée vraiment identique à des clubs paumés dans lesquels j'ai eu la malheur de me rendre en Allemagne dans les années 90. Et la façon dont tu dévoiles la géographie du lieu est assez intéressante : on s'y repère en même temps que les personnages, au rythme des confrontations.

Oui, ça a été une phase importante. En écrivant le scénario, j’avais le plan en tête, mais par la suite il a fallu tout dessiner au couloir près, pour pouvoir construire entièrement le club. Je voulais que ça ait l’air le plus vrai et naturel possible. Ça ne pouvait pas être un club en centre ville, il fallait que ce soit un genre de

road house

, plus excentré, un peu paumé. Les lieux où les skins d’extrême droite se réunissent sont toujours comme ça, et c'est le cas aujourd’hui encore. Les concerts ont toujours lieu au milieu de nulle part. Ce qui est cool parce que ça me permettait de rentrer complètement dans les codes du survival. À une époque où toutes les routes sont indiquées par GPS et où tu trouves des bornes wi-fi partout, ce genre d'endroit est à la fois rassurant et complètement flippant.

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La grosse crainte que j’avais à propos de Green Room c’était que le groupe punk, The Ain’t Rights, ne tienne pas la route. Je veux dire, les groupes fictifs au cinéma ça ne marche jamais. Mais là, pour le coup, ça fonctionne vraiment à 200 %. Comment as-tu réussi un tel tour de force ? [Rires]

Les groupes dans les films, c’est toujours l’enfer, je suis bien d’accord. Brooke et Will Blair, qui composent les B.O. de mes films, étaient également de cet avis. On voit généralement très vite que les gens qui jouent ne sont pas musiciens et qu’ils ne savent pas s’y prendre. Ils ne sont pas crédibles. L’avantage qu’on avait, c’est que la moitié de notre groupe savait jouer : Alia Shawkat et Anton Yelchin avaient tous les deux une expérience dans la musique. Mais Joe Cole, qui joue le batteur, n’avait jamais touché une batterie de sa vie. Idem pour Callum Turner, qui joue Tiger, le chanteur du groupe. On n’avait pas énormément de temps mais Alia, Anton et Joe se sont retrouvés à Portland une semaine avant le tournage pour répéter. C’était suffisant pour apprendre à jouer de manière convaincante mais pas assez pour apprendre tous les morceaux et pouvoir les jouer live. On a donc fait enregistrer les morceaux du groupe par les mecs de Toxic Holocaust - tu connais ?

Oui, carrément.

C’est Joel Grind, leur chanteur/guitariste, qui a enregistré les parties instrumentales qui ont servi aux répétitions. Mais à cause d’une histoire de Visa, Callum qui était en Angleterre, est arrivé bien plus tard que prévu - la veille du premier jour de tournage, pour tout dire. Il n’avait pas répété une seule fois avec le groupe, on lui avait juste envoyé les paroles et les instrumentaux sur lesquels il devait poser sa voix. Et dès le premier jour du tournage, on avait une scène avec le groupe. Putain, on était vraiment à l'arrache quand j’y pense [

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Rires

]. Mais toutes les autres scènes live ont eu lieu deux semaines plus tard. Et durant ces deux semaines, Alia, Joe, Callum et Anton sont devenus un vrai groupe. Callum était devenu aussi bon que n’importe quel chanteur punk que j’avais pu voir dans les années 80 ou 90, Alia et Anton étaient impeccables et Joe savait jouer de la batterie ! Et au moment où on a commencé à tourner les scènes dans le club, ils étaient parfaitement à l’aise. J’ai du avoir recours à des effets de montage, bien évidemment, parce que ce n’était pas non plus parfait. Mais ça m’a vraiment facilité les choses. Je savais que c’était un point crucial du film et j’avais très peur que ça se passe mal. Le dernier jour de tournage, on a fait une fête et les Ain’t Rights ont joué live pour toute l’équipe.

Mark Webber dans

Green Room

Tu étais dans la scène punk et hardcore quand tu étais plus jeune. C’est quelque chose qui t’intéresse toujours aujourd’hui ?

Plus tellement. J’étais vraiment à fond là-dedans, le metal, le punk, le hardcore et toutes les scènes périphériques, mais je crois qu’Internet a fini par complètement tuer tout ça, ce sentiment que tu vis quelque chose d’unique, de secret et d’inclusif. Une des idées développées dans

Green Room

, c’est que si tu voulais faire partie de ces scènes, si tu voulais vraiment savoir à quoi ça ressemblait, ce que c’était, quel effet ça avait sur les gens, il fallait aller sur le terrain. Aller aux concerts, se mêler au public, vivre le truc. Ta présence était nécessaire. Aujourd’hui, tu peux découvrir un groupe en ligne, tout savoir de leur discographie en quelques instants, regarder 20 concerts différents sur YouTube, sans bouger de chez toi. Avant, il fallait choper des flyers chez les disquaires, checker les agendas dans les journaux ou les magazines et se déplacer, aller aux concerts pour vraiment savoir qui étaient ces mecs et vivre pleinement l’expérience. Aujourd’hui, le punk et le hardcore sont livrés directement dans ton salon. Et quand j’ai commencé à faire mes recherches pour

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Green Room

, j’ai réalisé que la scène que j’avais connu avait presque complètement disparu. C’est ce qui m’a donné l’idée de faire des Ain’t Rights cet espèce de groupe marginal, sur la touche, un vestige de la scène des années 80 et 90.

On le comprend dès le début quand ils racontent pendant l’interview qu’ils ne sont pas sur les réseaux sociaux, ou lors du premier concert quand le chanteur demande à un mec qui est en train de les filmer d’éteindre son téléphone.

Oui, et tu sens que ce n'est pas simple pour eux. Aujourd’hui, rester underground, dans l’ombre, c’est vraiment difficile. C’est aussi pour ça que je voulais que ce groupe ait l’air vrai. Je savais que les gens qui viennent de cette scène ne me feraient pas de cadeau, qu’ils allaient attaquer le film par cet angle là avant même de prêter attention au reste. Cette scène représente une partie importante de ma vie et je voulais vraiment lui rendre hommage de la manière la plus sincère et authentique possible. Qu’on sente vraiment ce que c’était que la vie sur la route, les concerts pourris, les conflits. Parce que c’est ça la vie en tournée : tu te prends constamment la gueule avec les membres de ton groupe parce que le guitariste conduit trop lentement ou que le chanteur s’est endormi au volant. Pas pour des histoires de contrat ou je ne sais quoi. Et pour cause, t’as pas un rond de toute façon ! [

Rires

]

En tout cas c’est réussi. La scène du concert dans le resto mexicain, j'ai l'impression de l'avoir vécue des dizaines de fois. Un lieu totalement incongru, 3 personnes dans le public, l’organisateur qui essaie de faire comme si tout était ok [Rires].

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La plupart des scènes de tournée que tu vois dans le film ce sont tirées de vraies anecdotes que des amis m’ont raconté, mais celle du resto mexicain c’est un truc que j’ai vécu moi-même, j’ai joué à ce concert pourri devant 3 personnes contre du riz et des haricots [

Rires

].

Anton Yelchin et Imogen Poots dans

Green Room

Je disais tout à l’heure qu’on sent que tu as beaucoup d’affection et d’intérêt pour tes personnages. Tu leurs fais aussi passer de très sales moments. C’était déjà le cas dans Blue Ruin, ton film précédent, mais là c’est plus évident encore. C’est pour ça que je vois un peu de Friedkin chez toi. Pas de manière évidente, juste par très petites touches. Tes acteurs n’en bavent pas autant que ceux de L’Exorciste ou de Sorcerer, mais quand même.

[

Rires

] Tu sais quoi ? Je n’ai jamais vu

Sorcerer

. Il est sur ma liste d’attente Netflix depuis des années mais je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir. Cela dit, ce n’est pas voulu, contrairement à

Assaut

que j’ai refusé de voir avant d’avoir terminé

Green Room

, parce que je savais que le sujet des deux films était très proche et je ne voulais en aucun cas être influencé par ce film. Pour en revenir aux acteurs, effectivement ils en ont tous bavé sur

Green Room

. Mais c’était… C’était inévitable. Je veux dire, si tout le monde n’était pas à son top, ne donnait pas le meilleur de lui même, si le moindre truc n’était pas parfaitement à sa place, le fim aurait tout de suite eu l’air artificiel ou débile.

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Je voulais faire un pur film de genre, un pur film d’exploitation à l’ancienne, je ne voulais pas que ça ait l’air d’un truc ironique ou comique, je voulais que ce soit une expérience viscérale, pas quelque chose d’intellectuel. Mais en même temps, je voulais que ce soit crédible émotionnellement et il fallait que je garde les acteurs dans cet état de tension, de terreur pendant les 20 jours du tournage. Je ne pouvais pas me permettre de les laisser sortir la tête du sang, des cris et des larmes, parce que le film se déroule quasiment en temps réel. Ça a été dur, mais c’était aussi une super opportunité pour eux, qui étaient jusqu'à présent abonnés à des rôles légers de petit copain, de petite amie, des rôles où il n’y a pas vraiment d’enjeu. Là, ils en avaient un énorme. Et ils ont adoré ça.

Tu dis avoir voulu faire un pur film de genre, un pur film d’exploitation à l’ancienne. C'est justement ça qui m'a le plus enthousiasmé dans Green Room. Il n’y a pas de scénario roublard et super malin plein de rebondissements et de twists foireux, pas d’ironie, pas de références appuyées, pas de discours psychologique, pas de symbolique lourdingue. Tu as fait ce que plus personne n'est capable de faire en 2016 : un film direct, brutal, qui va droit au but, fait sérieusement, au premier degré. Green Room, à deux-trois détails techniques près, c'est un film qu’on aurait pu louer dans un vidéo-club en 1987.

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Carrément, c’était le but. Je voulais rendre hommage non pas à un film en particulier mais à un état d’esprit, à ce truc que tu ressentais quand tu prenais la caisse de tes vieux pour aller louer des VHS au vidéo-club, où tu choisissais les films en fonction de la jaquette et des trois lignes de résumé au dos. Souvent, les jaquettes étaient géniales mais le film était pourri. Mais, de temps en temps, tu tombais sur un film incroyable qui allait vraiment te parler, comme s’il avait été écrit, réalisé et interprété juste pour toi et tes potes. Dans les crédits de fin, j’ai dédicacé le film au groupe d'amis avec qui j’ai passé mon adolescence à regarder ce genre de films, avec qui j’ai réalisé mes premiers courts-métrages, à toute cette petite bande qui était fan de Peter Jackson, John Carpenter et Martin Scorsese. C’est ça que je visais. Renouer avec l’âge d’or du film de genre, du film d’exploitation - que beaucoup situent assez logiquement dans les années 70 mais que je place personnellement plutôt dans les années 80 parce que c’est la décennie durant laquelle j’ai grandi. On a le même âge donc, tu dois voir les choses de la même manière j’imagine.

Complètement.

C’est ce que tu disais tout à l’heure à propos de

River’s Edge

: on a beau avoir vieilli, on reste excité par ces films. J’ai une famille, des enfants, mais ces films là sont restés avec moi.

Green Room

, je l’ai réalisé pour l’ado que j’étais à 19 ans, pour mes potes de l’époque et pour tous les gens à travers le monde qui ont établi un lien très fort avec ce type de films. Des tas de gens vont détester

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Green Room

parce qu’ils n’ont pas connu ça, qu'ils n'ont pas les clés pour le comprendre, mais beaucoup d’autres vont l’adorer parce qu’ils vont justement retrouver ce truc qu’ils cherchaient dans les vidéo-clubs quand ils avaient 15 ou 20 ans. Je préfère m’adresser à un petit groupe de gens qui va être profondément touché par ce que je fais que de viser un public large qui m’oubliera aussitôt sorti de la salle. C’est pour ça que je voulais que le film soit dur, sérieux, sans la moindre ironie. Je n’aime pas les films ironiques, ce n’est jamais une bonne idée. La seule exception dans le genre, c’est le premier

Scream

, qui est brillant. Je préfère quand un film vise l’estomac, sans s’excuser.

Patrick Stewart et Macon Blair dans

Green Room

Justement, est-ce que cette approche a fait de Green Room un film difficile à vendre aux producteurs et aux distributeurs ? Il s'est passé presque un an entre la présentation du film dans les festivals et sa sortie officielle.

Oui et non. Au départ, pas mal de monde s’est montré intéressé, aussi bien pour le financer que pour le distribuer. Je venais de réaliser

Blue Ruin

qui avait cartonné à Cannes, les gens étaient prêts à miser sur moi. Mais quand le film a été terminé, le distributeur avec qui on s’était engagés n’a pas été très emballé par le résultat et a préféré le vendre à quelqu’un d’autre. C'est ce qui a retardé la sortie du film mais c’est ce qui pouvait nous arriver de mieux. On s’est retrouvés distribués par A24 aux USA qui sortent de super films [The Lobster

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,

The Witch

,

The Rover

,

Spring Breakers

,

The End Of The Tour

,

Under The Skin

, pour ne citer que les plus connus

] et qui vont nous permettre de bénéficier d'une grosse sortie aux USA et, par ricochet dans le reste du monde. Pour la France, The Jokers et BAC nous ont vraiment bien mis en avant aussi, et c’est cool de voir que c’est encore possible avec un film comme celui-là. Tout comme c’est cool de voir que tu peux aller à Toronto, Cannes ou Sundance avec ce genre de films. J’espère qu’on va voir dans les années à venir débarquer une nouvelle vague de films de genre, plus durs, plus viscéraux, qui seront mieux appréciés à la fois par le public et par l'industrie cinématographique. Je n'ai jamais compris pourquoi les films de genre étaient aussi méprisés. Pour moi, ce sont les films les plus complets qui existent, c'est le mélange parfait entre technique et inspiration.

Il y a un dernier film auquel j’ai pensé à la toute fin de Green Room, c’est The Wild One (L'Équipée Sauvage en VF) avec Marlon Brando.

Je connais, mais je ne l’ai jamais vu.

Il y a dans ce film une réplique qu'on peut considérer comme la base même du punk, où une fille demande à Marlon Brando : « Mais contre quoi est-ce que tu te rebelles, Johnny ? » Et il lui répond : « Je sais pas, t'as quoi à me proposer ? » J’ai trouvé que la dernière réplique de Green Room était au moins aussi bonne, sinon meilleure. Sans rien dévoiler, le timing de la dernière scène est parfait. Tu as cette discussion qui ressurgit de nulle part, cette réplique finale et tu enchaînes cut sur le générique de fin avec « Sinister Purpose » de Creedence Clearwater Revival. Tu ne peux pas finir un film de meilleure manière que ça. [Rires]

La fin du film n’a pas été simple. Parmi les gens qui avaient lu le scénario, certains trouvaient qu’il y avait une baisse de rythme dans le troisième acte. Les deux premiers consistent en un gigantesque crescendo de violence et je voyais plus le troisième comme une bouffée d’air pur, comme quelque chose de plus surréaliste, de plus émotionnel aussi. Et la fin du film est à l’image de l'ensemble : je ne voulais pas qu’elle corresponde aux attentes du public. Je l’ai fait un peu pour envoyer chier les gens, mais aussi et surtout parce qu’elle permettait à l’histoire de se terminer de façon naturelle, simple et très pure. Et plutôt drôle aussi. Ce n’était pas gagné, parce que c’était la première fois que je réalisais un film sur lequel je n’avais pas le contrôle total. Mais j’y suis arrivé, du moins je crois.

En même temps, ce qui fait tout le charme et la force des films de genre des années 70 ou 80, c'est justement qu'ils ne sont pas parfaits. Il y a des dérapages, des erreurs. Il y en a aussi dans Green Room et c’est ça qui le rend génial.

Dans un film, on s’imagine toujours que tout a été pensé avec minutie, des mois à l’avance, mais il y a toujours une part d’improvisation. Même dans le film le plus préparé au monde. C’est pour ça que je n’ai pas voulu perdre de temps en pré-production. Je voulais écrire le scénario rapidement, sans trop réfléchir, boucler le casting très vite en prenant les acteurs qui étaient le plus motivés, qui avaient vraiment envie de donner leur maximum pour ce projet, tourner le film, le présenter dans des festivals et passer à la suite. Je voulais que ce film soit un pain dans la gueule. Et si tu réfléchis trop avant de donner un coup de poing, c’est toi qui te le prends, pas vrai ?

Green Room

sera sur les écrans demain mercredi 27 avril, vous n'avez absolument aucune excuse pour ne pas y aller, mais si vraiment la fin du mois est difficile, on a des places à vous faire gagner.

La bande originale du film est disponible chez Milan. Outre le score composé par Brooke et Will Blair, on y trouve tous les morceaux des Ain't Rights ainsi que des titres de Midnight, Battletorn, Patsy's Rats et des cultissimes Corpus Rottus.

Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Il a déjà vu

Green Room

deux fois et grâce au temps qu'il a gagné en supprimant son compte Twitter, il compte bien aller le voir une troisième fois.