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Comment Sonic Youth, Einstürzende Neubauten et les Minutemen se sont retrouvés à bambouler en plein désert californien, au début des années 80

Stuart Swezey nous raconte comment il a créé les soirées Desolation Center et fait jouer quelques-uns des plus grands groupes de sa génération dans des endroits hallucinants.

Bien avant que des dizaines de milliers de weirdos se réunissent au milieu du désert du Nevada pour le Burning Man, un type du nom de Stuart Swezey a fait venir des groupes comme Sonic Youth et les Minutemen en plein désert de Californie pour des bacchanales strictement illicites baptisées Desolation Center. Ces fêtes riches en drogues auxquelles participaient tous les punks de Los Angeles ont disparu aussi rapidement qu'elles sont arrivées mais ont durablement influencé la culture des festivals telle qu'on la connaît aujourd'hui.
J'ai rencontré Stuart Swezey au printemps 2015, dans un café branché de Los Angeles, dans le quartier de Silverlake — c'est dans ce coin, aujourd'hui méconnaissable, qu'il a organisé ses premiers concerts punks, 30 ans auparavant. Swezey a aujourd'hui une petite cinquantaine d'années et est rasé de près, mais à la fin des années 70, c'était un kid fauché de L.A., qui écoutait Rodney on the ROQ, se pointait à des concerts de punk et emballait des disques pour Dangerhouse Records pour se faire un peu d'argent. Même s'il n'était pas lui-même musicien, Swezey s'est attiré les bonnes grâces de la scène punk de L.A. et y a trouvé des amis, au moment où la scène hardcore de la ville explosait.

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Dès les débuts, les rapports entre les punks et la police ont été particulièrement houleux. « C'était menaçant. Je pense que l'imagerie et le côté anarchique des choses intimidaient », explique Swezey. Quand un groupe de punk parvenait à avoir une date dans un club, les flics rappliquaient souvent, matraques au poing. « Ils ne voyaient pas d'un bon oeil l'arrivée de ce nouveau mouvement radical chez eux », ajoute-t-il, « et ils étaient bien décidés à utiliser la force pour en venir à bout. » C'est pour éviter les affrontements avec les autorités que Swezey a eu l'idée du Desolation Center — des concerts DIY et nomades qu'il organisait dans des entrepôts et des lofts situés dans les environs de Sliverlake, et où les flics ne venaient pas les déranger. Ces premiers concerts ont rapidement pris de l'ampleur, entraînant Swezey, tout juste âgé de 20 ans, à faire jouer des groupes légendaires dans le désert californien, dans des lits asséchés de lacs isolés ou dans le port de San Pedro, ouvrant la voie aux festivals d'aujourd'hui.

Stuart Swezey aujourd'hui.

L'idée d'installer le Desolation Center au coeur du désert des Mojaves lui est venue durant un road trip à travers le Mexique en 1982. « On écoutait du punk expérimental, des groupes comme Wire, Savage Republic et Minutemen », se rappelle Swezey. « Ça s'est présenté à moi comme une évidence : c'était à cet endroit que je voulais voir et entendre ce genre de musique. » Quand Swezey est rentré de son road trip et est retourné à L.A., il a immédiatement mis son plan à exécution et a contacté Savage Republic pour savoir si s'aventurer dans le désert le temps d'un concert les intéresserait. Le guitariste Bruce Licher a adoré et a même proposé un endroit : le Soggy Dry Lake, un lac asséché dans les environs du Joshua Tree. Swezey en a profité pour demander à Mike Watt et D. Boon du groupe punk de San Pedro, The Minutemen, s'ils voulaient être ajoutés à la programmation. Swezey était un fan du « minimalisme frénétique » du groupe depuis leur album The Punch Line sorti en 1981, et il était le premier à avoir obtenu une interview avec eux pour le zine Non-Plus.

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« On était tout à fait en accord avec ce mouvement », m' a expliqué Mike Watts, le bassiste de Minutemen, au téléphone. « Le désert ajoutait une toute nouvelle dimension au voyage ! C'était magnifique. » Pour ce pèlerinage dans le désert, qu'il a baptisé le « Mojave Exodus » [ « L'exode des Mojaves »], Swezey avait fait à la main 250 tickets cartonnés, qu'il a reparti chez les disquaires de Los Angeles. Vendus 12,50$ pièce, ils ont permis à Swezey de récolter suffisament d'argent pour louer trois bus scolaires, un système de sonorisation et un petit groupe électrogène. Il a ensuite contacté sa pote Mariska Leyssius, claviériste du groupe punk Psi Com, pour l'aider à organiser le festival, en mode 100 % DIY.

Des kids dans un bus à destination du Mojave Exodus sur le site du Soggy Dry Lake. Photo - Mariska Leyssius

« J'avais rédigé une décharge de responsabilité au cas quelqu'un se ferait mordre par un scorpion ou un serpent — on ne voulait être responsable d'aucun de leurs actes », rigole Leyssius. Quand les kids ont grimpé dans le bus, prêts à entamer leur exode vers les Mojaves, Leyssius a fait office de moniteur : « La consigne principale, c'était de garder l'alcool et la drogue sous les fenêtres du bus. » Après trois longues heures de trajet, chaudes et mouvementées, les bus ont finalement atteint le lac asséché. Il n'y avait pas de scène — Savage Republic et Minutemen ont installé leur matériel à même le sable et ont joué face à la foule. Il faisait chaud, l'atmosphère était poussiéreuse mais tout le monde s'en foutait. Ils savaient qu'ils étaient en train de vivre un moment particulier.

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Les Minutemen lors de leur concert au Mojave Exodus. Photo - Mariska Leyssius

« D. Boon a dit, un jour, 'le punk c'est tout ce qu'on veut en faire' », se rappelle Watt. « Aujourd'hui encore, c'est ma devise. » Son premier concert ayant été un succès, Swezey en a profité pour démissionner de son boulot et s'envolé pour Berlin Ouest. À l'époque, la ville était un havre pour les artistes et les musiciens et Swezey a adoré chaque minute de son séjour. « Tu pouvais rester dans un squat puis aller à un concert, c'était le Disneyland de la culture alternative », raconte-t-il. Là-bas, il a fait la connaissance de Sonic Youth, qui sortait tout juste son deuxième album, Confusion Is Sex, et de Einstürzende Neubauten, célèbre groupe industriel qui se servait à l'époque de morceaux de ferraille et de machines de chantier pour faire de la musique. Même s'il ne savait pas encore quand il rentrerait aux États-Unis, il a proposé une date dans le désert aux deux groupes, si un jour ils passaient par Los Angeles.

Quelques mois plus tard, Swezey est rentré chez lui à Los Angeles et Einstürzende Neubauten l'ont recontacté. Le groupe arrivait à Los Angeles la semaine suivante, ils avaient un jour de libre, qu'ils pourraient consacrer à un concert dans le désert. Swezey a immédiatement accepté, même s'il n'avait pas la moindre idée de la manière dont il allait pouvoir organiser un concert aussi rapidement. En se référant à la traduction allemande d'exode, Swezey a baptisé le deuxième concert du Desolation Center, le « Mojave Auszug ».

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Le public du Mojave Exodus. Photo - Mariska Leyssius

Einstürzende Neubauten ont amené avec eux le collectif artistique expérimental Survival Research Lab (SRL) ainsi que Boyd Rice — un musicien et artiste avant-gardiste originaire de Californie. La conception étrange et avant-gardiste du punk de SRL et de Rice se mariait parfaitement avec Neubauten et le désert. Le deuxième concert du Desolation Center serait un évènement à ne manquer sous aucun prétexte.

Ce nouveau pèlerinage avait pour destination Mecca, en Californie. Le groupe avait affrété 7 bus pour parcourir plus de 240 kilomètres avant d'atteindre une route fermée à la circulation. C'était « une belle route sinueuse qui s'étalait entre les rochers préhistoriques, on s'attendait à voir débarquer des dinosaures d'une minute à l'autre », se souvient Swezey.
Pour la première partie, Rice s'était allongé sur un lit de clous, avec un bloc de béton posé sur la poitrine, entouré de micros. Un des types de Einstürzende Neubauten était chargé de donner des coups de masse dans le bloc de béton. « Boyd [Rice] restait calme et silencieux. Il nous a dit que c'était un vieux tour de fête foraine », raconte Swezey. « Mais il n'y avait aucun trucage. Il était juste allongé sur un lit de clous, avec un bloc de béton sur le torse que quelqu'un allait exploser à coups de masse. Ce qui était cool, c'est qu'il en faisait aussi une installation sonore. Et le rendu était mortel. »

La mitrailleuse fabriquée par le Survival Research Lab. Photo - Matt Heckert

Après la performance de Rice, ce fut au tour de SRL de monter sur scène — ou plutôt sur la parcelle de sable, puisqu'il n'y avait pas de scène. Ne pouvant pas ramener leurs robots de San Francisco, le groupe a utilisé ce qu'il avait sous la main pour ce concert. Ils ont bourré d'explosifs cinq vieux réfrigérateurs qu'ils avaient trouvés la veille, alors qu'ils campaient. Ils ont ensuite tiré dessus avec une mitrailleuse à 12 canons faite maison. Après quoi, ils ont équipé un rocher de dynamite, dans l'espoir que l'explosion le déloge et le fasse dévaler la montagne.

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Un peu avant le début de la performance, Perry Farrell — qui n'avait pas encore fondé Jane's Addiction et jouait alors avec Psi-Com — se baladait sur la montagne, sans savoir qu'une explosion se préparait. « On l'a vu là-haut et tout le monde lui a fait des grands signes pour qu'il redescende, mais il a cru qu'on lui faisait coucou, et il nous a fait signe à son tour », se rappelle Leyssius. « Finalement, tout s'est bien passé. »

L'explosion a galvanisé la foule. Beaucoup étaient sous acide, mais le rocher est resté à sa place, sur le haut de la montagne, et Perry est redescendu en un seul morceau. C'était l'unique contretemps d'un évènement qui étrangement s'est déroulé sans le moindre incident. Des centaines de kids cramés à l'acide admiraient des artistes jouer avec de la poudre et des explosifs, et on se sentait plus en sécurité que dans n'importe quel club de L.A.

L'explosion orchestrée par SRL lors du Mojave Auszug. Photo - Matt Heckert.

Mike Watt de Minutemen était un de ces punks défoncés, et pour lui, le mélange du LSD et de la musique de Einstürzende Neubauten a été une expérience qui tenait du surnaturel. « Je me souviens que le bassiste jouait avec une basse à une corde, il l'a balancée par terre et s'est mise à la marteler avec un engin de terrassement, un de ces trucs dont tu te sers pour aplanir le bitume », raconte-t-il. « J'étais sur le cul. Il avait aussi cet énorme cable qu'il utilisait comme une corde de basse et sur lequel il martelait. C'était complètement psychédélique. » Watt n'a depuis plus jamais repris d'acide, peut-être parce qu'aucun trip n'aurait été aussi puissant que celui qu'il avait vécu au Mojave Auszug.

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Si les performances artistiques dans le désert, les explosifs, la musique et les drogues vous disent quelque chose c'est parce que le Mojave Auszug a été l'élément déclencheur d'un autre festival organisé dans le désert : le Burning Man. John Law, co-fondateur du Burning Man, m'a confié que le travail de Swezey avait eu énormément d'influence sur lui et sur beaucoup des personnes avec lesquelles il avait collaboré dans les débuts du festival. Il a expliqué que les premières performances de SRL ont été une grande source d'inspiration pour le Burning Man, en particulier pour le feu et les machines.

Le public du Mojave Exodus. Photo - Mariska Leyssius

Après le Mojave Auszug, les incroyables concerts de Swezey dans le désert ont accédé au statut de mythe chez les punks de L.A. Lui savait qu'il était maintenant temps de faire autre chose, de complètement différent. « À cette époque, je me demandais souvent comment je pouvais utiliser l'environnement de L.A., dans lequel j'ai grandi, sans pour autant tomber dans le cliché de la plage ou d'Hollywood », se remémore Swezey. Quand il revenait des barbecues organisés par D. Boon chez lui, à San Pedro — une ville ouvrière du sud de Los Angeles — Swezey adorait la manière dont les grues s'élevaient au dessus de l'eau. Il a donc décidé que le prochain concert du Desolation Center aurait lieu sur un bateau, dans le port de San Pedro.

Boon et Watt étaient surexcités. Les flics de San Pedro avaient fait plier la scène punk du coin, et les concerts des Minutemen se faisaient annuler après qu'ils aient seulement eu le temps de jouer un morceau ou deux. Ils n'en revenaient pas que leur pote de L.A. leur organise un concert à Pedro. « On avait l'impression d'avoir un nouveau membre dans le groupe. Le bassiste, le batteur et Stuart — l'organisateur de concerts géniaux », se marre Watt.
Swezey a baptisé le concert « Joy at Sea », un clin d'oeil à l'album More Joy des Minutemen. Le groupe a fait appel à leurs confrères tordus d'Arizona, les Meat Puppets, et les ont ajoutés à la programmation. Pour la salle, Swezey a réussi à affréter un bateau d'observation de baleines à moindre coût et il a construit, avec l'aide de Mariska Leyssius de Psi-Com, une scène de fortune avec des planches en bois, le matin même du concert. Une fois la salle remplie, le bateau a mis les voiles. Mais quand ce fut au tour de D. Boon et des Minutemen, les choses se sont un peu compliquées.

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Les fans lèvent l'ancre du Joy at Sea. Photo - Ann Summa

« D. Boon ne tenait pas en place, c'était dans sa nature », raconte Watt. « Quand il jouait, il fallait qu'il danse. Et ça a forcément eu quelques conséquences. » Le bateau tanguait et menaçait de chavirer alors que Boon se jetait aux quatre coins de la scène, mais il s'est finalement maintenu à flot. Alors qu'ils retournaient au port, un bateau de la Garde Côtière est venu les emmerder pour avoir fait flotter un drapeau de Minutemen, au lieu du drapeau des États-Unis. « On était un bateau de fous qui fendait la mer », explique Swezey. Je lui ai demandé si la Garde Côtière avait pris ces kids aux percings et cheveux herrissés pour des pirates. « Techniquement, nous étions des pirates », m'a-t-il répondu.

Swezey et Leyssius en rigolent toujours : encore aujourd'hui, ils ne peuvent pas expliquer pourquoi ils n'étaient pas plus inquiets que ça que les flics débarquent, qu'un type passe par-dessus bord ou que la scène s'effondre. En mettant le mouvement hors de portée de la police de Los Angeles et des restrictions des clubs, le Desolation Center a offert un havre de paix au punk, où il a pu prospérer. « Stuart n'a jamais joué dans un groupe, mais il voulait que les groupes puissent jouer », explique Watt. « Tu veux jouer une muqiue sauvage, tu veux avoir l'air sauvage, alors pourquoi ne pas jouer aussi dans des lieux sauvages ? Il y avait un truc spécial dans l'esthétique des lieux qu'il choisissait, ce n'était jamais deux fois la même chose. »

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D. Boon et Mike Watt en concert au Joy at Sea. Photo - Ann Summa

En 1984, un peu avant Noël, Swezey a reçu un coup de fil inattendu de Kim Gordon de Sonic Youth. Elle lui a fait savoir qu'elle et Thurston Moore seraient à L.A. pour les vacances, et lui a demandé s'il était toujours motivé pour organiser le concert dans le désert dont il leur avait parlé à Berlin, quelques années auparavant. À ce moment-là, Sonic Youth n'avait encore jamais joué sur la côte ouest, donc Swezey s'est jeté sur l'opportunité. C'était pour lui le groupe idéal pour une troisième édition du concert dans le désert des Mojaves. « Ils étaient fascinés par le côté sombre de l'héritage américain », explique-t-il. « L'envergure de leur musique rendait possible un concert dans le désert, ça s'y prêtait tout à fait. »

Avec Sonic Youth en tête d'affiche, il n'a pas été difficile de convaincre Meat Puppets, Psi-Com et Redd Kross — un des premiers groupes de hardcore du sud de Los Angeles — de se joindre aux festivités. Psi-Com, qui avait joué au concert dans les Mojaves mais qui était maintenant mené par Perry Farrell, a ouvert les hostilités. « Au départ, Psi-Com était très tourné vers le shoegaze — dans le genre de My Bloody Valentine — mais là, le groupe avait pris un tournant hard-rock », raconte Swezey. « Farrell était un type charismatique, et les gens réagissaient bien. » Meat Puppets ont suivi et ont demandé à ce que l'on éteigne les projecteurs, pour qu'ils puissent jouer à la lumière de la pleine lune. Swezey a plus tard appris que quelqu'un dans la foule distribuait des psychotropes et que tout le monde était défoncé. « Je me rappelle qu'un type a saisi le micro et a hurlé 'On est dans le désert ! On est dans le désert !' », explique Swezey. « Ça m'a filé la chair de poule. »

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Enfin, Sonic Youth est monté sur scène. Les punks de L.A. ne savaient pas comment réagir. Le groupe faisait des trucs complètement différents de ce qu'ils avaient l'habitude d'entendre. « Je me souviens qu'un type du label SST m'avait dit 'Pourquoi tu bookes ce groupe de rock arty merdique ? Pourquoi est-ce que les Meat Puppets ouvrent pour ce groupe arty de merde ? » se remémore Swezey. « Et après ce concert, SST les a signés. »

Perry Farrell à l'édition Mojave Auszung du Desolation Center. Photo - Mariska Leyssius.

Après le set de Sonic Youth, les festivaliers sont remontés dans leur voiture et sont rentrés chez eux en Californie. C'était la quatrième édition du Desolation Center en moins de deux ans, et à l'époque, tout le monde s'attendait à ce qu'il continue et ne s'arrête jamais.

En décembre 1985, D. Boon s'est tué dans un accident de van dans le désert de l'Arizona.

Le week-end de l'accident, Swezey avait organisé un concert caritatif du Desolation Center au profit de la FAR de Downtown LA, une fondation destinée à promouvoir l'art. Sonic Youth, Swans et Saccharine Trust avaient tous fait des sets géniaux, mais ce n'était pas pareil. « C'était le premier concert que Swans donnaient sur la côte ouest », explique Swezey. « Mais c'est aussi ce week-end là que D. Boon est décédé. Pour moi, tout était fini. »

Watt et Swezey se rappellent de Boon comme d'une personne hors normes, mais aussi comme d'un ami loyal. Swezey a récemment montré à Watt de vieilles vidéos tournées lors du premier concert organisé dans le désert. « À un moment, on voit D. Boon danser, on dirait qu'il veut sauter hors de l'écran », raconte Watt. « Même après toutes ces années, c'est difficile de croire que quelque chose ait pu le tuer. »

Ce concert caritatif a été le dernier des évènements organisés par Swezey pour le Desolation Center. « J'avais l'impression que les choses avaient changé », m'explique-t-il. « Il n'y avait plus cette part d'aventure. » En compagnie de Leyssius, il a fondé Amok Books, une maison d'édition underground, qui a publié les mémoires du journaliste gonzo John Gilmore intitulés Laid Bare et une centaine d'autres ouvrages. Il avait évolué, et la scène punk aussi.

Swezey aurait pu faire fortune en faisant des concerts du Desolation Center un festival annuel, mais sa spontanéité et son désintérêt du gain, ont fait de ses concerts des réussites contre-culturelles. Les concerts du Desolation Center ont su éviter le moment crucial où une manifestation DIY tombe dans le mainstream, changeant leur ambiance et leur esprit de manière irréversible. D'une certaine manière, ces concerts étaient magiques parce qu'ils n'avaient pas été affaiblis par l'argent ou par le temps : ils étaient brutaux, ils étaient sincères et plus important encore, ils étaient totalement originaux.

Savage Republic au Mojave Exodus. Photo - Mariska Leyssius

On ressent encore l'influence de Swezey aujourd'hui. Perry Farrell s'est lié d'amitié avec Dave Navarro en 1985 et ils ont touché le gros lot avec Jane's Addiction. Il a finalement lancé le Lollapalooza en 1991 et a mentionné les concerts du Desolation Center comme une source d'inspiration. La société Goldenvoice fondée par Rick Van Santen et Paul Tollett, qui a fait la promotion de Minutemen, Einstürzende Neubauten et des groupes de Farrell dans les années 80 à Los Angeles, a lancé son propre festival dans le désert en 1999 : Coachella.

En 2015, Swezey a démarré une série d'interviews filmées des protagonistes des concerts du Desolation Center pour un documentaire à venir, qu'il espère financer par le crowdfunding, pour une sortie prévue en automne 2016. Mike Watt insiste : il ne sera pas question de sentimentalisme dans ce documentaire. En fait, selon lui, ce sera plutôt « l'occasion de montrer qu'on peut encore faire quelque chose. »

Pour Watt, la magie de l'approche de Swezey, de faire voyager le punk rock dans le désert et sur la mer, embrasse l'idéal anarchiste. « Dans cette scène, il était en partie question de souffler le public, avec les basses et les guitares, parfois avec les mots, parfois avec les fringues et parfois aussi avec les endroits où étaient donnés les concerts, » estime-t-il. « Il faut proposer aux gens des trucs qui les font se sentir vivants. »

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