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Il n'y aura plus jamais de mec comme Peter Steele

On a rencontré Jeff Wagner, l'auteur de la biographie du leader de Carnivore et Type O Negative sortie il y a quelques semaines.

Ma vie ne serait pas la même aujourd'hui si je n'avais pas croisé la route de Peter Steele, une nuit glaciale de 1987 du côté de Dubuque, Iowa… Non je déconne. J'avais 7 ans quand Bloody Kisses est sorti et à vrai dire je n'ai pas découvert le Green Man sur les ondes ou dans les clips télé de Type O Negative (même si leur nom était déjà présent dans tous les catalogues de merch) mais par l'intermédiaire de son deuxième groupe, Carnivore, une formation thrash intenable qui a semé la panique à New York et ailleurs entre 1982 et 1990 et dont je lisais le nom à chaque fois qu'un groupe classique du NYHC citait ses influences dans un fanzine. J'ai aimé Type O Negative plus tard, sans jamais les voir. Et ce ne sera vraisemblablement plus jamais possible.

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Après une fausse annonce de sa mort en 2005 par le groupe lui-même (ces types ont toujours été de gros blagueurs), Peter Thomas Ratajczyk a succombé pour de vrai en avril 2010, après une complication liée au syndrome de Meckel. Une perte de taille pour tous les amateurs d'humour noir et de musique mortifère. Et surtout la mort d'un génie, un vrai de vrai. On ne va pas vous refaire le palmarès de Steele : 30 ans de carrière, 8 albums parfaits, une collection impensable de petites culottes… Prétendant officiel au titre du vampire le plus cool du monde, du meilleur rouleur de R du circuit, du plus gros emmerdeur de la scène, de la chevelure la plus soyeuse, du goujat le plus sympa et j'en passe.

Jeff Wagner, un de ses nombreux fans déjà auteur de Mean Deviation, a décidé de prendre le taureau par les cornes en 2012 et plutôt que de constituer une nouvelle série de figurines dédiées à son maître (les fans de Peter Steele peuvent aller loin, même très loin) il s'est lancé dans l'écriture de sa biographie. Deux ans plus tard, Soul On Fire - The Peter Steele Biography est enfin disponible aux éditions FYI Press. Et c'est évidemment l'ouvrage le plus complet puisque le seul jamais écrit sur Steele et son oeuvre. 300 pages qui retracent de long en large le parcours du Géant Vert de Brooklyn. Pour vous en donner un aperçu, on a posé quelques questions à Jeff sur certains des thèmes chers à Peter Steele : le crossover, la provocation, les femmes, la nature, le catholicisme, la vie et la mort. Mais que ça ne vous dispense pas de choper le livre.

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Noisey : Comment as-tu découvert la musique de Peter Steele ?
Jeff Wagner : Je devais avoir 14 ou 15 ans lorsque j’ai commencé à lire le nom de Carnivore dans des fanzines, au milieu des années 80. Quand je suis tombé sur le premier album du groupe chez un disquaire, vers 1986, j’ai lu le texte au dos et j’ai tout de suite su que j’allais repartir avec le disque. J’ai aimé le groupe dès la première écoute et j’ai attentivement suivi la carrière de Peter Steele à partir de ce moment-là.

J’ai l’impression que Carnivore y est pour beaucoup dans le son crossover NYHC, je pense également à la collaboration de Peter Steele sur le deuxième album d’Agnostic Front, Cause For Alarm.
Carnivore représentaient une facette importante du crossover hardcore/metal, mais je pense que ce sont vraiment Cro-Mags et Agnostic Front qui méritent le plus de reconnaissance pour ça (et si on sort de New-York, il faut aussi citer D.R.I. et Corrosion Of Conformity). Personnellement, je préfère Carnivore, mais historiquement, ces deux groupes étaient là avant. La contribution de Peter à l’album d’Agnostic Front est déterminante, c’est sûr, mais le groupe était là bien avant et a continué sa route ensuite. Donc Peter et Carnivore ont apporté indéniablement leur pierre à l’édifice crossover mais n’étaient pas réellement vitaux pour le style. Comme tout ce que Peter a fait, ça ne rentrait pas vraiment dans une seule catégorie. Retaliation, le deuxième album de Carnivore n’avait pas grand-chose à voir avec ton album de crossover « typique ».

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Tu peux me parler de leurs costumes ?
Les tenues de Carnivore ont souvent été comparées à celles de Manowar, la fourrure, les armes blanches, etc. Et il y a sûrement du vrai là-dedans. Manowar était un groupe de la région et ils jouaient souvent à New York à l’époque où Carnivore a débuté. C’étaient tout simplement des fans du groupe, mais l’inspiration provient plus de Mad Max, que Peter adorait. Ce look crade, survivaliste, post-apocalyptique, collait parfaitement au concept initial de Carnivore.

Carnivore a souvent été taxé de racisme et de misogynie. On dirait que les gens n’ont jamais compris l’humour extrêmement noir de Steele, et on ne peut pas trop leur en vouloir parce qu’il n’a jamais eu l’air de déconner non plus ! Comment as-tu abordé cette partie du mythe ?
C’est compliqué, à l’image de Peter Steele lui-même. On ne peut pas expliquer ou répondre facilement à ça, j’imagine que c’est pour cette raison que le bouquin fait 300 pages. Steele a développé tellement de facettes différentes à travers sa musique.

Peter n’était ni misogyne ni raciste. Ce qui ne l’empêchait pas de détester une large portion de la race humaine, comme de se détester lui-même. Mais je crois qu’il a surtout dirigé sa haine contre les gens qui, pour lui, le méritaient. Il s’est en même temps créer un monde imaginaire où il pouvait se réfugier pour écrire, comme sur le premier album de Type O Negative, Slow, Deep and Hard, d’où proviennent beaucoup des accusations qu’il a traînées pendant des années. Il ne faut pas oublier qu’il détestait certaines politiques socialistes du gouvernement américain comme le système de sécurité sociale, et les gens qui s’en servaient comme d’une béquille, comme d’une excuse pour ne rien faire de leurs vies. Tout ça le mettait hors de lui. C’était son opinion. Beaucoup d’immigrés profitaient du système, Peter le savait, mais n’en a jamais fait un problème « racial » ou quoique ce soit de ce genre. Il méprisait autant les blancs fainéants, abrutis, bons à rien, que n’importe qui d’autre. Si tu ajoutes à ça l’excellent sens de l’humour de Peter, à la fois caustique et tranchant, et au fait qu’il adorait jouer l’avocat du diable et jeter de l’huile sur le feu, eh bien tu obtiens des morceaux comme « Der Untermensch », « Race War », « Prelude to Agony » et « Male Supremacy ». Mais raciste et misogyne dans la vie réelle ? Définitivement pas.

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Des groupes aussi borderline que Carnivore pourraient encore jouer aujourd’hui ?
Je ne sais pas. Je n’aime pas vraiment les hypothèses. A mon avis, le metal et la musique extrême ont pris tellement de directions différentes qu’il existe certainement un groupe similaire aujourd’hui, il y a toujours des groupes qui aiment provoquer. Ceci étant dit, il n’y aura plus JAMAIS de groupe comme Carnivore. Personne dans le metal n’a jamais manié le sarcasme aussi passionnément que Peter.

Avant le succès de Type-O-Negative, avant même Carnivore, Peter Steele faisait de la musique depuis un bail. Notamment avec son premier groupe synth-metal, The Fallout.
Oui, je me suis penché longuement sur Fallout. Ce groupe est une étape ultra importante de l’évolution de Peter en tant qu’artiste. Avant ça, il a joué dans quelques groupes de rock avec un pote à lui, Josh Silver. La musique était définitivement liée au destin de Peter. Il a démontré des qualités de leadership et de créativité dès son plus jeune âge. Il n’a jamais voulu devenir une rock star par contre, du moins, pas une qui serait en permanence sous les projecteurs. Il voulait garder son anonymat mais comme on le sait, ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé.

Il a eu quelques problèmes avec le label Roadrunner sur la fin d’ailleurs, non ?
Je ne crois pas qu’il était entièrement déçu par Roadrunner. Il avait de bons rapports avec beaucoup de gens du label, et ils ont certainement fait plus pour lui qu’aucun autre label avant… J’imagine que s’il était encore là pour répondre à cette question, d’une manière sérieuse, il aurait probablement un paquet de choses à dire sur Roadrunner, et pas que des choses négatives.

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Peter et ses 5 soeurs en 1980. (Crédit photo)

Je me suis demandé pourquoi personne n’avait jamais sorti de livre sur Peter Steele.
C’est exactement ce que je me suis dit aussi au début de l’année 2012 ! Quand j’ai réalisé qu’il n’y en avait eu aucun, j’ai senti qu’il fallait que je relève le défi et je m’y suis mis. J’estime que celui que j’ai écrit est honorable. Je sais que certaines personnes pensent que c’était « trop tôt », ou que « Peter n’aurait jamais voulu qu’on écrive un livre sur lui » mais ma réponse est simple : quelqu’un l’aurait de toute façon fait et je voulais faire le livre le plus vrai qui soit. Et pour ceux qui pensent que ça n’aurait pas plu à Peter : vous êtes qui pour parler au nom de Peter Steele, hein ? Je n’essaie à aucun moment de parler à sa place dans ce livre. Peter parle pour lui à travers ses citations, et sa musique.

D'ailleurs, est-ce que son éducation catholique et ses origines polonaises sont déterminantes pour comprendre sa personnalité et son art ?
Oui, je crois qu’il s’est fortement identifié avec ces deux aspects de sa personnalité. Il a eu une relation compliquée avec le catholicisme. Il s’est autoproclamé athée pendant des années, durant la majeure partie de sa carrière au sein de Carnivore et Type O Negative, mais comme beaucoup de gens le savent il a revu sa foi et a embrassé le Catholicisme lors des dernières années de son existence. Tout ça est abordé en détails dans le livre.

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Je ne savais pas qu’il avait continué à travailler comme employé municipal dans un parc de Brooklyn jusqu’en 1994 (soit un an après la sortie de Bloody Kisses). Il vient de là son surnom de « Green Man » ?
C’est à cause de son uniforme de jardinier, tout vert, qu’il s’est sait surnommer « The Green Man ». Ca ne le gênait pas du tout, au contraire, Peter était un amoureux de la nature. Il adorait ce boulot et nourrissait le souhait d’éventuellement y retourner une fois sa carrière musicale terminée.

Tu as des souvenirs de la façon dont Slow, Deep and Hard a été accueilli par la presse à l’époque ? On était en pleine ère grunge et j’imagine que personne n’était prêt pour ça !
Je me rappelle que la plupart des chroniqueurs ne savaient pas quoi foutre du truc. Je ne crois pas que le soi-disant « grunge » ait eu une incidence là-dessus mais le disque était tellement cru et conflictuel, avec en plus une grosse dose d’humour, que les gens n’ont rien capté. Il alterne des moments hyper expérimentaux avec d’autres totalement accessibles, au milieu de chansons très, très longues. Ca ne ressemblait à rien d’autre, ça ne sonnait comme rien d’autre, les titres des morceaux étaient très étranges… l’écoute de ce disque a plongé des tas de gens dans la confusion la plus totale. En tant que fan de Carnivore, j’étais vraiment excité d’entendre le nouveau projet de Peter, et je n’ai pas été déçu. Le tout m’évoquait une version plus expérimentale de Carnivore, et, à la base, c’était exactement ça.

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Bloody Kisses, le deuxième album du groupe, est un disque sulfureux, contrasté par des lyrics aussi sombres que passionnés sur les chagrins amoureux de Peter. Steele était un type sensible finalement ?
Eh bien… Pour avoir parlé à un nombre conséquent de ses ex-petites amies au cours de la préparation du livre, celles avec qui il a passé le plus de temps, j’en sais probablement plus que je ne le devrais sur le type d’amant qu’il était. Et s’il te plaît, ne sors pas cette citation de son contexte ! [Rires]. Mais ouais, je pense qu’il était extrêmement attentionné, très sensible. Bien différent du supposé misogyne et personnage pro-viol qu’on dépeignait quelques années auparavant. Peter donnait vraiment beaucoup aux femmes, indéniablement. Pour le reste, motus et bouche cousue.

A quelle période Type O Negative est devenu un groupe important ?
Sans aucun doute avec l’album Bloody Kisses, et l’impact combiné de « Black No.1 » et de « Christian Woman ». Les tournées massives du groupe, le boulot de promo intensive de Roadrunner Records, le degré de culte et de controverse que l’album a drainé avec lui ; tout était réuni pour que le groupe explose. Et tous les morceaux étaient simplement fantastiques. Type O Negative aurait pu se reposer sur leurs lauriers et rester « cultes » pour toujours. Mais Peter a écrit des chansons qui étaient vraiment bonnes et qui parlaient à une audience bien plus large que tout ce qu’il avait composé auparavant.

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On dirait que Peter voulait aussi fermer la bouche de ses détracteurs et en finir avec son passé sur des titres comme « We Hate Everyone » ou « Kill All the White People ».
Oui, c’étaient des tentatives délibérées d’avoir le « dernier mot » sur la controverse qui le poursuivait depuis ses débuts, et un bon moyen de faire table rase de son passé afin de pouvoir se concentrer sur l’avenir de Type O. Et c’est exactement ce qu’il a fait. Il n’est jamais revenu sur ces polémiques pré-Bloody Kisses après ces deux chansons.

Ironiquement, leur album suivant, October Rust, basé sur le concept du Vinland, est devenu disque d’or !
Le disque était encore plus attractif et digeste que Bloody Kisses. Bien plus doux, tous les morceaux constituaient une atmosphère, une texture et une direction parfaitement maitrisée. C’est une pièce maîtresse en terme de production, et encore une fois, le songwriting de Peter est incroyable. Ce n’est pas mon album préféré du groupe mais des titres comme « Love You to Death », « Die With Me », « Haunted » et surtout « Wolf Moon » et « Red Water » comptent parmi ce que Type O Negative a fait de mieux.

Est-ce qu’on peut parler un peu du shooting photo que Peter a fait pour Playgirl en 1995 ?
Le timing était parfait. S’il l’avait fait à l’époque de Slow, Deep and Hard ça lui serait retombé dessus. Mais quand la session pour Playgirl a été publiée, le moment choisi ne pouvait pas mieux tomber. C’était la période où Type O Negative ne cessait de grossir, et l’épisode Playgirl a fait monter en flèche la popularité du groupe, du moins chez les femmes ! Il avait le look et le physique de l’emploi. Il est devenu une marque de fabrique. Je pense qu’il faut considérer ce shooting comme un geste ironique. Pour un mec qui ne s’est jamais réellement pris au sérieux, j’ai l’impression que c’était une grosse blague pour lui.

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A propos, qui est responsable de l’artwork de Type O Negative ? Il est toujours impeccable.
Comme pour la musique, toutes les idées viennent de Peter. C’est arrivé que d’autres membres du groupe s’impliquent dans l’artwork mais en général, tous les concepts sortaient de la tête de Peter, et il était épaulé par plusieurs graphistes de chez Roadrunner qui concrétisaient ses idées. Une bonne partie du livre revient sur cet aspect du groupe parce que pour moi, l’esthétique et la sensibilité artistique de Peter ont quelque chose d’unique, et sont aussi impressionnantes que sa musique.

Les trois derniers albums de Type O Negative sont particulièrement déprimants. Steele était devenu accroc à la cocaïne sur le tard, passé par la case Rikers Island… On a l’impression qu’il était complètement perdu. Est-ce que ces disques annonçaient déjà sa mort imminente ?
Des gens m’ont dit que « Peter était quelqu’un de très secret ». Et dans certains cas c’est absolument vrai. Mais en fait, tout ce que tu as à faire c’est de lire ses lyrics pour savoir à quel point il en était dans sa vie, à condition d’être capable de naviguer entre l’humour auto-dévalorisant et l’extrapolation qui sont inhérents à de nombreux artistes. Donc il n’était pas si secret que ça au final – il n’y a qu’à mater les booklets ! Et en effet, ces disques étaient un miroir de ce qu’il traversait à l’époque. Une sale période.

Qui a répandu les rumeurs de sa mort en 2005 ?
Le groupe en personne ! Ils ont posté une photo d’une pierre tombale sur leur site officiel cet été là, avec le nom de Peter, sa date de naissance et sa date de mort. C’est une des nombreuses vannes que le groupe lançait à leurs fans et au public en général. Quand Peter est mort pour de vrai, beaucoup de fans n’y ont pas cru tout de suite, pensant que c’était encore un canular comme en 2005.

Tu étais où et comment as-tu réagi en apprenant sa vraie mort ?
J’étais à la maison, je me levais, c’était le matin au lendemain de sa mort. La nouvelle commençait juste à circuler et comme je l’ai dit avant, je pensais moi aussi que c’était un canular. Quand j’ai réalisé que non, ça m’a vraiment fait un choc, et ça a été le cas pour chaque personne qui admirait le bonhomme. J’ai traversé trois décennies en restant fan de son boulot, pendant les années 80, 90 et 2000. J’avais adoré l’album Dead Again, et j’étais content d’apprendre qu’il avait retrouvé la sobriété et pris une nouvelle direction dans sa vie. Je me disais qu’il avait un nouveau souffle et que sa créativité allait continuer à être florissante. Ca a été une perte horrible, horrible. Ce mec était tellement entier, dans tous les sens du terme, généreux, passionné. Je ne peux même pas imaginer à quel point son groupe, sa famille et ses meilleurs amis devaient être dévastés.

Si tu devais trouver un équivalent à Peter Steele aujourd’hui ?
Aucun. Voilà pourquoi Peter et sa musique restent importants, et pourquoi il est toujours vénéré par autant de gens. Il était le seul et l’unique Peter Steele. Il n’y en avait pas deux comme lui, ni avant, ni pendant et il n’y en aura plus jamais. Comme il n’y aura plus jamais de groupe de la trempe de Type O Negative ou Carnivore. Ces groupes étaient les extensions de la personnalité de Peter. Ils resteront uniques et extraordinaires.

Soul On Fire est disponible en anglais sur ce lien.

Edit Février 2015 : Et il vient de sortir en français chez Camion Blanc, évidemment. Rod Glacial regrette d'avoir revendu son T-shirt de Bloody Kisses. Il est sur Twitter - @FluoGlacial