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Music

Georgio : « Je suis un fantôme des quartiers »

Le rappeur parisien a pris un moment durant sa tournée pour nous parler de son album « Bleu Noir », de ses doutes et de ses parents fans des Sex Pistols.

Photo : N'kruma

Posé à la table du traiteur antillais du Marché des Enfants rouges, Georgio vient de finir de manger, il est 16h30. Il revient, le sourire toujours au beau fixe, du Printemps de Bourges. Entre deux déplacements pour des concerts, le jeune homme lit. Des Particules élémentaires de Michel Houellebecq à John Fante, Georgio avale les bouquins et on en discute. Entre deux mouvements de main pour replacer sa chevelure (bientôt obligatoire pour être crédible dans le rap), le rappeur longiligne du XVIIIe nous a parlé de son spleen parisien tout en se questionnant sur le bien-fondé de la kalach dans un clip de rap en 2016.

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Noisey : Tu t’appelles Georgio ou Georges ?
Georgio : Georgio quand je fais du rap… Enin, Georgio tout le temps en fait mec. C’est mon surmon, mon blaze, comme mon prénom. T’es né où ?
Je suis né aux Lilas dans le 93 et j’ai essentiellement grandi dans le 18e à Marx-Dormoy. J’ai 23 ans là et j’ai commencé le rap à 14-15 ans. Ton plus gros souvenir de rap ?
« In da Club » de 50 Cent. Je l’avais en single. Je me suis dit avec ce son qu’il se passait quelque chose dans cette musique. Qu’est-ce que tes parents écoutaient chez toi ?
Mon père écoute de tout. Du classique comme Renaud, Brassens, ou les Sex Pistols, ou les Clash. Et ma mère écoute de tout aussi. J’ai plus de trop de souvenirs de ses préférences. Tu as dit que t’en avais un ras-le-bol de ce qui se fait en rap en ce moment…
Je sais pas si le rap tourne en rond mais ça fait deux ans qu’il n’y a rien qui me choque ouais. Le vocodeur, les clips dronés c’est pas ton délire ? T’écoutes quoi du coup ?
Si, ça me plaît, j’en écoute, mais çaa ne me tue pas. Ca ne me met pas une énorme claque. Après j’écoute pas de l’underground, mais du plus moderne. Par exemple Flynt, Hugo TSR, L’Ecole du XVIII, ou Nessbeal et Mafia K'1 Fry. C’est une nouvelle vague de rap que tu n’approuves pas tellement ?
Tu veux me le faire dire [Rires]. SCH, Hamza, PNL, en vrai y’en a que je préfère à d’autres. C’est juste que musicalement ça me tue pas. Ca ne me dérange pas mais c’est pas trop mon truc. Le vocodeur, je l’utilise mais pas comme eux. Je m’en sers simplement pour chanter juste là où je galère un peu vu que je ne suis pas un chanteur-chanteur. Mais je ne suis pas dans leurs excès. Après, je ne le rejette pas, je trouve qu’on peut s'en servir comme un instrument à part entière.

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Apparemment, tu as écrit des sons de Bleu Noir sur des beats de rock ?

Ça m’est arrivé plusieurs fois ouais. Comme je t’ai dit, ça fait deux ans qu’il n’y a rien qui m’inspire dans le rap donc parfois j’écris sur des sons qui n’ont rien à voir avec le rap. Même encore aujourd’hui. La dernière fois, j’ai écrit un des sons du prochain album à partir d'un groupe anglais, de Leeds. Je les ai trouvés en tapant simplement « instrumental » dans YouTube. C’était des boucles de piano et du coup, tu découvres un temps même si t’as pas de beat. C’est ce que j’ai fait sur l’album

Bleu Noir

. Ca te permet d’avoir un flow différent. Quand j’écris un morceau, j’ai des flows systématiques qui me viennent en tête. J’ai l’habitude de faire tomber mes rimes et de ramener ma phrase en fonction de ce flow, T’arrives à le reproduire sur un peu tout. Même si tu l’ajustes, ça revient. Et le fait d’écrire sur un son totalement différent par moment, ça m’a permis de changer ma manière d’écrire et de varier mon style.

Beaucoup de rappeurs disent écrire la nuit. C’est pareil pour toi ?

Carrément. La nuit, ce que j’aime bien, c’est qu’il n’y a plus d’heure. Il n’y a plus le « tic-tac ». C’est différent du jour où tu fais tout en fonction de l’heure, alors que la nuit est intemporelle. Parfois, j’écris un morceau avec l’impression de bosser depuis une heure. Mais en fait, il est 6h du mat’ et ça fait quatre heures que je suis dessus.

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Pourquoi aujourd’hui les jeunes se tournent forcément vers le rap pour exprimer quelque chose ?

Moi je me suis tourné vers le rap car c’était la musique de mon environnement. Celle qu’écoutait avec mes potes du quartier. Du coup, quand je me suis afranchi de la musique de mes parents, je me suis tourné vers ce style là. Avec mes potes, il y avait comme un truc de viscéral entre le rap et nous. Et j’avais 14-15 ans, maintenant j’en ai 23, et dix ans plus tard, rien n’a changé. Le rap est encore plus diversifié et plus présent dans la société.

La chanson « Malik » parle d’un type qui loue une grosse voiture et fauche un gamin. C’était un type que tu connaissais ?

« Malik », ce sont plusieurs vraies histoires. Je suis parti d’un fait divers qui est arrivé à un grand de mon quartier. C’est un pote qui m’avait raconté cette histoire. Elle m’avait marquée, je trouvais ça incroyablement puissant et je m’étais posé de vraies questions sur la justice et sur ce que j’aurais fait et comment j’aurais réagi à la place de ses amis. Donc j’ai mélangé cette histoire vraie à des

faits divers

de ma vie personelle. Parce que c’était plus facile de m’inclure dans le morceau en utilisant la première personne. Le morceau « Malik » est un mélange de ma petite vie tranquille à la torpitude de ce fait divers gravissime.

Ce morceau est dramatique et cruel à la fois. Le mec va faire dix ans de taule et au final il voulait juste s’amuser…

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C’est ça la question. Le malaise est là. Se rendre compte que, comment en une action, ta vie peut basculer. Et l’autre question à se poser est : « Est-ce que tu condamnes ça ? Ou est-ce que tu l’excuses ? » Mais moi j’ai pas de réponse. Car je pense qu’il faut vivre cette situation pour savoir comment réagir, à partir de ses principes et de sa conception de la justice.

À quelques encablures d'ici, t’as la place de la République et Nuit Debout. On a le sentiment que ta génération est caractérisée par un immense ras-le-bol. T’en penses quoi ?

Grave. Y’a plus de sécurité de l’emploi. Aujourd’hui on aura peut-être 3/4 gros jobs dans notre vie. Plus jamais tu resteras dans le même taf. La génération de nos parents avait souvent le même travail durant toute leur vie et c’est pour ça que pour certains, c’est dur de se recycler après le chomage. Il y a un ras-le-bol de tout. On en a marre de la politique… J’ai pas envie de passer pour un saint, mais je me suis fait une réflexion. Après tout ce qu’on a vécu ces derniers temps, plus notre présence dans la rue et surtout à République, je me suis demandé si c’était bien qu’il y ait des kalachs dans les clips de rap… Mais c'est aussi tant mieux qu’on ne s’interdise pas ça, que le monde n’influe pas sur tous nos sons. La kalach fictive est aussi un moyen d’extérioriser des sentiments, un peu bestiaux sans doute, humains en fin de compte. La réflexion est intéressante.

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Toi t’es pas trop dans le trip du rap violent et trash…

J’en parle pas trop. C’est pas moi, pas ma vie, ni mes questionnements et d’autres le font mieux que moi parce qu’ils sont davantage dans le sujet. Moi je suis un fantôme des quartiers.

C’est à dire ?

À Marx-Dormoy j’étais là, j’avais mes potes mais j’ai jamais trainé de ouf au quartier. Même si j’ai passé deux étés à Ecobox, on appelait ça « le parking ». Mais j’avais des potes partout. J’étais au lycée à Gare de l’Est. Je traînais donc dans plein d’environnements sociaux différents. J’ai jamais été emblématique de mon quartier, mon rap ne l’est pas non plus.

Tu parles de sécurité de l’emploi. Avec toi qui es dans la musique, ton petit-frère qui fait du football en haut-niveau… Tes parents doivent se tirer les cheveux, non ?

Non parce qu’ils vivent de leur passion aussi et nous ont inculqué ça. Croire en soi, en ses rêves. C’est mortel. Mais ça n’a pas toujours été facile. Ils sont très ouverts d’esprits et me soutiennent à fond. Ils m’écoutent.

Le rap est-il une souffrance perpétuelle ?

Euh… Non.

Bleu Noir

est un album très dur, où je me suis remémorré des passages incertains de ma vie, mais ça a été un plaisir à écrire, même si t'avances toujours dans le doute. Quand tu finis un morceau, tu ne sais pas si tu pourras écrire le prochain. Le doute une fois l’album terminé, savoir comment tu vas faire pour te renouveler, pour continuer à plaire. En fin de compte, j’arrive à les effacer petit à petit, car j’écris essentiellement pour moi. Je fais la musique que j’aime et je ne pense pas aux gens qui m’écoutent. Mais c’est vrai que le rap est une remise en question constante. Donc plus que de la souffrance, je dirais que le rap c’est du doute.

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Tu parles de « dépression » dans ton dernier album…

Je sais pas pourquoi, mais l’année dernière, il s’est passé plein de trucs. Je broyais beaucoup de noir et j’ai vécu plein de choses dures. J’avais l’impression d’étouffer même si je réalisais en parallèle mon rêve de sortir mon premier vrai album. Du coup je culpabilisais et c’était assz bizarre.

Quand Bleu Noir est sorti, t’as ressenti un soulagement ?

Dans

Bleu Noir

je crachais ma rage à chaque morceau, et l’euphorie redescendait à une vitesse affolante, mais une fois terminé, je ne me suis pas senti mieux pour autant. Depuis la sortie de l’album, mon rythme de vie a totalement évolué. Je rencontre plein de monde, je bouge pas mal donc ça va mieux. Donc

Bleu Noir

, c’est entièrement moi, mais cet album ne me représente pas complètement, tu vois la nuance ? C’est une facette de moi plus mélancolique et auto-destructrice. C’est cet état d’esprit qui m’a donné la force d’écrire. Et le fait d’en ressortir grandi me donne la force d’en sortir un autre.

Il sort quand d’ailleurs ce prochain album ?

Non. Je peux pas trop m’avancer car je suis en train de l’écrire là.

Internet a changé quoi à la musique selon toi ?

Ce qui est positif c’est que, contrairement à la musique qui passe à la radio, qui me laisse à 90 % du temps insensible, avec Internet je m’y retrouve. En étant un peu débrouillard, tu peux découvrir tellement de styles différents. C’est d’ailleurs grâce à Internet que tu peux te rendre compte de la diversité du rap actuel et connaître plein de nouveaux artistes. Moi, ça m’a permis de financer aussi mon album via KissKissBankBank. Le crowdfunding n’est pas une fin en soi. C’est juste une méthode nouvelle et possible dans le rap. Car avant, soit toi, tout seul, en indé tu galérais. Soit t’étais sur ton label indé et tu avais de petits moyens. Soit t’étais en maison de disque. Et là, aujourd’hui, grâce à Internet, tu peux aller à la hauteur de tes ambitions si t’as un public tout restant indépendant. Si tu te démerdes bien, t’as plus besoin de personne. Quand je dis « personne », je parle des professionnels de maison de disque. Moi j’en ai chié avec KissKissBankBank à dédicacer tous les albums, etc… Il y avait du travail. Heureusement que j’étais avec ma petite équipe qui m’a aidé. J’ai mis des journées et des nuits à dédicacer les albums. J’avais la main qui tremblait à la fin. C’était l’usine.

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Et le côté négatif dans tout ça ?

On n’écoute plus la musique sans les clips et moi ça me fait chier parce que la musique n’a pas besoin du clip. J’ai encore la naïveté et la pureté de croire que tu ne peux pas regarder un clip comme ça, hors de son ensemble. Car un morceau dans un album, c’est un fragment d’histoire. Et quand tu l’isoles, ça n’a pas la même pureté et la même puissance. Il faut qu’il y ait une suite logique, parfois même contradictoire. Et parfois t’as des jeunes qui écoutent un son YouTube car le clip est ouf alors que la musique pas nécessairement. Et ça, ça dénature tout. Un exemple concret : partage un son avec son clip et sans son clip, et regarde les vues.

Tu m’as dit que les réseaux sociaux te rendaient fou ?

Tu peux plus répondre à tout le monde, parce t’as une vie. Mais ce qui me rend fou c’est la violence des réseaux sociaux. Faut savoir gérer. Le grand paradoxe de ma vie c’est que je suis pressé de reprendre mon quotidien d’avant et de ne plus avoir Facebook, Insta ou Twitter… Après c’est une formidable machine. Si tu t’en sers à bien, c’est trop puissant. Tu peux recevoir directement le positif des gens, ça fait plaisir. J’aime être proche de mon public, les rencontrer à la fin de mes concerts. Comme dit Youssoupha :

« Viens à mes concerts, la vraie vie c’est pas le net. »

Georgio est actuellement en tournée dans toute la France (les dates ici) et son deuxième album sortira fin 2016.