FYI.

This story is over 5 years old.

Music

« New Jack City » célèbre 25 ans de Toute-Puissance rayon « cinéma de rue »

C'était en 1991, le crack ravageait l'Amérique, Chris Rock faisait ses premiers pas au cinéma et Nino Brown allait succéder à Tony Montana dans la mythologie du gangsta rap.

La nostalgie ambiante est le propre de notre génération. Idéaliser le passé, y avoir accès à chaque instant, le distiller dans notre quotidien en s’abreuvant de vieilles images d’épinal postés sur Tumblr ou Instagram, telle est notre triste pitance. Mais certains personnages et films ont le pouvoir de traverser les âges et d’unir des générations. C'est le cas de ceux qui peuplent New Jack City, une fable sur le crack réalisé par Mario Van Peebles qui, malgré son quart de siècle, a résisté à l’épreuve du temps.

Publicité

Le film est projeté au festival Sundance en 1991 pour la première fois, en pleine guerre du Golfe, alors que la guerre urbaine, celle causée par le crack, demeure intense. Cette année-là précisément, les médias se lassent de leur propre exploitation de l’épidémie et l’Amérique mainstream devient presque accoutumée à voir les ravages causée par cette drogue. À Harlem, on slalome entre les pipes à crack sans sourciller et les cadavres commencent doucement à provoquer l’indifférence. C’est dans ce contexte que New Jack City oscille sans sans cesse entre réalité et fiction, jonglant entre le récit de l’ascension fulgurante de Nino Brown et la descente aux enfers d’une jeunesse prise dans les rouages de cette drogue. Mais ce qui est nouveau, c’est que le film apporte un regard neuf sur ces problèmes. Plus de reflief et de compréhension en effet, puisque le scénariste Barry Michael Cooper évoluant à Harlem était témoin privilégié de la montée en puissance des dealers de crack. Le film est grâcié par un casting légendaire composé uniquement de jeunes espoirs de l’époque tels que Wesley Snipes, Ice T, Vanessa Williams, Allen Payne, Chris Rock. Une équipe d’acteurs qui a porté ce qui aurait pu être un simple film noir de rue banal au rang de véritable emblème du ghetto noir américain.

D'après un scénario de Barry Michael Cooper, premier journaliste à avoir abordé le crack dans les médias

En apparence, New Jack City se distingue par la simplicité de son scénario pourtant ce sont ses rouages et les histoires environnants l’oeuvre elle-même qui font du film une valeur sûre. 25 ans après sa sortie en salles, la force du film réside toujours dans son flirt subtil entre le plausible et le réel. La fulgurance des ascensions et des descentes au enfer rappelle celle du crack et de sa défonce. Cette authenticité, New Jack City la doit au scénariste Barry Michael Cooper. Plus qu’un simple artisan de la fiction, Cooper utilise le quotidien de son Harlem natif comme inspiration première. En février 1986, Cooper écrit pour SPIN magazine son premier article sur le crack, une drogue que les médias n’ont pas encore découvert. Il discute de la redoutable accessibilité du produit, de son bas coût et de ses effets dévastateurs.

Publicité

L’année suivante, il rédige « Kids Killing Kids : New Jack City Eats Its Young » pour le Village Voice. Un article qui reflète son expérience à Baltimore, la rencontre d’une violence sans précédent perpétrée par une jeunesse soudainement capable d’échapper aux effets désastreux des Reagonomics grâce au deal. En effet, au même moment Ronald Reagan menait de front une politique ultra-libéral fondée sur la finance à outrance, la réduction conséquente de toutes initiatives liées de près ou de loin à l’Etat-providence et les coupes budgétaires drastiques en terme d’éducation et de santé. Dans l’article, il explique que le deal de crack est donc vu comme un moyen comme un autre de se faire de l’argent de poche quand on est ado, de subvenir aux besoins de sa famille ou encore de se lancer dans un carrière d’entrepreneur. Contrairement à son premier article, Barry Michael Cooper se concentre sur les conséquences qu’a le crack sur les mentalités : les jeunes s’enrichissent mais finissent par s’armer ce qui produit un effet direct sur l’insécurité de ces quartiers. Les répercussions macabres du crack sont à la fois horizontales et verticales ; les consommateurs sont touchés mais les dealers et ceux qui les entourent aussi. C’est donc ce reportage de Barry Cooper - dont le titre contient déjà le nom du film - qui servira de socle pour l’écriture de New Jack City.

Nino Brown : héritier de Tony Montana, Nicky Barnes et Frank Lucas

Le personnage de Nino Brown, « héros » du film, est une synthèse de plusieurs barons de la drogue. Plus posé et moins auto-destructeur que Tony Montana, Nino reste un flambeur au bagout propre aux dealers d’Harlem comme Nicky Barnes. Avec son sens aigu des affaires, Nino change sa bande de potes en fins criminels et un complexe d’appartements en un centre de gestion d’affaires : The Carter, une sorte de Trump Tower du crack où toutes les opérations importantes se décident. Par ailleurs, à la manière de Frank Lucas, Nino se plaît à jouer au Robin des bois distribuant des dindes de Thanksgiving aux familles du quartier. Il célèbre la vie autant qu’il sème la mort autour de lui.

Nino Brown avance comme un bulldozer, inconscient et matérialiste, il en vient à idolâtrer les destins foudroyants de dealers comme Tony Montana sans comprendre que le même sort l’attend. Comme Barry M. Cooper le dit lui-même : « Il y a des éléments de tragédie grecque classique dans le film. Toute personne qui se drogue avec sa propre marchandise va périr, peu importe la drogue, il peut s’agir de l’égo ». En examinant de plus près, tous les éléments sont effectivement là, la tragédie grecque a pour but de placere et docere (plaire et instruire). La finalité morale n’exclut pas le côté divertissant de la chose. Nino Brown serait donc un bon héros de théâtre antique, étourdi par l’hubris, il s’enivre de la démesure. Typiquement le héros passe d’un grand bonheur à un grand malheur à cause du fatum (la fatalité). En effet, *ATTENTION SPOILER* alors que Nino Brown sort triomphalement de la salle d’audience où il a été condamné à la peine ridicule d’un an de prison, Scotty, un des doyens du quartier bien sous tous rapports, lui tire dessus. Nino tombe et meurt sur le coup.

Publicité

La tragédie montre comment la fatalité écrase le héros : « jamais homme avant toi n’aura plus durement été broyé du sort » dit le devin Tirésias à Œdipe.

L’influence de New Jack City sur le hip-hop, plus évidente que celle de Scarface

New Jack City entérine l’idée selon laquelle la rap game et le crack game sont une seule et même chose, du concept de destin foudroyant et du succès étincelant comme les chaînes en or que dealers et rappeurs arborent fièrement autour du cou. D’ailleurs c’est bien le destin de ses dealers déchus qui inspirent les textes de rap et ceux-là même encore qui le financent à ses débuts. New Jack City irrigue encore le rap dans ses attitudes et ses récits.

Par exemple, le rappeur Sauce Money établit une sorte lien de parenté entre Scarface et New Jack CityAl Pacino down to Nino Brown ») sur « Bring it On » de Jay-Z. Ce dernier, à son tour, se réfère à la fraternité et au fratricide de Nino et Gee Money. Notorious BIG dans « Suicidal Thoughts » dira : « You see its kinda like the crack did to Pookie, in New Jack / Except when I cross over, there ain't no comin' back ».

De façon assez limpide, Cash Money Records s’inspire également du film. À commencer par Baby et Slim Williams surnommés les Cash Money Brothers en référence au duo Nino Brown/Gee Money. La série d’albums de Lil Wayne nommé The Carter fait bien sûr écho à son nom de famille mais sans aucun doute à la forteresse du crack des CMB : « Tout ce que les personnages traversent dans New Jack City c’est notre vie. On rêvait tous d’êtres riches comme Nino Brown, peu importe qu’il faille atteindre ce but de la bonne ou de la mauvaise manière. New Jack City était notre Scarface et Nino, notre Tony » explique-t-il dans VIBE.

Publicité

L’empreinte de New Jack City, on la retrouve aussi dans le clip de « Move That Dope » de Future : téléphones portables géants, Jeep Wrangler noir, masque géant de Ronald Reagan, en featuring avec Pusha T, lui-même apôtre du crack cocaine rap.

Après New Jack City, Ice-T ne jouera plus que des rôles de flics

En 1991, Ice-T est encore un des maîtres à penser du gangsta rap décomplexé. Pourtant, après ses apparences dans les films Breakin’ and Breakin’ 2, le rappeur décroche son premier rôle important dans New Jack City, il incarne le détective Scotty Appleton. Un flic infiltré qui se situe entre une ancienne caillera et au cop grand coeur, une posture qui brouille d’ailleurs les contours entre la police et les gangsters qu’elle pourchasse (comme en témoigne la mythique scène où il malmène Nino Brown en lui lançant « I want to shoot you so bad my dick's hard ! ») Au regard de sa carrière cinématographique, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’Ice-T n’a plus joué que des rôles de flics après ça, de Trespass à New York Undercover jusqu’à la fameuse série Law & Order : Special Victims Unit où il interprète un des personnages les plus appréciés. On est bien loin du fameux : « 6 in the morning, police at my door / Fresh Adidas squeak across the bathroom floor ».

Martin Lawrence, involontairement responsable de la carrière de Chris Rock

Le fameux rôle de Pookie incarné par Chris Rock était originellement destiné à Martin Lawrence : « L’audition de Martin dans le rôle de Pookie était sensationnel, toute l’équipe pleurait de rire. Nous étions conquis et il faisait parti du casting ». Toutefois le comédien a plus tard décliné le rôle suite au décès de son mentor, Robin Harris, en mars 1990. Comme le dit Barry Cooper dans une interview pour Ambrosia For Heads : « Martin s’est retiré du projet car il était en deuil, c’est donc là que nous avons décidé de rappeler Chris Rock ». En 1994, Martin Lawrence parodie la scène de réunion de crise qui suit le démantèlement du Carter dans l’épisode Suspicious Minds de la sitcom Martin, sa série diffusée sur FOX entre 1992 et 1997.

Plus de 20 ans plus tard, en février dernier, Chris Rock présentait la prestigieuse cérémonie des Oscars dans un contexte controversé. Est-ce qu’on peut juste se rappeler que ce mec a commencé sa carrière en jouant un crackhead esseulé dans New Jack City ? Selon moi, le rôle de Pookie était le plus important après Nino Brown, un personnage tellement référencé qu’il devient presque un nom commun. C’est en incarnant cet accro à la drogue pathétique et touchant que la carrière de Chris Rock décolle, il obtient sa propre émission sur HBO, « The Chris Rock Show » et deviendra à son tour une figure incontournable du stand-up et de la comédie en général.

Publicité

Une bande-son sur-mesure

Dans un article de Nina J. Easton pour le L.A. Times en 1991, on apprend que c'est Wally Badarou qui était supposé s’occuper de la bande originale du film ! Le scénariste se souvient : « Tout le monde écoutait ‘Mambo’ de Wally Badarou à ce moment-là, on était tous obsédés par le travail de Wally. Mais suite à un contre-temps la tâche fût attribué à un certain Michel Colombier (ouais !). Pour la bande originale du film, la direction est confiée au producteur du moment Teddy Riley, architecte du new jack swing. On y retrouve les meilleurs artistes de l’époque : Christopher Williams avec son « I’m dreaming », Keith Sweath, Troop/Levert, Guy, Queen Latifah, 2 Live Crew et bien d’autres. Le film est rythmé au son du R&B, du rap et de la hip-house de l'époque et certains artistes font même des caméos en jouant leurs propres rôles dans le film comme Keith Sweat ou Flavor Flav.

Pour Cooper, l’héritage de New Jack City réside dans la quête de soi et le traumatisme inter-générationnel, et sa longévité, elle, est certainement dûe à la nostalgie de gens comme moi, nés alors que le film n’était même pas encore sorti. Comme il le dit assez justement : « Cette jeunesse fascinée par les années 80 et 90 sont les crack babies. Ils ont cette nécessité, plus que leurs aînés, de devoir connaître le passé avant de se définir eux-mêmes, ils viennent de l’ère du crack. Je les appelle les ‘crack babies même sileurs parents n’ont jamais touché à cette substance. Ces gamins sont juste venus au monde durant une période spéciale. » Ce n'est pas un hasard si Kendrick Lamar dans « ADHD » se réfère à cette génération « de bâtards dysfonctionnels du temps de Ronald Reagan », des mioches d’abord élevés dans des familles monoparentales puis élevés par une grand-mère ou une tante bienveillante. New Jack City représente bien plus que les simples tribulations d’un dealer de drogue, comme le précise le réalisateur Mario Van Peebles à la fin du film : « Bien que cette histoire soit fictive, il existe des Nino Brown dans toutes les villes des Etats-Unis, si nous n’apportons pas de solutions réalistes et n’opérons pas hors des promesses et des slogans vides de sens, la drogue continuera à détruire notre pays. » Christelle est née en 1992, elle opère sur Twitter et ailleurs.