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Music

William Friedkin vous a fait acheter plus de disques que vous ne le croyez

Le réalisateur de « L’Exorciste » et « French Connection » nous parle de sa collaboration avec Tangerine Dream sur la BO de « Sorcerer » et de sa passion pour Miles Davis et le groupe Tool.

Est-il vraiment nécessaire de vous présenter William Friedkin ? Au pire, vous savez qu'il s'agit du réalisateur de L'Exorciste et de French Connection. Au mieux, vous avez avalé son autobiographie Friedkin Connection (sortie en octobre dernier en France, aux Éditions de la Martinière) et vous comptez Police Fédérale Los Angeles et Sorcerer parmi vos films préférés de tous les temps. Sorcerer, sublime remake du génial Salaire de la Peur de Henri-Georges Clouzot, est -à juste titre- considéré comme un des chefs d'oeuvre absolus de Friedkin. Un film que beaucoup ont découvert via sa bande-son, signée Tangerine Dream. Fin janvier, Edgar Froese, le fondateur du groupe allemand, est décédé d'une embolie pulmonaire foudroyante. Hasard du calendrier, c'est pile à ce moment que nous avons enfin pu mettre la main sur William Friedkin, que nous cherchions à interviewer depuis plusieurs mois. Nous en avons donc profité pour revenir sur sa relation avec Froese, sur la BO de Sorcerer et sur tout un tas de sujets musicaux, de l'opéra à sa passion pour le groupe Tool. Noisey : Comment êtes-vous entré en contact avec Edgar Froese et Tangerine Dream ?
William Friedkin : Fin 74, j'étais en tournée promo en Europe pour L'Exorciste. Un soir, à Francfort, j'ai demandé à l'attaché de presse de Warner Bros ce qu'il y avait à faire dans le coin à la tombée de la nuit, parce que la ville me semblait très calme. Et il m'a répondu : « Eh bien, il y a ce groupe de rock électronique assez intéressant ». C'était un truc complètement nouveau à l'époque. « Ils jouent dans une église abandonnée de la Forêt Noire ». Je lui ai demandé s'ils étaient bons et il m'a répondu « Oui, ils sont géniaux. Ça ne ressemble à rien de connu. » Alors j'ai dit « Ok, allons-y ». Le concert ne commençait qu'à minuit, mais on y est allés quand même. Je ne savais pas à quoi m'attendre, mais on s'est retrouvés dans cette église abandonnée au coeur de la Forêt Noire et c'était blindé de monde. Il y avait un millier de personnes et pas la moindre lumière. Rien sur scène. Aucun spot. Ils ont joué sur l'autel de l'église avec pour seul éclairage les lumières de leurs instruments.

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Il n'étaient que trois : un guitariste, un batteur et Edgar au synthétiseur. Ils ont joué pendant un peu plus de trois heures, presque quatre en fait. C'était complètement hallucinant. Le public était totalement muet, immobile, complètement immergé dans la musique. Le son était tellement puissant que tu pouvais le sentir à l'intérieur de toi. J'étais hypnotisé.

Après le concert, j'ai demandé à les rencontrer. On a échangé quelques mots à trois, quatre heures du matin, mais je ne connaissais que quelques mots d'Allemand et l'Anglais d'Edgar n'était pas terrible non plus. Je leur ai très vite fait savoir, via un traducteur, que j'avais envie de bosser avec eux. Je leur ai dit en gros : « Quelque soit mon prochain film, je veux que ce soit vous qui composiez la BO ». Je leur ai, par la suite, présenté Sorcerer, je leur ai décrit l'histoire, les personnages, et je leur ai envoyé un scénario en leur demandant de l'interpréter à leur façon.

Quelques mois plus tard, alors que j'étais en train de tourner le film dans la province de Oaxaca, j'ai reçu ces grosses bandes analogiques. C'était la BO du film. Mais je ne pouvais pas l'écouter, on était en pleine jungle et je n'avais pas le matériel pour ça. On est donc allés à Mexico City, où j'ai fait transférer les bandes sur cassette. J'ai donc entendu la BO de Sorcerer pour la première fois sur un tout petit lecteur cassettes. Et c'était génial ! C'était à la fois très rythmique et très oppressant, pile dans l'ambiance du film. Je n'aurais pas pu rêver mieux ! Et à ce stade là, ils n'avaient encore vu aucune image… Je leur ai envoyé quelques extraits et j'ai continué le tournage.

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Quand je suis rentré en Californie pour commencer la post-production, j'ai enfin pu écouter les morceaux terminés et c'était incroyable. Ce que tu entends sur la BO en gros, ce sont des parties que j'ai sélectionné. Ils m'en avaient envoyé beaucoup plus que prévu. Il y avait plusieurs heures de musique. J'ai juste utilisé les parties qui me semblaient les plus appropriées. En fait, certaines scènes ont carrément été montées pour coller à la musique. Eux, n'ont vu le film terminé que bien après avoir enregistré.

Vous avez toujours les bandes qu'ils vous ont envoyé ?
Oui. Et on envisage de les sortir. Je suis actuellement en discussion avec les différents distributeurs qui vont s'occuper de la réédition de Sorcerer en Europe. Il y a une grosse demande. J'aimerais que ça sorte sur l'édition européenne du Blu-Ray.

Quand vous avez assisté à ce concert de Tangerine Dream, c'était la première fois que vous entendiez ce genre de musique ?
Je n'avais jamais rien entendu de semblable. Comme la plupart des gens. C'était complètement nouveau ! Le seul truc qui s'en rapprochait, c'était Giorgio Moroder, mais ce qu'il faisait était beaucoup plus pop, beaucoup plus accessible.

Il y avait un autre groupe allemand qui faisait des choses assez semblables à l'époque, c'était Kraftwerk. Kraftwerk se sont fait connaître avant Tangerine Dream. Mais leur musique était plus facile à appréhender, leurs morceaux étaient plus courts. C'était de la pop. Une nouvelle forme de pop. Tangerine Dream, eux, jouaient des morceaux très longs, qui duraient parfois plus d'une heure, avec pas mal de mouvements, de changements rythmiques. On était plus proches du jazz que de la pop. Certains de leurs titres étaient d'ailleurs complètement improvisés.

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Ce truc de demander à quelqu'un de composer la musique d'un film avant qu'il ne soit tourné, ça va complètement dans le sens inverse de ce qui se fait habituellement.
Oui, généralement, on fait exactement l'inverse. Mais j'ai utilisé ce procédé deux fois. La première avec Tangerine Dream et Sorcerer, et une deuxième fois en 1985 avec le groupe Wang Chung pour Police Fédérale Los Angeles.

Cette BO est incroyable également…
Je les avais entendus à la radio, à Londres et je les ai trouvés géniaux. J'ai rencontrés les deux gars du groupe, Jack et Nick, et je leur ai donné un scénario. Comme Tangerine Dream, ils ont écrit toute la BO de Police Fédérale Los Angeles sans en voir une seule image. Une fois que le film a été tourné, ils l'ont regardé et m'ont demandé de faire quelques ajustements. Mais très peu. Je leur avais demandé de ne surtout pas m'écrire un morceau qui s'appelerait « To Live & Die In LA » [ titre original du film]. Mais ils l'ont fait quand même. J'ai failli le refuser, par principe, mais le morceau était trop bon. Et c'est devenu un tube énorme.

Sur l'édition vinyle originale de Sorcerer, il y a une note au dos de la pochette qui dit en gros que si vous aviez découvert Tangerine Dream plus tôt, vous leur auriez confié la BO de L'Exorciste.
Oui. La BO de L'Exorciste est un mélange de morceaux de musique contemporaine et de musique classique piochés ici et là. Personne n'a travaillé dessus. Si j'avais découvert Tangerine Dream plus tôt, je leur aurais confié cette BO, c'est certain.

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Du coup, pour Sorcerer, ils ont découvert le film en le voyant au cinéma, en même temps que tout le monde ?
Non, ils sont venus me voir en Californie et je leur ai montré le film. Ils étaient assez surpris de la façon dont j'avais utilisé leurs morceaux. Edgar était fou, il a adoré. C'est le seul d'entre eux que j'ai vraiment connu, on est devenus très bons amis.

Comme je le dis souvent, ce sont eux qui m'ont influencé, et pas l'inverse. Je ne voulais pas qu'ils composent un truc qui vienne se caler sur mes images. Je voulais, au contraire, que le film s'adapte à la musique. Quand tu travailles de façon traditionnelle, tu as toujours ces consignes : « Je veux plus de tension ici, plus d'émotion là ». Mais ça ne parche pas toujours. Ce sont des choses difficiles à décrire avec des mots. C'est dur de faire comprendre à un compositeur ce que tu veux exactement. Il faut être sur la même longueur d'ondes. C'était le cas avec Edgar et Tangerine Dream. J'ai su dès le début qu'on ferait un boulot génial ensemble.

Je veux dire, on aurait pu faire un tas de BO différentes sur ce film. Il aurait pu n'y avoir aucune musique… sur la scène où ils traversent le pont ou celle où ils font exploser le gros arbre, par exemple.

La scène du pont se suffit à elle-même. Elle est tellement graphique qu'elle pourrait aisément se passer de musique.
Merci. Enfin, oui, on aurait pu mettre tout un tas de choses sur Sorcerer. Du jazz, de la musique classique, de la musique de chambre, un grand orchestre…

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Vous avez donc gardé contact avec Froese après cette collaboration.
Oui, on se parlait très souvent par mail ou au téléphone. On s'est vus pour la dernière fois il y a pile un an, pour un concert à Copenhague.

Où ils jouaient justement la BO de Sorcerer.
Voilà. J'ai un enregistrement du concert qui est fabuleux. J'espère qu'ils le sortiront.

La musique d'Edgar était à son image : profonde et complexe. Même s'il était d'apparence très froid, c'est une des personnes les plus gentilles et dévouées qu'il m'ait été donné de rencontrer. Il vivait pour la musique. Il avait ça en lui. Il n'essayait pas de composer des tubes. Il n'a même pas essayé d'écrire plus de musiques de film que ça. Après Sorcerer, il a reçu pas mal de demandes, mais il en a fait assez peu au final.

Ces dernières années, on faisait pas mal appel à lui pour qu'il refasse ce qu'il avait déjà fait par le passé, pour qu'il refasse des trucs à la Sorcerer, justement. Il rejouait la BO sur scène. C'était quelqu'un de vraiment passionné, qui était marié à la même femme depuis des années. Elle a toujours été à ses côtés, l'a toujours aidé dans ce qu'il faisait. C'était quasiment un membre du groupe à part entière. Il était très amoureux d'elle. Je l'ai eue au téléphone plusieurs fois depuis son décès. Elle est évidemment dévastée.

Edgar n'allait plus très bien depuis un moment déjà, mais il le cachait bien. Il aimait la poésie, la peinture, la littérature. Ça l'inspirait énormément, ça nourrissait sa musique. Tangerine Dream était son autobiographie sonore, en quelque sorte. Je ne le remercierai jamais assez pour ce qu'il a fait sur Sorcerer. Sa musique est aujourd'hui indissociable du film.

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Vous écoutez quoi aujourd'hui ?
La même chose qu'il y a 20, 30, 40 ans. De la musique classique, du jazz des années 50 et 60. Miles Davis, Coltrane, Bill Evans et Dave Brubeck, surtout. J'adore la période 60's de Miles Davis, juste avant qu'il ne se mette à l'électrique. J'adore Kind of Blue. Tu connais ce disque ?

Bien sûr. Un classique.
J'allais souvent le voir jouer avec son sextet à Chicago. Ils jouaient au bar d'un endroit qui s'appelait le Sutherland Hotel.

Il jouait avec qui à l'époque ?
Coltrane, Cannonball Adderly, Philly Joe Jones, Bill Evans au piano, Paul Chambers à la basse. Je trouvais ça génial à l'époque mais je ne me doutais pas uen seconde que ça allait devenir une telle référence. Je travaillais à Chicago à l'époque. J'allais voir Muddy Waters au Teresa's lounge sur la rive sud. Jimmy Smith, aussi. J'adorais ce mec.

Vous vous intéressez à la pop music, au rap ?
Je suis complètement déconnecté de la pop music moderne. J'ai essayé d'écouter quelques trucs, mais ce n'est définitivement pas pour moi. Le rap, je n'en ai pas écouté depuis la fin des années 60, quand on n'appelait pas encore ça du rap, sur les disques de Gil-Scott Heron.

Friedkin on the set of The Exorcist

Encore une légende.
Oui, et je l'ai vu live une paire de fois au Whiskey a Go Go et au Roxy. Pour moi, Gil Scott Heron faisait du rap. Tout comme Isaac Hayes, qui a eu quelques années plus tard un hit avec la BO de Shaft. C'était du rap ! J'adorais ça. J'essaie de me souvenir du titre du tube de Gil Scott Heron. C'était génial. C'était vraiment les débuts du rap…

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Oh, « The Revolution Will Not Be Televised ».
Voilà. Mais il avait d'autres morceaux cools ! Et de très bons musiciens ! Mais les trucs contemporains, je n'y arrive pas. Je n'ai rien contre. Mais ce n'est pas mon truc. J'écoute aussi un peu de country. Johnny Cash, Merle Haggard, Waylon Jennings…

Qui aimez vous comme compositeurs classiques ? Mahler, Mussorgsky, Liszt ?
Oh oui. J'adore ces trois là. Je ne me lasse pas de Mahler. Ni de Shostakovich, ni de Brahms. Et puis il y a Bach, bien sûr.

Mais si je devais garder un disque, un seul, je choisirais la Cinquième Symphonie de Beethoven par Carlos Kleiber. C'était un des plus grands chefs d'orchestre de ces 50 dernières années. Il a fait peu de disques. Et tous ont été enregistrés live. Il détestait le studio.

Quand j'ai entendu sa version de la Cinquième Symphonie, c'est comme si je l'écoutais pour la première fois. J'y ai entendu tout un tas de choses nouvelles, de détails infimes. Il conduit son orchestre comme un groupe de jazz.

Friedkin with Froese

Vous écoutez des choses un peu tordues ou inattendues ?
Oh oui. Il y a ce groupe que j'adore. Tool. Tu connais ?

Très bien, oui.
Ce groupe est putain d'incroyable. J'adore leurs morceaux et leurs clips sont tout simplement géniaux.

Leur vidéos ont vraiment révolutionné le monde du clip au milieu des années 90.
Complètement. Sinon, j'aime toujours énormément Led Zeppelin et les Who. Pour moi, les Who restent le plus grand groupe de rock de tous les temps.

Je suis aussi très fan des Who.
J'écoute aussi beaucoup d'opera. Je ne sais pas si tu es au courant, mais j'ai filmé pas mal d'opéras. J'en shoote deux cette année d'ailleurs, un en septembre aux USA, après quoi je ferai Riggoleto à Florence. Je filme des pièces d'opera depuis 1998. Et à l'époque je n'y connaissais rien.

Vous avez des choses prévues dans les mois à venir ?
Là, j'écris une fiction que je vais réaliser pour HBO, avec Bette Midler dans le rôle de Mae West. Je suis en train de bosser dessus en ce moment même. Il y aura pas mal de morceaux de Mae West, comme « Frankie and Johnny », « All Of Me », etc. Et puis une ou deux autres choses, dont je ne peux pas parler pour le moment.