FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Ne comptez pas sur Cabaret Voltaire pour vous servir la soupe

Richard H. Kirk a discuté avec nous de Sheffield, de l'anti-nostalgie et de son aversion pour le terme « musique industrielle » avant son concert évènement à Villette Sonique dimanche prochain.

Avoir 40 ans de carrière dans les pattes et refuser en bloc le terme « nostalgie » peut sembler périlleux. D’autant plus quand on porte seul sur ses épaules le nom de Cabaret Voltaire, qui n’a pas volé son appellation de groupe pionnier de la scène électronique. Initialement un trio formé en 1973 à Sheffield et composé de Richard H. Kirk, Stephen Mallinder et Chris Watson, Cabaret Voltaire officiera comme duo pendant les années 80, avant de cesser toute activité une dizaine d’années plus tard. Mais Richard H. Kirk, pourtant déjà bien occupé (il officie sous un nombre vertigineux d’alias), ne semble pas prêt à tourner la page. Il est désormais à lui seul Cabaret Voltaire, et si le label Mute s’adonne à un minutieux travail de ré-éditions, lui est encore et toujours tourné vers le futur. À quelques jours de son concert événement à la Villette Sonique, on l'a eu au téléphone en direct de Sheffield, où il réside toujours, afin de causer collages, studio, années 80, musique et démocratie, du résultat des élections et de son aversion pour le terme « musique industrielle ».

Publicité

Noisey : Dans son bouquin Rip It Up and Start Again, Simon Reynolds a écrit « On pouvait imaginer les Cabs fumer des joints devant le journal, le son du poste télé baissé, leurs esprits immergés dans un bouillon de guerre et de catastrophes ». Cest une description fidèle à ce qu’était Cabaret Voltaire à ses débuts?
Richard H. Kirk : C’est probablement une description fidèle à ce qu’est Cabaret Voltaire aujourd’hui.

Ok, donc rien na changé depuis 1973 ? Cest toujours dans cet état desprit paranoïaque que tes morceaux sont composés ?
Je ne parlerais pas de morceaux, mais plutôt de paysages sonores, de grooves. Les nouveaux matériaux ne sont pas des chansons, mais plutôt une bande-son de nos images et vidéos.

Vous aviez d'ailleurs commencé Cabaret Voltaire en vous décrivant comme un groupe sonore, plutôt que des musiciens.
Oui, je me considère plus comme un artiste que comme un musicien. Un artiste dont une partie du boulot consiste à composer des sons. Le terme musicien reste un peu trop restrictif en ce qui me concerne, je m’occupe beaucoup des visuels aussi. Ce n’est pas qu’une question de musique.

Cabaret Voltaire était un des premiers groupes à incorporer des extraits de films ou de télévision à ses oeuvres, comment cette idée vous est venue ?
Quand on a commencé, aucun de nous ne savait vraiment jouer d’instrument correctement. Alors on a expérimenté avec les sons, notamment en s’inspirant de la technique de cut-up de William S. Burroughs. Ça nous amusait de prendre une partie d’une émission de radio, ou d’un autre enregistrement, et de l’incorporer à notre boulot. Ça nous permettait d’introduire une narration ou un commentaire, plutôt que d’avoir juste quelqu’un qui chante.

Publicité

Vos sources étaient très varéies, on peut y retrouver des émissions de radio télévangélistes américaines, du porno français, des extraits de J.T., etc…
À l’époque il n’y avait pas d’Internet, pas de YouTube, donc aucun moyen de rechercher quelque chose en particulier. Du coup, on prenait ce qui nous entourait directement, une émission radio locale, un truc à la télé, ou des dialogues de films. On faisait avec ce qui nous entourait au quotidien, et ça nous coûtait rien.

Ce côté démerde DIY est assez comparable avec la situation actuelle où faire de la musique est accessible à tous via la technologie du combo laptop/logiciel.
C’est vrai qu’il y a de ça. Mais sans vouloir passer pour un vieux schnock aigri, je pense que c’est devenu beaucoup trop facile de faire de la musique. Comme tu l’as dit, tout le monde peut s’y mettre avec le bon logiciel et un ordinateur. Je pense que beaucoup de gens font de la musique parce qu’ils le peuvent, et pas parce que ça vient du coeur.

Donc pour toi, on ne vit pas une formidable époque de démocratisation des moyens de création ?
C’est une démocratisation, c'est vrai… Ceci dit, la démocratie c’est très bien dans la vraie vie, mais pas vraiment dans la musique. [Rires]

On trouve quoi dans ton studio aujourdhui ?
Dans mon studio, j’ai toujours de très vieilles tables de mixage analogiques des années 80, et un paquet de synthétiseurs des 70’s et 80’s. Mais j’ai aussi un Mac, et quelques logiciels. Qui sont d'ailleurs eux aussi probablement dépassés. [Rires] Mais bon, c’est le principe inhérent au fait de bosser avec du digital… Je pense que tous les programmes se ressemblent. Il y en a des plus modernes, comme Ableton, qui sont très faciles à utiliser. Je suis justement en train de l’essayer. Donc peut-être que j’explorerai un peu tout ça dans le futur, mais pour le moment, je suis plutôt content de ma méthode d etravail, de bosser, le mélange d’ancien et de neuf.

Publicité

Tu décris souvent tes performances récentes, comme celle de Berlin lannée dernière, comme étant « non-nostalgiques ». Ça veut dire quoi, exactement ?
L’objectif est de créer un environnement dans lequel les spectateurs sont invités, une combinaison de visuels et de son. Tout est complètement nouveau, ça été développé depuis l’année dernière seulement. Il y a tellement de groupes des années 80 qui se « reforment » et qui attirent un public venu uniquement écouter des tubes. Cabaret Voltaire a toujours été tourné vers l’avenir, et ça a toujours évolué et changé. Je me souviens que, même à l’époque, quand Chris Watson a quitté le groupe en 1981, on n’a plus jamais joué les morceaux auxquels il avait participé. Même lors de nos derniers concerts dans les 90’s, on ne jouait rien du passé. Ça a toujours été le principe de Cabaret Voltaire. Pour moi, ça n'aurait aucun sens d’essayer de reproduire ce que l’on faisait en tant que groupe. Je n’ai aucune envie de retourner en arrière et de jouer « Nag Nag Nag » ou « Sensoria ». C’était génial à l’époque, et les concerts étaient fantastiques, mais on ne pourra jamais reproduire ça. Les gens changent, le matériel change, la technologie aussi. Même si quelqu’un venait me voir et m’offrait un million de dollars pour que je vienne jouer les anciens morceaux, honnêtement je lui dirais non merci.

Cest rassurant à entendre, et plutôt rare.
Merci. J’ai été plutôt chanceux avec les concerts jusqu’ici, j’ai joué à Berlin et en Espagne et les gens présents avaient l’air d’apprécier, personne n’est venu me demander de vieux morceaux. Je pense que si l’on vient avec l’esprit ouvert, il y a de quoi être surpris et plutôt enthousiaste de ce qu’il se passe aujourd’hui avec Cabaret Voltaire.

Publicité

À propos de refus de la nostalgie, le film Johnny YesNo qui était sorti en 1982 sur votre label VHS Double Vision, a été ré-édité en DVD mais aussi entièrement reshooté avec de nouveaux acteurs. Comment sest fait ce projet ?
Le type avec lequel j’avais bossé dessus, le réalisateur Peter Crane, vit à Los Angeles depuis le milieu des années 80. On avait perdu contact depuis les années 90, puis j’ai reçu un message sur Internet qui disait qu’il voulait me contacter. On a parlé au téléphone, et on s’est dit « ça serait cool de ressortir Johnny YesNo sur DVD non ? ». Et on s’est dit qu’avec les DVD, les gens attendent des extras et des bonus, donc on s’est dit ok, toi tu reshootes tout le film, à Los Angeles avec des jeunes acteurs, et moi je remixe la bande-son. Ça été aussi simple que ça.

Tu as déjà exprimé le souhait dinclure de jeunes musiciens dans Cabaret Voltaire. Dimanche, Cab. Volt. partagerera l'affiche avec Carter Tutti Void, qui est justement composé de deux membres de Throbbing Gristle (Chris Carter et Cosey Fanni Tutti) et de Nik Colk Void de Factory Floor. Cest le genre de collaboration à laquelle on pourrait sattendre ?
Pas pour le moment non, je préfère garder le projet sous cette forme d’installation artistique. J’ai bossé avec d’autres personnes, d’ailleurs j’ai remixé Factory Floor. Je travaille avec de jeunes groupes parce qu’ils m’envoient souvent du matériel à remixer. Je préfère faire ça que leur proposer de rejoindre le groupe, parce que pour être parfaitement honnête, je ne pense pas que ça fonctionnerait.

Publicité

Pourquoi ?
Disons que j’aime être être en charge de ce que je fais, tu vois. Donc ça pourrait poser un problème. [Rires] Il vaut mieux rester sur les collaborations et les remixes.

Tu en fais souvent ? J'avoue ne pas avoir suivi tous tes alias…
Oui je remixe plein de choses, mais ce sont rarement des artistes très connus. Ceux qui viennent me voir pour un remix, ils savent que ça ne va pas être joué en radio, ils ne cherchent pas quelque chose de commercial. Ils savent que je vais prendre leur musique et la foutre en l’air, la déformer et en faire quelque chose de nouveau. Ce qui est bien aussi.

Cest notamment ce que tu as fait pour The Tivoli, un groupe de Sheffield.
Oui, j’ai remixé entièrement leur album, mais malheureusement ils se sont séparés pas très longtemps après. Peut-être que c’était de ma faute? [Rires] J’ai fait ça avec un autre groupe qui s’appelle Kora, des Néo-Zélandais d’origine Maori. De super musiciens, qui marchent bien chez eux, et ils étaient ravis du résultat.

Petit retour en arrière. La période couverte par #8385, le coffret de ré-éditions sorti par Mute en 2013, correspond à une époque un peu particulière pour Cabaret Voltaire, juste après le départ de Chris Watson, c'est le moment où votre musique est entrée dans les clubs, et même dans les charts anglais. C’était une volonté de votre part ?
Oui, complètement. On ne voulait pas continuer dans ce qu’on avait fait avec Chris. C’était comme si on avait fait le tour de tout ce qui était expérimental, et la seule voie possible c’était d’être un peu plus commercial, et de faire de la musique qui marcherait peut-être dans les clubs. On n’était pas vraiment capables d’écrire de la musique pop, alors on a décidé de faire de la musique pour danser, tout en gardant un côté expérimental, mais en y ajoutant le bon rythme. Ce n’était pas un choix difficile, parce qu’à l’époque, j’avait déjà arrêté d’écouter de la musique avec des guitares. J’étais à fond sur la musique électronique des clubs de New York. Je trouvais ça beaucoup plus intéressant que tout ce qui se passait dans la musique expérimentale. Ils avaient de nouveaux sons et de nouvelles manières de bosser, et j’ai senti qu’on devait aller dans ce sens. J’étais à l’aise avec ces influences.

Publicité

Ce choix de réédition a relancé les débats sur la qualité de vos albums à cette période… ça t'a gonflé ?
Aujourd’hui, plus vraiment. Beaucoup de gens nous ont reproché de nous êtes vendus parce qu’on était passés d’un label indépendant (Rough Trade) à une major (Virgin). Ma réponse était simple : parmi la musique que j’aime le plus, et la meilleure qui soit, à savoir le Velvet Underground, James Brown ou encore Miles Davies, tous ont enregistré sur des gros labels. Il s’agit juste de garder un certain degré de contrôle et de continuer à faire ce dont on a envie, tout en profitant de la structure et du cadre de travail offerts par un gros label pour toucher plus de gens. Et je pense qu’on a réussi là-dedans.

Vous navez bossé avec aucun gros producteur de l’époque, vous êtes restés seuls en charge de votre son finalement.
Exactement, on l’a fait pour des remixes mais en ce qui concerne nos albums on s’est dit « ok, pourquoi on aurait besoin d’un producteur au fait ? On sait très bien comment fonctionne un studio d’enregistrement ! » [Rires] On le faisait déjà depuis un bail. On avait simplement plus de pistes avec lesquelles jouer, on est passés d’un 8 pistes dans notre studio à un studio d’enregistrement à 24 pistes à Londres. Et c’est pour ça que la plupart de la musique des années 80 sonne tellement années 80. Je pense que c’est parce qu’on a fait les choses de cette manière que ce que l’on a produit dans à cette période avec Cabaret Voltaire sonne différemment de beaucoup de musique connue de cette époque.

Publicité

On avait tendance à entendre plus le producteur que lartiste lui-même
Oui, c’est exactement ça.

Lalbum Red Mecca a été enregistré dans un contexte politique et social très tendu, tant au Royaume-Uni (les années Thatcher) quau point de vue international (Afghanistan, crise des otages américains en Iran). Vous aviez dit à l’époque, « on ne la pas appelé Red Mecca par coïncidence. On ne fait pas référence à la putain de salle de danse Mecca de Birmingham ! ». La situation actuelle nest guère plus réjouissante, pourtant assez peu dartistes sexpriment sur le sujet. Ca t'étonne ?
Ca ne m’étonne pas, mais ça me désespère ! Aujourd’hui, toute la musique, c’est de l’entertainment. Je pense que Cabaret Voltaire c'était de l’infotainment, pour utiliser un terme que j’entends parfois. C’est triste que les gens n’aient pas plus de conscience politique, ou du moins qu’ils ne veuillent pas en parler. C’est peut-être lié au 11 septembre, et au moment où George W. Bush a déclaré « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ». Je pense que ça a créé une sorte de peur. Peut-être que les gens flippent d’être accusés d’être des terroristes. [Rires] Mais je peux t’assurer que si tu viens dimanche soir, tu verras que le genre de choses dont on pouvait parler, est resté intact. Dans les visuels que j’utilise, il y a toujours beaucoup de commentaire social et d’engagement politique. Personnellement, je n’ai jamais perdu ça. Pour moi, ça fait partie intégrante du fait d’être un artiste, c’est la théorie de Jean-Paul Sartre comme quoi l’engagement artistique doit toujours contester le status quo et l’ordre social, et questionner tout ce qui l’entoure.

Publicité

Jimagine que les résultat des élections en Angleterre ne t'ont pas beaucoup enthousiasmé.
Je suis très déçu. Je suis une sorte de socialiste, je pense toujours que les gens doivent être protégés par la Sécurité Sociale, et le gouvernement que l’on a actuellement méprise totalement les gens pauvres. Les cinq prochaines années s’annoncent carrément déprimantes, et avec les conservateurs qui ont une majorité, ils vont pouvoir continuer à écraser la classe ouvrière. Je vis dans un pays qui a élu ces types, donc apparemment, c’est le genre de gouvernement qu’ils veulent. C’est juste sinistre.

Où se trouve la contestation, si ce nest pas chez les artistes ?
Probablement sur Internet.

Chez les hackers ?
Oui, carrément ! J’ai vu un truc ce matin aux infos, un type a branché son ordinateur sur une prise de courant dans un avion, et il a réussi à contrôler l’engin comme ça. Putain, c’est flippant ! [Rires] Il faut se rendre sur la toile pour trouver des groupes de hackers comme les Anonymous, ou d’autres collectifs bizarres de ce genre. En plus, ils sont tous très jeunes ! Ils pourraient faire beaucoup de dégâts s’ils le voulaient.

Pour revenir ànos moutons, il y a un intérêt considérable pour la musique dite industrielle récemment, et par ricochet, pour les groupes pionniers dont Cabaret Voltaire fait partie. Le documentaire Industrial Soundtrack For An Urban Decay est le premier long métrage à traiter de ce sujet. Ca t'inspire quoi toute cette attention ?
J’ai dû donner mon autorisation pour qu'ils utilisent la musique de leur film. Je pense que c’est n’importe quoi, parce que Cabaret Voltaire n’a jamais été un groupe de musique industrielle. Il n’y avait qu’un groupe de musique industrielle, c’est Throbbing Gristle, et beaucoup de gens les ont copié après. Je ne pense pas que la musique industrielle ait quoi que ce soit à voir avec le son d’une industrie. Ils se sont complètement plantés, c’est vraiment de la merde leur truc. Tout le monde part du principe que parce que les Cabs viennent de Sheffield, et que Sheffield avait une grosse industrie sidérurgique dans les années 70, on faisait de la musique industrielle. Cabaret Voltaire ne s’est pas mis à la musique pour faire le même bruit qu’une usine, c’est ce qu’on entendait déjà tous les jours, pourquoi faire un truc pareil ? On voulait faire quelque chose qui ressemblait au son d’une autre planète, pas celui d’une putain d’usine à métaux ! [Rires]

Dimanche aura lieu le premier concert de Cabaret Voltaire depuis 30 ans Vous aviez déjà joué en France avant ?
En 1979, on a fait une résidence d’une semaine dans un club appelé le Gibus, on a joué 7 soirs d’affilée là-bas. Et on a tourné deux fois en France dans les années 80, à Paris et à Rennes aux Transmusicales… Ça existe toujours ?

Oui, et le Gibus aussi dailleurs mais ça a changé disons.
Et j’ai joué à Paris en 2007 aussi, mais pas sous le nom de Cabaret Voltaire. C’était pour la Fashion Week, je crois que c’était pour Cerruti. Ils m’ont demandé d’écrire de la musique, et de venir la jouer en live pendant que les mannequins défilaient. C’était génial, et les fringues étaient très cool.

Donc j'imagine que t'es hyper excité par le fait d'être en tête d'affiche du festival Villette Sonique?
Super excité oui ! Mon set change à chaque fois. J’ai joué en Espagne il y a deux semaines et c’était déjà différent de Berlin. J’improvise la bande-son selon les visuels et la réaction du public, c’est ça l’idée. D’ailleurs, je vais bosser cette semaine en studio pour écrire du nouveau matériel. C’est une évolution permanente, je ne pourrais pas faire la même chose plusieurs fois. Ca serait ennuyeux pour moi, et pour le public. C’est exactement comme ce que faisait Cabaret Voltaire il y a des dizaines d’années. À chaque concert, on ajoutait quelque chose de nouveau. C’est la tradition. Je compte sur toi pour être là, et je te conseille de prendre des bouchons d’oreille : ça va faire beaucoup de bruit.

Cabaret Voltaire fera un concert exclusif au festival Villette Sonique, dimanche 24 mai. Diane Lebel est prête pour l'apocalypse sonore. Elle est sur Twitter.