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Music

On a pris le Vol 666 piloté par Bruce Dickinson pour aller écouter le nouveau Iron Maiden

De Cardiff à Beauvais, pour l'amour du heavy metal.

Quand je suis arrivée à l’aéroport de Cardiff, j’ai aperçu au loin une tripotée de fans d’Iron Maiden, tous vêtus de leur plus beau merch dédié au groupe, à attendre patiemment au comptoir d’enregistrement. Des vacanciers gallois et leurs enfants les regardaient avec de grands yeux, comme si les quatre cavaliers de l’apocalypse allaient débarquer d’une minute à l’autre pour les rejoindre dans la file.

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J’ai mis trois heures depuis Londres pour me rendre à Cardiff, un court trajet comparé à certains des types qui attendaient avec moi. La plupart étaient des fans ultimes du groupe et une partie d'entre eux avaient fait le voyage depuis l’Amérique, l’Europe de l’Est et parfois même la France, pour un vol d’une heure qui les ramènerait à la capitale. L’un d’eux venait tout droit du Colorado, il avait obtenu deux semaines de congés et la permission de son patron (ainsi que celle de sa famille). Il avait tout laissé tomber pour foncer au Royaume-Uni. Pourquoi ? Parce qu’on était sur le point d’emprunter le « Vol 666 » affrété par Iron Maiden, dans un avion piloté par leur chanteur Bruce Dickison en personne, à destination de Paris. Une fois arrivé en France, il était question que l’on écoute le nouvel album d'Iron Maiden, dans le studio dans lequel il avait été enregistré. Qu'est ce que vous dites de ça ?

Même si j’imagine toujours les pires scénarios catastrophes dès que je prends l’avion, quand on m’a proposé d’embarquer avec Bruce Dickinson, leader d’Iron Maiden et pilote à ses heures, pour un vol qui relierait Cardiff à Paris et qui inclurait une première écoute de leur nouvel album The Book of Souls, je me suis dit que ça valait largement le coup de mourir dans un crash aérien. J’ai finalement repensé à tout ça quand je me cramponnais aux accoudoirs du Vol 666, alors que l’avion était pris dans des turbulences quelque part au dessus de Beauvais (où, comme par hasard, on trouve un monument à la mémoire des passagers décédés dans l’accident du dirigeable R101, l’une des tragédies aériennes les plus dramatiques des années 30, qui a d'ailleurs inspiré un morceau de leur nouvel album, « The Empire of the Clouds », un opéra-rock de 18 minutes).

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« Criez pour moi, Vol 666 ! » a hurlé Bruce sur les haut-parleurs. Nous nous sommes exécutés.

Le personnel de cabine — parmi lequel on comptait trois vigoureuses hôtesses galloises — était imperturbable, poussant leur chariot dans l’aile, et distribuant des canettes de bière aux passagers et même un masque d’Eddie, la mascotte de Maiden.

Dickinson est le Chuck Norris du heavy metal. Pilote le jour, rockstar la nuit, il possède aussi sa propre compagnie aérienne, est champion d’escrime et a récemment vaincu son cancer. Il est venu à bout de son putain de cancer. L’espace d’une heure, j’ai essayé d’oublier que je planais à près de 12 kilomètres d’altitude et j’ai pleinement profité des divertissements qui m’étaient offerts à bord (une courte interprétation au kazoo par Bruce avant de décoller) ainsi que des différentes commodités (des canettes gratuites de Trooper, la bière d’Iron Maiden) et de la perspective d’écouter le nouvel album du groupe. Après avoir atterri à Beauvais, un bus nous a escorté jusqu’au studio Guillaume Tell situé en région parisienne, à Suresnes. En échange de nos téléphones portables, on nous a encore offert plus de bières, de la nourriture, encore plus de bières et 90 minutes d’écoute du nouvel album dans l’enceinte d'un superbe cinéma transformé en studio. La mini-armée de T-shirts Iron Maiden s’est frayée un chemin au milieu des tables de mixage, pour finalement entrer dans la salle principale, ornée d’une toile gigantesque reproduisant la pochette de l’album, sur laquelle figure Eddie, cette fois-ci maquillé en Maya, les yeux rouges et luisants dans l’obscurité du studio. The Book of Souls est une oeuvre charnière pour Iron Maiden : c’est leur seizième album studio, leur premier double-album et il contient le morceau le plus long qu’ils aient jamais enregistré. La longueur est le mot-clé de ce nouveau disque qui contient « The Red and The Black », morceau de 13 minutes et demi, composé par le bassiste et fondateur du groupe, Steve Harris ainsi que le titre éponyme « The Book of Souls » qui tabasse pendant exactement 10 minutes et 28 secondes. Pour les fans de Maiden, ces morceaux plus longs sont aussi l’occasion de passer encore plus de temps à écouter Iron Maiden, le groupe pour lequel ils mangent, boivent et se lèvent chaque matin. « C’est difficile de tout se prendre en une fois, » a estimé Dickinson à la fin de la session d’écoute. « Il y a de quoi écouter pendant plusieurs mois. » Evidemment, tout le monde était content et a aquiescé.

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Etant donné que tous les membres du groupe approchent la soixantaine, The Book of Souls est aussi l’un des albums les plus sombres de Maiden, s’attaquant aux thèmes de la mort et de l’héritage dans des morceaux comme « The Great Unknown » et « Death or Glory » (néanmoins hyper efficaces pour headbanger). Sans compter qu’ils ont appris que Bruce avait le cancer en pleine composition. « Ca s’est passé ici , juste à l’étage d’en dessous. J’ai demandé à un type du studio d’appeler un médecin du coin pour moi » explique-t-il au public, après la session. « J’avais une petite boule dans le cou, et j’avais le pressentiment que c’était plus qu’un simple kyste. Mais je voulais boucler l’album avant qu’on m’annonce une mauvaise nouvelle… »

À l

’écoute de l’album— en particulier du chant à vous glacer le sang sur « If Eternity Should Fail », titre d'ouverture, et du cri poussé sur les premières secondes de « Speed Of Light », premier single de l’album — nul ne pourrait se douter que celui qu’on entend avait une tumeur encore non-diagnostiquée logée dans la gorge. Et même s’il est aujourd’hui plus maigre qu’à son habitude (son traitement a pris fin il y a quelques mois), il n’a rien perdu de l’énergie ni de l’humour ravageur qu’on lui connaît. « Il m’a directement empoigné les couilles et tout le reste » se rappelle Dickinson, quand il repense au médecin français qui a posé le diagnostic. « Je me suis dit, soit il est beaucoup trop amical, soit il y a quelque chose qui cloche. »

À l’aube de ce diagnostic, certains des morceaux du groupe ont pris une intensité nouvelle, tant pour Dickinson que pour ses auditeurs, notamment « Shadows of the Valley » qui se passe d’explication, ou son titre préféré « Tears of a Clown », qui a déjà fait parler de lui dans les médias, puisque Dickinson a laissé échapper qu’il lui avait été inspiré par la mort de Robin Williams. Dans le catalogue des morceaux composés par Maiden — dont beaucoup s’inspirent d’évènements historiques ou contemporains — c’est un hommage tendre et sincère au comique décédé.

Dans cette même veine, l’hymne « The Empire of the Skies » qui vient clore l’album et qui s’inspire du crash de dirigeable précédemment évoqué, tient pour une partie de la symphonie et pour l’autre d’un documentaire digne de la BBC. « Quand j’écrivais ce morceau, j’étais en pleine discussion avec Nicko [McBrain, le batteur], et il avait toutes ces idées géniales, surtout quand on en est venu à discuter de la fin du morceau, lorsque je lui ai expliqué qu’il nous fallait le son d’un crash », raconte Bruce. « Il y avait un archet qui traînait, et Nicko, qui avait cet énorme gong d’orchestre, a commencé à le frotter sur les bords de son gong, ça a immédiatement résonné comme des ongles sur un tableau. C’était un son métallique, atroce, alors je me suis illico mis derrière le piano. On avait enfin la note finale de notre morceau, et tout ça grâce à Nicko qui a tenté de jouer du violon avec son gong », se marre encore Bruce. Quand nous avons atterris à Cardiff le lendemain, un peu moins joviaux et avec la gueule de bois de la veille, une des hôtesses nous a fait remarquer que Bruce et son équipage s’apprêtaient à décoller vers une nouvelle destination. Voilà qui résume parfaitement le bonhomme. Alors que certains dans sa situation, auraient déjà raccroché les guitares, Bruce pense déjà à sa prochaine putain de destination, à son prochain album et à la tournée mondiale qui suivra. Pour beaucoup de musiciens, il serait déjà question d’interminables répétitions, mais pour Bruce — enfin, pour Cap'taine Dickinson —, cela impliquera aussi de piloter un Boeing 747, à bord duquel embarquera son groupe ainsi que toute leur équipe et leur matériel, à travers le monde. Normal. S'il fallait retenir une seule chose de cette traversée de la Manche (mis à part que les fans ne seront certainement pas déçus par ce nouvel album, mais ça, on pouvait s’en douter), c’est que même après 40 ans, Dickinson et sa bande n’ont pas l’intention de ralentir ni de s'assagir, et vont continuer à porter bien haut le flambeau du heavy metal.

Comme le chante Bruce sur leur mythique album Somewhere in Time sorti en 1986, le paradis peut bien attendre.