S'il vous plaît, parlez-moi d'autre chose que de musique

Pendant de nombreuses années, la phrase que je craignais le plus d'entendre en soirée après « il n'y a plus rien à boire », c'était « moi j'écoute un peu tous les styles de musique, tu vois ». En général c'est un peu comme pour la bouffe, les gens qui aiment tout n'y connaissent rien et on finit toujours par se retrouver à bouffer au KFC avec eux avant de devoir aller voir les Têtes Raides pour leur faire plaisir. Et puis on grandit, et comme le dit le rédac chef d'un webzine musical de mon entourage, on réalise qu'en fait c'est pas mal d'élargir ses horizons et de partager d'autres centres d'intérêts avec ses amis. Il y a de ça, c'est sûr Clément.

Et il y a surtout le fait de s'être fadé pendant les 15 dernières années ces mêmes discussions de spécialistes sur la musique, celles qui finissent par te faire dire que le mec d'en face de toi a beau avoir acheté les mêmes disques que toi, ça ne l'empêche pas d'être chiant (et souvent très satisfait de sa petite personne). Heureusement, il existe dans presque toutes les soirées du monde un fan de films d'horreur et une fille qui connait tous les déboires de la vie sexuelle de Lyndsay Lohan et qui vous évite les discussions détaillées plus bas -en même temps que les épuisants laïus sur la fin de True Detective, les Femen ou la dernière merde de Pharrell Williams.

LE BLACK METAL

Quand j'étais au collège, il y avait un groupe qui faisait du black metal avec des percussions genre djembé, derbouka, à la place de la batterie. Si un mec de Liturgy arrivait avec ce concept vous vous précipiteriez tous dessus et pourtant ce serait aussi nul aujourd'hui que ça l'était à la fête de noël du Collège Californie -oui c'était le nom de mon collège. Pourquoi est-ce que tous les petits blancs de banlieue se sont sentis obligés de faire des documentaires sur la Norvège, et des thèses de sociologie sur les pyromanes norvégiens, avant de « reprendre l'esthétique black metal au travers d'une installation de photo, field recordings et patchs trouvés à Budapest » ? Franchement c'est surtout très chiant. Que vous ayez besoin d'écouter Burzum pour vous sentir vivant est une chose (un tuyau au passage : ça marche beaucoup mieux avec Slayer). Mais jouer les Pierre Bourdieu de la musique extrême ne prouve généralement qu'une chose : que vous avez eu un cursus universitaire désastreux et que vous ne l'encaissez pas. Ha oui, au fait, Deafheaven a joué au Pitchfork festival. Vous avez encore trois mois de débat inutile devant vous.

LE RAP FRANÇAIS

Tout le monde a déjà eu en face de lui, en soirée, un mec en slim et veste Carhartt qui te demande si « t'as pas du Kaaris ». En général, ce genre de type me fait badder à 110 %, mais on peut lui reconnaître une qualité : au moins il ne cherche pas à te parler de la force du verbe chez Booba (ça arrivait tout le temps vers 2008 mais là, heureusement, c'est terminé). Par contre le mec qui ensuite te tapote sur l'épaule et veut enchaîner sur l'âge d'or du rap français est beaucoup plus pugnace. Espérons qu'il n'y ait pas de Lunatic sur Spotify sinon c'est parti pour la conférence de 4h du mat.

LES VINYLES

« Enfin un vrai DJ qui mixe avec des vinyls pas comme tous ces blaireaux avec leurs MP3 ». Ami issu de la filière scientifique, tu pourrais aisément expliquer pourquoi le son du vinyle est meilleur que celui d'un MP3 compressé comme un concert de plus de 10 personnes au Klub. En fait tout le monde peut aisément le comprendre (j'ai une grande foi en l'Homme), mais vous pensez vraiment que tout le monde a envie de consacrer les 2/3 de son 25m2 à Stalingrad à des étagères Billy remplies de disques achetés pour faire se la raconter auprès de ce type du Souffle Continu qui pensait que vous ne connaissiez pas Charlie Mingus ? Bah non, et rappelez vous qu'avant le MP3 on achetait des cd 2 titres à Auchan dans des pochettes carton, et que c'était plus souvent Gala que Steve Reich. Laissez-nous nous amuser et retournez à la bibliothèque. Ah et si quelqu'un peut dire aux gens, au passage, d'arrêter de graver sur vinyle des morceaux mixés sur Garage Band et non-masterisés, je pense que les planètes pourraient enfin se ré-aligner et tous vos putain de raisonnements avec.

WARP « Ha oui ça c'était la grande époque de Warp ». Attention le panneau « Alerte : vieux con » clignote violemment vous êtes bien en train de parler du dernier Oneohtrix point Never avec ce mec qui a vu Autechre à la grande époque. Qu'un label sorte des disques qui ne plaisent pas à tous c'est une chose (c'est même plus ou moins le but d'un label indé). Après qu'en 2014 un « gros » label puisse sortir des disques aussi sans concession que le OPN sus nommé, ou le disque de Patten et même continuer de soutenir ses artistes les plus paumés (genre Jackson) c'est quand même super louable. Arrêtez de nous embêter avec les 90's, vraiment.

FAUVE Que des gens soient dégoûtés qu' Omar Sy joue dans X-Men, je peux le comprendre. Il y a un truc qui ne marche pas dans l'équation, et c'est dur de voir quelqu'un souiller un symbole qui vous est cher. Par contre, voir le public de Mac De Marco crier au scandale parce que les collégiens écoutent Fauve, je capte nettement moins. Bien sûr que ce groupe n'est pas pour vous. Votre période de petit cul révolté de la classe moyenne est finie, vous l'avez usée sur Korn ou Pleymo, même si vous faites croire qu'à l'époque vous étiez carrément à fond dans Sonic Youth. Laissez les gens tranquilles, tout le monde a besoin de se chercher à 15 ans et on aurait l'air malin si Ron Morelli ou HTRK faisait 15 bataclans.

LES SYNTHÉS ANALOGIQUES

Encore une discussion passionnante faite de sigles, d'années, de spécificités techniques, de soupirs (« quoi tu n'as pas de Korg….! ») et de sourires complices (« ha oui ça c'est typiquement le souci de la première mouture du …. »). Les mecs qui viennent me parler de synthés analogiques alors que j'ai rien demandé me font souvent penser aux collectionneurs de cartes Magic de mon adolescence, ceux à qui je ne parlais pas parce que j'écoutais Korn et le Warp de la grande époque, justement.

LE REGGAE

Oui, moi aussi j'écoute du reggae, bien sûr. Mais bon, franchement, de là en parler…. Adrien Durand vous écoute depuis 10 ans donner votre avis sur le retour de la jungle et les signes manifestes de subversion sexuelle dans la pop mainstream, que ce soit chez Kongfuzi ou Villette Sonique . Il est sur Twitter - @ AdrienInBloom