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Faites-vous une raison : Unwound ne se reformeront jamais

Ils auraient dû devenir aussi gros que Fugazi et Nirvana mais ont décidé de boucler une dernière réédition et de s'en tenir là.

Qu'ils aient été des pionniers, des légendes ou juste un groupe sans intérêt particulier, tous les groupes se reforment. Pour récupérer l'argent dont ils n'ont pas vu la couleur, pour le plaisir de revoir leur nom au sommet de l'affiche (et parfois à juste titre, comme ont pu le prouver Faith No More ou Failure cette année) ou tout simplement pour profiter d'une époque tellement merdique que les gens sont désormais prêts à payer 40 balles pour voir des endives comme Slowdive ou Ride (et bientôt Lush). Dieu merci, il existe une poignée de groupes qui ne se reformeront jamais. Faites-vous une raison : vous aurez beau hurler et trépigner, vos chances de voir Hüsker Dü, Fugazi ou Sonic Youth dans les années à venir sont à peu près nulles.

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Et vous ne verrez pas non plus Unwound, légende art-punk d'Olympia, Washington qui a été, entre 1991 et 2001, un des groupes les plus uniques, vitaux et novateurs qu'il était possible de voir sur scène. Dix ans après leur séparation, Justin Trosper (chant/guitare), Vern Rumsey (basse) et Sara Lund (batterie) ont refait surface avec le projet Unwound Archive et un album live posthume, Live Leaves. Peut de temps après, le label Numero Group s'est lancé dans une réédition de la discographie complète du groupe, sous forme de coffrets. Mais Unwound ne s'est jamais reformé et n'a jamais donné aucun concert. Et la sortie de Empire, le dernier coffret de la série, ne devrait strictement rien changer à leur plan. Nous sommes allés passer un moment avec Justin et Sara pour parler d'Empire (qui compile le génialissime Challenge for a Civilized Society de 1998, leur très mésestimé dernier album Leaves Turn Inside You, des inédits, des démos et un texte de leur roadie et ami de toujours, David Wilcox).

Noisey : Vous êtes soulagés que cette série de rééditions soit terminée ?
Justin Trosper : Oui, d'une certaine façon. C'est marrant, j'ai reçu mon exemplaire de Empire aujourd'hui même. Sarah Lund : Ça n'a pas été un projet de tout repos, il a fallu se replonger dans toutes ces archives. Et ça s'est fait tellement vite. On a passé un an ou deux dessus seulement, mais ça semblait tellement plus long… Devoir se replonger dans tout ça, se souvenir de qui on était et de ce qu'on faisait à tel moment bien précis…

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Vous êtes content d'Empire ? L'objet est chouette, non ?
JT: Oui, il est magnifique. Il est un peu différent des autres. On voulait un design plus sombre pour celui-ci. On est plus dans le noir et le gris alors que les autres avaient un aspect beige/marron, très DIY, presque métallique.

C'est parce que Empire a une vibe différente ?
JT : La musique reste similaire mais le ton est différent—c'est l'ultime chapitre, la fin de tout [Rires]. Enfin, ce n'est pas complètement sombre non plus. Mais le livret parle principalement de l'enregistrement du dernier album (Leaves Turn Inside You) et de la dernière tournée, donc ça nous semblait cohérent.

Le livret a été écrit par David Wilcox, qui était justement votre roadie sur la dernière tournée.
SL : Il a écrit les notes de tous les livrets de ces rééditions. Si tu les assembles, tu obtiendras une biographie assez fidèle du groupe. C'était cool qu'il s'occupe de ça, qu'il y passe autant de temps, qu'il aille interviewer tout le monde comme ça… C'est un super pote, donc c'était bien que ce soit lui qui le fasse. On se sentait à l'aise avec lui et il avait vécu le truc de l'intérieur. Il avait été aux premières loges sur la dernière tournée, celle où tout s'est écroulé. JT : David vivait à Houston, Texas, on l'a rencontré sur une des tournées qu'on a fait avec Sonic Youth. C'est devenu un pote et je ne sais même plus comment il s'est retrouvé sur la route avec nous [Rires]. Je crois qu'on lui a proposé, juste parce qu'on aimait traîner avec lui. Et comme il n'avait rien de mieux à faire…

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Vous gardez quoi comme souvenirs de la période Challenge For A Civilized Society ?
SL : C'était totalement différent de Leaves Turn Inside You. On tournait comme des malades à l'époque - on a vraiment beaucoup tourné pour ce disque. On vivait encore tous dans la même ville, on répétait et on tournait à fond. On a fait plus de dates que jamais pour ce disque, on est allés au Japon, on a fait l'Europe deux fois. Et entre Challenge et Leaves, on a tous commencé à prendre des directions différentes. J'ai déménagé à Portland, Vern a bougé à Las Vegas et tout à commencé à partir en sucette.Challenge est aussi le disque pour lequel on a le plus passé de temps en studio. Deux semaines complètes, avec un un producteur et un ingé-son, à jouer comme des brutes, non-stop.

Ça se sent, Challenge est hyper différent de Repetition, qui est sorti deux ans avant. Vous vous étiez fixé un but avec ce disque ?
SL : Jusqu'à Repetition, on a enchaîné les morceaux sans temps mort. Mais après Repetition, on a eu un blocage. Pendant un an, on n'a pas été foutus de composer le moindre truc. Avant, on vivait tous dans de grandes baraques en colocation et quand on a commencé à avoir un peu d'argent, on a chacun pris notre appartement. Là, il a fallu louer une salle de répète. Ce qu'on a fait. Mais rien ne sortait. Que dalle. Et à un moment, Justin a déménagé dans une ancienne ferme, et on a installé une salle de répète en sous-sol. Et sans trop savoir comment, c'est revenu. Comme par magie.

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C'était quoi la différence principale entre Challenge et Leaves?
SL : Comme je te l'ai dit, Challenge, on a passé pas mal de temps dessus, deux semaines entières en studio. Il est nettement plus produit que nos autres disques. On s'est vraiment intéressé à tout le process d'enregistrement, aux techniques que notre producteur utilisait en studio. Avec Leaves, on a essayé d'aller un peu plus loin. Cette fois-ci, les morceaux étaient carrément composés et assemblés en studio. Il y en a quelques uns qu'on a écrit de façon traditionnelle, en salle de répète, tous les trois. Mais beaucoup ont été crées intégralement en studio. C'est sans doute comme ça que les groupes bossent aujourd'hui, non ? [Rires]

Leaves était un disque plus compliqué, selon vous ?
SL : Oui, on a passé deux ans dessus. Je vivais à Portland où je travaillais et je rejoignais le groupe uniquement le week-end. Au milieu de l'enregistrement, Vern est parti à Las Vegas. Il devait revenir régulièrement, lui aussi, mais ça n'a pas vraiment marché au final. On s'est très souvent retrouvés juste Justin et moi. A cette époque là, il s'était construit tout un studio dans sa ferme et je venais le voir dès que je pouvais pour bosser sur les morceaux. Et pendant tout ce temps là, on n'a pas tourné non plus. Je me souviens bien du printemps 1999, c'était le premier printemps depuis 5 ou 6 ans qu'on ne passait pas en tournée en Europe. On s'est dit : « Il y a quelque chose qui cloche, on ne devrait pas être ici ! » [Rires] Sérieux, ça m'a angoissé. J'étais vraiment là à me demander « Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'il se passe ? » Et Justin me rassurait : « On prend notre temps. On a notre studio maintenant. Et on peut faire tout ce qu'on veut, on a le matos pour ça. » Mais la vérité, c'est qu'on était plutôt limités niveau matos—on avait juste un magnéto 8 pistes, tout le disque a été enregistré sur un 8 pistes.

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Justin, on parlait tout à l'heure du côté très sombre de l'artwork de ce dernier coffret - ce dernier album et cette dernière tournée, ce n'était pas une super période pour le groupe, j'imagine.
JT : Non, en effet - c'était la fin de notre relation et de notre amitié ! [Rires] Les relations entre les différents membres d'un groupe sont très spéciales, les gens comparent d'ailleurs souvent ça à un mariage. C'est un mélange entre un mariage, un business et un partenariat. C'est une relation très complexe, qui concerne généralement plus de deux personnes. Quand un groupe se sépare après plusieurs années, ça peut être aussi dur et déprimant que la fin d'une histoire amoureuse. Les gens n'y pensent pas forcément, il se disent : « Bah, c'est juste un groupe » ou « Ils auraient dû virer ce mec et continuer sans lui ». On a formé Unwound quand on était adolescents et il y a énormément d'amitié et de solidarité à la base du groupe. Et quand tu mêles le business à ça, forcément, ça complique un peu les choses. [Rires] Il faut prendre sans cesse des décisions, parfois critiques pour l'avenir du groupe. Ce coffret explique justement cette phase, la partie complexe de cette relation.

Vous avez pensé quoi en lisant le texte de Wilco dans le livret ?
JT : En fait, quand le groupe s'est arrêté, je me suis dit qu'il n'y avait finalement pas grand chose à raconter sur nous. [Rires] On n'a jamais fait de trucs dingues, il ne nous est jamais rien arrivé d'incroyable. Et puis, en faisant toutes ces interviews avec lui pour les textes des livrets, je me suis rendu compte qu'il y avait vraiment une Histoire derrière tout ça. Tout le monde a une Histoire à raconter et certaines ne valent pas vraiment la peine d'être racontées ou lues. Ce que je veux dire par là, c'est que la plupart n'intéresseront qu'une toute petite poignée de gens. Et c'est ce que je me disais à propos d'Unwound, mais j'ai réalisé petit à petit que ça pouvait finalement intéresser plus de gens que je ne le pensais. Parce que note parcours s'inscrit parfaitement dans le cours des années 90. Les gens ont lu des tas de trucs sur Nirvana, Pearl Jam, le grunge, Sub Pop ou les Riot Grrrls—tout ça a été largement documenté. Mais il y a tellement de choses derrière, qui ont eu un impact moins important, mais qui font partie de l'Histoire de ces années-là et qui sont directement liées à tout ça. Des petites histoires comme le notre qui peuvent apporter un éclairage nouveau ou en tout cas différent sur tout ça.

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C'est un problème pour vous, qu'Unwound soit aujourd'hui considéré comme un groupe légendaire, les pionniers d'un certain son ?
JT : Pas vraiment, parce que d'une certaine façon, c'est vrai. Le truc, c'est qu'on ne s'en est jamais rendu compte et qu'on n'a pas su raconter cette histoire au moment où elle était encore en développement. Tout ça n'est arrivé que bien plus tard. On n'aurait jamais eu cette discussion il y a 20 ans. Si le groupe s'est séparé ou n'a pas marché plus que ça, c'est uniquement à cause de nous. Parce qu'on n'a rien fait pour l'éviter. On ne peut s'en prendre qu'à nous mêmes.

Vous avez pensé vous reformer et donner des concerts à l'occasion de la sortie de ces coffrets ?
JT : Au tout début, je me suis dit : « Ouais, pourquoi pas, c'est une possibilité ». Et en avançant dans le projet, j'ai réalisé que ça n'allait pas être possible. Ce serait beaucoup trop compliqué et beaucoup trop risqué d'un point de vue personnel. Personne ne nous a proposé 500 000 $. On a eu quelques offres, mais on n'a jamais parlé d'argent. Et tant mieux. Je ne veux pas savoir combien on voulait nous payer. Parce que ça n'arrivera pas de toute façon. Il y a 90 % de chances pour que ça n'arrive jamais.

Donc, il y a quand même 10 % de chances que ça arrive.
JT : [Rires]

Sara, tu en penses quoi, toi ?
SL : Qu'il n'y aura définitivement pas de reformation d'Unwound. D'un côté, ça me rend triste de me dire que je ne jouerai plus jamais tous ces morceaux, et plus particulièrement certains morceaux de Leaves dont je suis très fière et qu'on a très peu joués sur scène. Des trucs comme « Look A Ghost » et « Terminus ». Ce qui est vraiment génial dans un groupe, c'est quand tu joues tes morceaux sur scène. Il y a un côté physique, viscéral, que tu ne retrouves pas sur les disques. Donc oui, d'un côté, ça me rend triste, mais de l'autre il y a toute la merde que tu dois gérer quand tu te lances dans une reformation et ça, pour le coupe, ça ne me fait pas envie du tout. [Rires]

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Est-ce que vous seriez capable de rejouer ces morceaux, d'ailleurs ? Tout ça remonte à si longtemps et vous avez tous énormément changé.
JT : Exactement. Ce ne serait plus la même implication, plus la même énergie. Si tu me donnais une guitare là, tout de suite, j'aurais sûrement du mal à rejouer la plupart de nos morceaux. Sans même parler des paroles. Tout ça a été écrit il y a une éternité. Nous ne sommes plus les mêmes personnes. Ce ne serait pas Unwound. Ce seraient les trois personnes qui ont formé Unwound en train de jouer des morceaux écrits il y a 20, 25, 30 ans, dans un état de stress avancé, devant un public qui attend quelque chose qu'il n'obtiendra pas. [Rires] Donc non, ça n'arrivera pas.

Quand Unwound s'est séparé, toi Justin, tu as complètement abandonné la musique.
SL : Carrément. Pendant, un moment on a parlé de remonter un truc, tous les deux. Mais Justin était au bout du rouleau et on savait qu'il allait mettre ça de côté pendant au moins un an. Et au final, ça a duré 10 ans ! [Rires] Des fois quand on se voyait, il prenait une guitare chez moi et gratouillait dessus. Et j'étais là : « Putain ! Tu branles quoi, là ? T'es un guitariste incroyable, ça t'est déjà venu à l'idée qu'il faudrait peut être que tu t'y remettes ? » [Rires] Mais il avait autre chose en tête. Maintenant, quand il rejoue, c'est super, il y prend à nouveau du plaisir.

Toi, en revanche, tu as continué à jouer.
SL : Oui, je ne me suis jamais arrêtée. Mais il m'a fallu un truc genre 5 ans pour trouver des gens avec qui j'avais vraiment envie de jouer.

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C'était dur de passer après Unwound.
SL : A tous les niveaux - musicalement et humainement. Comme on te l'a dit plus tôt, on a commencé ce groupe très jeunes, et on avait chacun des styles de jeu très particuliers. Il y avait un truc unique entre nous, qu'il était difficile de retrouver avec d'autres musiciens. Mais ça m'a permis de réaliser qu'il fallait que j'apprenne à jouer autrement, en discutant et en échangeant plus nos points de vue. Avec Justin et Vern, tout se mettait en place automatiquement, on n'avait pas vraiment à parler entre nous. Et ça a d'ailleurs créé pas mal de tensions. On était de bons amis, de bons musiciens mais on était vraiment nuls pour communiquer entre nous.

Quel rôle a joué Vern dans la réalisation de ces coffrets ?
JT : Il était nettement moins impliqué que Sara et moi. Mais il a sa vie, il a d'autres priorités. Moi, j'avais le temps, donc ça ne me dérangeait pas de partir à la chasse aux photos sur internet ou de courir après les documents existants sur le groupe à droite et à gauche.

J'ai vu qu'il avait un nouveau groupe, Red Rumsey.
JT : Je n'ai pas encore écouté mais on m'en a dit du bien. Visiblement, c'est très différent de ce qu'on faisait. C'est plutôt bon signe. On a tous nos projets, on les fait évoluer à notre propre rythme, c'est cool. Je suis en train de faire un disque là et Sara joue d'ailleurs de la batterie sur quelques titres.

Un disque solo ?
JT : [Rires] Un disque solo ! Non, ça ne va pas sortir sous le nom Justin Trosper. C'est un nouveau projet mais je ne suis pas tout seul. Ce n'est pas juste moi avec une guitare acoustique. [Rires] Après c'est moi qui dirige le truc, ce n'est pas non plus un groupe au sens démocratique du terme. Et Sara joue sur quasiment la moitié du disque.

Cool. C'est prévu bientôt ?
JT : Eh bien, ça aurait dû être terminé là, mais je ne suis pas encore satisfait à 100 % du résultat. Et puis j'ai une vie à côté, je ne peux pas toujours avancer comme je le voudrais. Mais j'aimerais bien sortir ça en 2016 - avec un peu de chance, au printemps prochain. [Rires] Mais ça me semble un peu ambitieux.

Il va se passer quoi pour Unwound maintenant que les rééditions sont terminées ?
JT : Il va y avoir un énorme coffret réunissant toutes les rééditions. C'est encore secret, mais bon, ça va bien finir par se savoir à un moment ou un autre. Ce sera le point final du truc. On va encore ajouter quelques archives sur le site, après quoi on le laissera en l'état, pour que les gens puissent venir se servir. On aimerait bien avoir 2 ou 3 enregistrements de concerts en plus à proposer. Mais on ne va pas continuer indéfiniment à traquer des archives. L'essentiel est déjà dans les coffrets.

Empire est disponible chez Numero Group.