De bien des façons, nous sommes le plaisir que nous recherchons. La manière dont nous passons nos soirées reflète qui nous sommes mais aussi qui nous voulons être, notre génération, d’où nous venons et où nous voulons aller. Notre plaisir et nos loisirs sont une manière de comprendre l’histoire car ils racontent des histoires que nous aurions peut-être décidé d’ignorer. Je parle de ces moments où nos inhibitions sont réduites et où les gens se réunissent. Ces moments durant lesquels les appareils cessent même de photographier et de filmer.
Bon, heureusement, pas tous les appareils. Après avoir travaillé sur les crises humanitaires dans les pays en voie de développement durant les années 1980, le photographe anglais Chris Steele-Perkins a commencé à prendre des photos de ces concitoyens durant leur temps libre. C’est dans The Pleasure Principle qu’il présente un portrait de la nation britannique à travers ses boîtes de nuit, galas et garden-parties.
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Son travail offre un contre-discours sur cette décennie Thatcher sacralisant l’individualisme. Le photographe présente, au contraire, un pays empreint d’esprit collectif et de rituels. Cela ne veut pas dire que ses photographies ignorent les conflits – il y a des bagarres, des nationalistes blancs et des nez en sang – mais la Grande-Bretagne est un endroit étrange et mythologique, plein de vie et de violence. Les images mélangent les classes et les cultures – du bal de printemps d’Oxford aux lumières pourpres des trottoirs de Blackpool – et même une photo de Thatcher.
Son travail vient tout juste d’être acquis par la TATE, donc nous en avons profité pour parler à Chris de ses photos, ses souvenirs de shooting et du plaisir qu’il a pris à photographier la Grande-Bretagne.
VICE : Diriez-vous que l’éclat de ces photos est le produit de cette génération ou de votre travail de photographe ?
Chris Steele-Perkins : C’est peut-être dû à ma jeunesse de l’époque et aussi à la manière dont la société britannique changeait sous Thatcher – en étant plus impertinente, et vulgaire. L’une des choses qui continue de me frapper à propos de la Grande-Bretagne, c’est que ça reste un endroit étrange. Il y a énormément de personnes étranges faisant des choses étranges.
Dans les photos de Blackpool, qui n’est pas forcément l’endroit qui nous vient à l’esprit quand on pense à un lieu féerique, on note une sorte d’excitation.
J’ai conscience que certaines personnes aiment se moquer de cette ville mais ça ne m’intéresse pas.
Avez-vous une façon particulière de gagner la confiance des gens ?
C’est une bonne question. Je ne sais pas s’il y a une réponse simple à cette question. Les gens s’habituent très vite à vous si vous êtes relativement silencieux, et ils retournent à leur petit monde. Si vous traînez assez avec eux, vous pouvez commencer à vous intégrer.
Il y a une photo incroyable d’étudiants d’Oxford qui ont été hypnotisés. Était-ce une performance ? Étaient-ils vraiment en transe ?
Eh bien, c’est la question. Je ne pense pas que l’hypnose est un état scientifiquement valide. Vous pouvez rire à une comédie qui n’est pas drôle parce que tout le monde rit. Je pense que les sujets s’associent dans l’illusion pour que la fête continue.
Je suppose que c’est un phénomène qui surgit dans de nombreuses photos. Pas aussi explicitement que dans celle-là mais la poursuite du plaisir entraîne une perte d’inhibition collective que l’on voit dans tout votre travail.
C’est le cas également avec les jeunes suprémacistes blancs. Dans un gang, ils peuvent se pavaner avec leurs symboles mais lorsqu’ils sont tout seuls, arpentant Brixton, ils doivent être un peu plus prudents.
Concernant le titre de The Pleasure Principle, était-ce une chose à laquelle vous aviez déjà pensé lorsque vous preniez les photos, ou est-ce que c’est venu rétrospectivement ?
Je suppose que ça a surgi comme titre et je me suis dit « ça convient bien ». Parfois les titres sont évidents. D’autres sont un peu plus poétiques. L’idée du titre flottait dans mon esprit et s’y est installée.
Il y a beaucoup de célébrations collectives dans vos photos, alors que les années 1980 sont généralement perçues comme une décennie durant laquelle les liens sociaux n’existaient plus – la décennie de l’ultra-individualisme.
C’est vrai, et Thatcher disait même que « la société, ça n’existe pas». Je ne sais pas comment elle en est venue à dire une chose aussi stupide.
Est-ce que vous avez le sentiment qu’il y a des traditions anglaises que l’ultralibéralisme ne pouvait pas briser ?
Je pense, fondamentalement, que nous n’avons jamais perdu notre compassion et notre humanité. Il y avait un niveau de décence et de raison qui continue d’exister aujourd’hui.
Sur la photo que vous avez prise d’elle, Thatcher semble surprise. De quoi vous souvenez-vous concernant cette photo ?
C’était la conférence du Parti conservateur à Blackpool. Il y a toute une cohue de journalistes derrière moi donnant des coups de coude pour s’approcher d’elle. Puis, il y a tous ses acolytes autour d’elle et les mecs de la sécurité – qui ne sont pas sur cette photo – qui s’occupent de lui frayer un chemin dans la foule.
Je voulais aussi vous poser une question concernant la photo de la réception du mariage sur laquelle on voit un survivant du thalidomide. Quelle est l’histoire derrière cette photo ?
Elle vient d’un reportage que j’ai fait pour le Sunday Times Magazine. Ce sont eux qui ont révélé les conséquences du thalidomide et je les ai contactés pour réaliser un travail sur ce qui était arrivé aux victimes. Ce mec, Richard, bossait dans une banque. Il pouvait prendre des dossiers avec ses pieds et les ranger dans des tiroirs, c’était assez incroyable.
Sinon, il y a une photo d’une bagarre dans une boîte de Camden.
C’est une activité standard pour les Britanniques. Sortir, boire quelques pintes et se battre. Ce n’était pas une spécificité des années 1980, ils le faisaient juste dans des vêtements différents. Je pense qu’il y a toujours une violence sous-jacente, surtout après quelques verres.
J’aime le fait que les portraits de la haute société montrent aussi un côté criard et vulgaire. Est-ce que rapprocher les classes était une idée qui trottait dans votre esprit ?
Ce n’est pas quelque chose que j’essayais de faire – c’est juste ma manière de voir les choses. En effet, je ne veux pas me moquer des classes supérieures, comme je ne me moque pas des classes populaires. Je les trouve toutes les deux étranges, mais je ne suis le défenseur d’aucune des deux. Je cherche à être équilibré.
Encore plus d’images de Chris Steele-Perkins ici.