Sa fille est morte d’une overdose – depuis, elle se bat pour légaliser la drogue

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

L’anesthésie est l’un des plus vieux besoins de l’humanité. L’alcool est le premier sédatif connu ; les Sumériens, une civilisation ancienne de l’actuelle Irak, gravaient des recettes de bière sur des tablettes d’argile. Ils cultivaient également le pavot pour ses propriétés anesthésiques et récréatives – la plante s’est répandue à travers leur royaume, avant d’atteindre la Perse à l’est et l’Égypte à l’ouest. Les êtres humains prennent des drogues pour atténuer la douleur et renforcer le plaisir depuis des milliers d’années : il s’agit de l’une de nos impulsions les plus fondamentales et les plus primitives.

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Anne-Marie Cockburn l’a appris à ses dépens. Après que Martha Fernback a avalé un demi-gramme de MDMA exceptionnellement pure par une belle journée ensoleillée dans un parc d’Oxford, Anne-Marie est arrivée à l’hôpital pour découvrir des médecins affairés sur le corps sans vie de sa fille de 15 ans. Lorsque cette dernière a succombé, trois heures plus tard, à un arrêt cardiaque, sa mère a littéralement supplié les médecins de lui donner des médicaments pouvant apaiser son chagrin. On lui a prescrit du Valium.

Anne-Marie Cockburn me raconte tout cela de manière incidente tout en parcourant une malle contenant les affaires de sa fille, située sur une étagère du salon de sa paisible demeure au nord d’Oxford. Après la mort de sa fille, Anne-Marie est devenu auteure et militante en faveur d’une réglementation et d’une légalisation complète de la drogue.

Je suis très nerveuse dans les jours qui précèdent notre interview. Comment interrogez quelqu’un au sujet de la pire chose qui puisse lui arriver – la perte de son enfant ?

Martha Fernback a collecté la tour de pierres, au premier plan à droite, lors d’une virée à la plage. Il s’agit du « bien le plus cher » d’Anne-Marie. Photo d’Alice Zoo

Anne-Marie Cockburn, cependant, porte son deuil de manière discrète – il n’envahit pas la pièce. Cette femme de 46 ans, mince et bien habillée, a un doux accent écossais et tripote ses bagues en parlant, comme pour mesurer ses pensées. Elle lâche des mots comme « dépénalisation » aussi facilement qu’un professeur d’université et se remet du rouge à lèvres avant d’être photographiée. Anormalement sûre d’elle, elle n’a rien à voir avec les spectres aux yeux creux que l’on associe aux parents endeuillés dans l’imagination populaire.

Le décès de Martha en juillet 2013 a été largement relaté par les médias, du fait de son jeune âge, de son apparence. Les images de cette adolescente aux boucles brunes et aux grands yeux ont fait les unes des journaux du monde entier. « On m’envoyait des messages disant : “Je suis à l’aéroport de Schipol [à Amsterdam] et la photo de Martha est en kiosque”, se rappelle Anne-Marie. C’est un peu bizarre de voir le visage de sa fille partout. »

Les médias se sont dépêchés de couvrir sa mort – les jolies jeunes filles, c’est vendeur, surtout si elles sont mortes. Il existe un antécédent historique : en 1995, l’étudiante anglaise Leah Betts est décédée après avoir consommé de l’ecstasy et bu près de sept litres d’eau en 90 minutes.

Quiconque était scolarisé au Royaume-Uni pendant les années 1990, moi y compris, connaissait Leah Betts. Une photo d’elle dans le coma était placardée dans tous les journaux et utilisée pour dissuader les adolescents de consommer des substances – même que Leah Betts n’est pas morte des suites d’une ingestion d’ecstasy mais d’un gonflement de son cerveau à cause d’une consommation d’eau excessive, ce qui est évidemment lié.

Anne-Marie Cockburn grimace lorsque je mentionne Leah. « Martha lui ressemblait à l’hôpital, déclare-t-elle. Elle était pareille. » Près de deux décennies plus tard, il est facile d’établir des parallèles entre les deux jeunes filles, mais Anne-Marie Cockburn résiste à ces comparaisons. Les décès des adolescentes étaient évitables – si on leur avait appris à consommer de la MDMA de manière responsable, elles seraient peut-être encore en vie aujourd’hui. Anne-Marie Cockburn se donne pour mission de changer la façon dont nous éduquons les jeunes en matière de drogue.

Il est aujourd’hui difficile d’être la mère de Martha, admet Anne-Marie. Sa présence rend les gens, en particulier les parents, mal à l’aise. « Je le vois dans leurs yeux quand je les rencontre, dit-elle doucement, ils sont terrifiés à l’idée de vivre ce que j’ai vécu. »

Son statut de mère endeuillée lui vaut une étrange forme de célébrité. Elle voyage beaucoup et donne de nombreuses conférences sur la nécessité de légaliser la drogue, et est habituée à recevoir des commentaires grossiers et insensibles. « Il arrive que des gens me disent : “Si cela m’arrivait, je me suiciderais”. Pourtant, je ne me suis jamais autant accrochée à la vie qu’aujourd’hui. »

Elle compare sa vie avant la mort de sa fille au premier niveau d’un jeu vidéo. Elle est maintenant au deuxième niveau : les couleurs sont vives et saturées, les émotions nouvelles et vieilles à la fois. « Tout est plus animé maintenant, déclare-t-elle. La douleur équivaut à l’amour que j’ai pour elle. »

Anne-Marie Cockburn a une manière littéraire, presque élégiaque, de parler de sa fille. Lorsqu’on lui demande de la décrire, elle objecte : « C’est comme si on me demandait de décrire le goût de l’eau. » Un jour, se souvient-elle, elle lui a demandé de nettoyer la salle de bains. Au lieu de quoi Martha a lavé le plafond. « Elle a dit qu’il était sale, sourit-elle. Elle était très créative. »


Peu de temps avant sa mort, sa fille lui a avoué qu’elle avait essayé la drogue. Cockburn, consternée, a aussitôt mis fin à la conversation. « Je lui ai crié dessus parce que j’étais terrifiée, déclare-t-elle. Je lui ai fait promettre de ne plus recommencer. Quelques semaines après, elle était morte. C’est une conversation que j’ai toujours regrettée. Je ne peux pas m’en vouloir, mais j’aurais aimé savoir ce que je sais maintenant. »

Anne-Marie Cockburn a depuis adopté une approche plus compatissante et humaine envers la consommation de drogue. Elle a découvert que sa fille avait cherché des informations sur la façon d’en prendre en toute sécurité, et qu’elle avait même fait l’effort de trouver de la MDMA extra-pure, croyant à tort que c’était plus sûr. Les cristaux de MDMA qu’elle a ingérés étaient purs à 91 pour cent, ce qui représentait des risques d’overdose plus élevés. À l’époque, la pureté moyenne n’était que de 58 pour cent. « Martha ne s’est pas rendu compte que ce dosage la mettait en danger », déplore sa mère.

Maintenant que quatre ans ont passé depuis la mort de sa fille, Anne-Marie n’a plus besoin de Valium – la réalité a retrouvé de sa saveur. Elle passe maintenant la majeure partie de son temps à faire campagne pour réformer la politique antidrogue et à prononcer des discours sur le décès de sa fille dans des conférences, des écoles – et des prisons. Elle prend une paire de Converse appartenant à Martha et les pose sur la table. « Il y a quelque chose à propos de ces chaussures qui fait craquer les prisonniers. »

Les Converse de Martha

« Il suffit que je leur montre les baskets de ma fille pour qu’ils se mettent à pleurer. » Elle marque une pause. « C’est très particulier. »

Cockburn affirme que son activisme porte ses fruits. Un récent débat parlementaire britannique sur la politique antidrogue a attiré une bonne participation des députés, et le nom de Martha a été mentionné 25 fois. L’arc de l’histoire est long, mais Anne-Marie Cockburn croit fermement qu’il finira par se plier à sa volonté.

Alors que je m’apprête à partir, elle remballe les affaires de Martha. Je reconnais une couronne de fleurs qu’elle portait sur l’une des photos relayées dans les journaux. Sur cette photo, Martha porte du maquillage turquoise et fait un demi-sourire devant un arbre. Elle a l’air sereine.

Anne-Marie m’apprend que les amis de sa fille avaient laissé la couronne à Hinksey Park, la scène de son overdose mortelle. Elle a été déterrée par des jardiniers. « Nous l’avions enterrée sous l’arbre où Martha est morte », explique-t-elle en caressant les fleurs en papier. « Mais quand nous y sommes retournés, des fleurs avaient été plantées et la couronne était remontée à la surface. »