Lancé par l’artiste bruxellois Eric Vanuytven (40 ans), le projet « Scar the Car » donne à chacun·e la possibilité de graver un message sur des vieilles voitures. Eric est connu, entre autres, pour ses événements dans les night shops bruxellois sous le nom de Chez Madeleine, où le projet a été lancé. Ici, il permet aux gens de rayer des caisses, mais cet acte généralement qualifié de vandalisme perd sa connotation négative et devient une œuvre d’art. Cette action, forte physiquement, permet aux gens de libérer leurs pensées. Les messages s’accumulent sur les différentes voitures et des thèmes se forment de manière improvisée ; les mots des un·es inspirant ceux des suivant·es, jusqu’à obtenir une sorte d’histoire collective.
Eric nous parle de ces récits gravés dans de vieilles carrosseries et de l’avenir de « Scar the Car ».
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VICE : Salut Eric, comment t’as eu l’idée de « Scar the Car » ?
Eric : Ado, j’ai moi-même commis des actes de vandalisme ; rayer des voitures, casser des rétros. Ça me faisait du bien. Je trouvais cette émotion forte et je voulais que les gens la vivent d’une manière différente que dans la rue. Je pense que c’est de là que vient l’idée.
Ça a débuté en 2019 dans le cadre d’un autre projet. La première Lancia bleue présente principalement une rayure individuelle liée à l’histoire collective de Chez Madeleine, le projet pour lequel j’ai organisé des événements dans des night shops bruxellois. Lors d’un événement que j’ai organisé à LaVallée, j’ai garé ma voiture dans la salle des fêtes et des gens devaient la rayer ; une sorte de performance artistique en collaboration avec le public. Après cet événement, je savais que j’allais poursuivre cette idée.
« Cette voiture, c’est une expression collective. »
Pourquoi utiliser les voitures comme médium ?
Pour moi, une bonne oeuvre d’art doit avoir une dimension tangible – l’acte de rayer ici -, et une dimension plus profonde ; une signification. Cette voiture, c’est une expression collective.
T’as trouvé où ces voitures ?
C’est une sacrée coïncidence. En fait, c’est des voitures qui ne sont plus autorisées à rouler et dont les propriétaires veulent se débarrasser. Mon père est mécanicien et on le contacte parfois pour ce genre de trucs. C’est comme ça que ces voitures ont fini ici.
Tu te considères aussi comme un genre de vendeur de voitures ?
Une version renouvelée, oui. De nos jours, les voitures ont une connotation très négative : le statut, la pollution, l’individualisme, etc. Je veux juste briser ces choses. Les voitures que je vends en tant que concessionnaire sont bonnes pour la nature. Elles permettent aux gens de s’exprimer et ne sont plus considérés comme de simples ordures. On doit vraiment donner une nouvelle fonction à ces vieilles voitures, parce que dans dix ans, on en aura beaucoup trop.
Tout le monde peut graver un message ?
40 % des messages que j’ai grattés ne sont même pas les miens à la base. Les gens me les envoient et on en discute avant que je les écrive. Ça m’est arrivé de parler à certaines personnes pendant des semaines, vraiment. Les 60 % restants sont les messages que les gens ont grattés eux-mêmes. Ces personnes me contactent, par Instagram ou par mail, et on convient d’un moment où elles peuvent passer. Je dois juste faire attention à ne pas avoir trop de monde dans la salle.
T’en penses quoi du thème Covid qui domine maintenant la Clio ?
Je livre le support, mais je ne peux pas prédire le message. Je ne veux vraiment pas passer pour quelqu’un qui se sert de la situation actuelle. Non. Le travail avait débuté avant ça. Chez Madeleine était une réaction de protestation aux coupes budgétaires dont a été victime le secteur de la culture. C’était déjà une réponse à la décision politique de Jan Jambon. Ce message est apparu clairement sur la première voiture à l’époque, mais il n’a jamais été planifié.
« Je livre le support, mais je ne peux pas prédire le message. »
Je rassemble juste les mots. La Clio raconte maintenant la pensée collective en temps de pandémie et de confinement. Ce message est vite devenu clair. C’est facile à saisir et à comprendre parce qu’on est tou·tes dans le même bateau.
C’était quoi le premier message sur cette voiture ?
C’est un message bien connu qui explique que la société est basée sur « X = -X ». Autrement dit, rien ne se vaut. Il n’y a pas d’égalité entre l’homme et la femme, entre les âges, entre les pays…
C’est avec ce message qu’on a grandi et auquel les autorités nous poussent à croire. Mais l’avenir sera différent et on peut déjà le voir maintenant. Juste à côté, quelqu’un a gravé un message qui dit ça encore plus facilement : « Gold is shit. Shit is gold. »
Quelle histoire raconte la Citroën ?
La Citroën se concentre actuellement sur le deuil, un thème beaucoup plus difficile que les deux premières. Ça a commencé après ce qui est arrivé à Adil. Je l’ai mise à côté de la Clio parce que j’étais curieux de voir ce qui allait lui arriver. Je voulais une suite à la Clio qui était déjà presque remplie de messages mais je ne voulais pas décider par moi-même. Possible que le message change encore de direction sur la Citroën, mais pour l’instant, l’accent est mis sur le deuil.
« Chaque voiture fera sa propre route ; entière ou en pièces détachées. »
À part les rayer, tu fais autre chose avec ces voitures ?
Je viens de la scène skate à la base. Cette culture m’a beaucoup appris donc j’ai voulu l’introduire au projet. Je suis aussi en lien avec le magazine Junkster magazine – des skaters Melvin Podolski et Pim Notebaert. Dans leur revue, ils donnent notamment carte blanche à des artistes et entrent vraiment en dialogue avec leurs lecteur·ices. C’est exactement ce que je veux faire avec ce projet, et c’est pourquoi je voulais qu’ils en fassent partie.
Il leur arrivera quoi à ces voitures après ce projet ?
Chaque voiture fera sa propre route ; entière ou en pièces détachées. On va amener la Citroën vers la Gare de l’Ouest, pour l’y laisser quelques mois. Je travaille avec une organisation à Molenbeek pour donner une plateforme à un groupe de 150 jeunes endeuillé·es pour les aider à faire face à ce deuil. Ça correspond au thème que la voiture a déjà. Après ça, elle sera dans le garage Citroën pour les mois d’août et septembre au Kanal – Centre Pompidou. Et le mois d’après, la Clio sera déplacée dans le jardin BK6 à Courtrai, où une nouvelle voiture sera également garée.
Comment les gens peuvent procéder pour venir rayer des messages ?
Vous pouvez me contacter par e-mail (scarthecar@hotmail.com) en mentionnant déjà quel message vous comptez graver, pour qu’on puisse en parler ensemble. Tout ça peut aussi se faire via mon profil Instagram.
Cool, merci de m’avoir reçu !
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