Culture

Quand le Ku Klux Klan paradait dans les rues des États-Unis

Le nationalisme blanc, au cœur des préoccupations depuis l’élection présidentielle de Donald J. Trump, a poussé Linda Gordon à écrire, pour la première fois, « quelque chose de vraiment, vraiment moche ». Second Coming of the KKK : The Ku Klux Klan of the 1920s and the American Political Tradition illustre la façon dont la résurgence du Ku Klux Klan dans les années 1920 fut considérée comme étant relativement ordinaire et respectable, à l’instar des tentatives actuelles de rendre le racisme, le sexisme et l’antisémitisme quotidiens de nouveau acceptables.

Gordon, qui est professeure d’histoire à l’université de New York, à déjà écrit un livre plus général sur les mouvements sociaux du XXe siècle avant l’arrivée de Trump au pouvoir, et ne veut surtout pas que les gens pensent que tous ces mouvements sont merveilleux. Second Coming of the KKK retrace la façon dont un médecin d’Atlanta a dépoussiéré les vestiges racistes du KKK d’après-guerre de Sécession afin de pérenniser la suprématie blanche dans la vie civique et sociale du sud des États-Unis. Avec l’aide de quelques professionnels avisés, les membres du KKK se sont répandus comme une traînée de poudre, donnant aux Occidentaux la chance de se définir par ce qu’ils n’étaient pas : noirs, juifs, catholiques ou nouveaux immigrants.

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Gordon, également auteure de Dorothea Lange : A Life Beyond Limits et Heroes of Their Own Lives : The Politics and History of Family Violence, évoque un monde poussé aux extrêmes – hier comme aujourd’hui.

VICE : Bonjour Linda. Vous écrivez que « le KKK des années 1920 était ordinaire et respectable aux yeux de ses contemporains ». Y a-t-il un sentiment de respectabilité au sein de la suprématie blanche moderne ?
Linda Gordon : Ce genre de racisme extrême, d’hostilité envers les femmes et d’antisémitisme est favorisé par des « conservateurs respectables ». Mais le problème ne se limite pas à l’extrême droite. Trump a nourri une hystérie ridicule à propos de l’Obamacare, et le Parti républicain a accepté ça.

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de qualifier votre judéité dans une analyse historique de la suprématie blanche ?
J’ai vraiment pensé qu’il était important que je dise que je suis juive dans ce livre, précisément parce que j’ai ressenti cette montée de l’antisémitisme. Je crains fort qu’il y ait une vague d’antisémitisme « poli ». C’est une notion circulaire qui a un effet Pygmalion. Par exemple, une conspiration veut que tous les Noirs soient exemptés de frais de scolarité. J’ai lu tellement de déclarations selon lesquelles les immigrés sans-papiers bénéficient de toutes sortes d’aides sociales alors qu’en réalité, ils ne sont admissibles à aucune forme d’aide.

Compte tenu de la démonstration du pouvoir blanc à Charlottesville, des réactions viscérales face au mouvement Black Lives Matter et de Trump, quel rôle joue « l’angoisse du statut » que vous décrivez dans l’attrait du KKK aujourd’hui ?
Les gens croient tout et n’importe quoi. Les Blancs doivent comprendre tous les avantages qu’ils ont en tant que Blancs – pour beaucoup de gens, ils sont inexistants. Quand j’ai fait une interview [à la radio], un interlocuteur a raconté qu’il avait postulé pour un emploi et qu’il était sûr qu’il ne l’aurait pas. Il a expliqué que le recruteur lui avait dit : « Nous devons embaucher une personne noire. » Honnêtement, je ne pense pas qu’il lui ait vraiment dit ça.

Non seulement c’est faux, mais ce qui est intéressant, c’est que c’est l’inverse du vrai. Le livre When Affirmative Action Was White décortique tous les traitements préférentiels accordés aux Blancs, que ce soit à l’école, au travail, à la banque, etc. Quand je suis allée au Swarthmore College, je sais que j’ai été prise parce que je venais de Portland, dans l’Oregon. La raison pour laquelle je le sais, c’est qu’ils avaient un quota de juifs qu’ils déguisaient en quota de New-Yorkais. J’ai été prise parce que je n’étais pas de New York.

Vous décrivez le KKK comme un mouvement social, à l’instar des droits civiques ou du féminisme, dépourvu d’organisation centrale. Cela rappelle quelque peu Black Lives Matter.
En ce qui concerne les nationalistes blancs, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c’est qu’ils représentent une moins grande menace que s’ils appartenaient à une organisation plus centralisée. La mauvaise est qu’ils sont de fait beaucoup plus difficiles à contrôler. Nous allons voir d’autres événements comme les manifestations de Charlottesville. Le gros problème, c’est que le nationalisme blanc n’est pas seulement à domination masculine, il est à domination jeune et masculine.

Ces jeunes hommes sont prêts à se battre physiquement, c’est ce que nous appelons l’« empoisonnement à la testostérone ». Dans les années 1920, l’avantage était que tout le monde savait que le KKK aurait plus d’impact plus s’il restait dans les limites de la légalité. Ses membres crachaient sur tout, mais essayaient de s’abstenir de toute violence. S’ils ne l’avaient pas fait, les choses auraient été bien pires. À cette époque, il y a eu plusieurs cas de lynchages de Noirs, de Japonais et d’Américains d’origine mexicaine. D’une certaine manière, j’aimerais que le mouvement Black Lives Matter soit organisé de façon plus centralisée, parce qu’il pourrait avoir plus de pouvoir.

Vous écrivez que le second KKK a connu un rapide déclin, « une fraction de sa force maximale (bien qu’il perdure à ce jour) » en 1926. Pourquoi quelqu’un aurait-il besoin du KKK ?
J’ai du mal à comprendre pourquoi les gens ont peur des gens différents d’eux. Je trouve intéressant de rencontrer des gens qui ne me ressemblent pas. Comment peuvent-ils être si craintifs, si fâchés, alors qu’ils pourraient découvrir des gens différents et des cultures différentes ?

Cette notion de classe ouvrière blanche rancunière n’est qu’une partie de l’histoire. Ces extrémistes – exactement comme le Ku Klux Klan des années 1920 – croient vraiment que l’Amérique est destinée à être un pays blanc. Ils sont absolument furieux, et je pense qu’ils le sont depuis que le mouvement des droits civiques a commencé à défier l’idée d’un pays blanc.

Les nationalistes blancs d’aujourd’hui ne semblent pas laisser une grande marge de manœuvre aux femmes sur le front, bien que certaines suprématistes blanches aient trouvé des façons d’attirer l’attention. Que nous apprend le mouvement KKK des années 1920 sur le sujet aujourd’hui ?
Ils ont une certaine idée du rôle des femmes – elles sont pour eux extrêmement importantes en cela qu’elles vont donner naissance à la prochaine génération de la race blanche. Il y a une certaine forme de romantisme au sujet de ces femmes qui reproduisent la blancheur. Elles obtiennent une certaine forme d’attention. En outre, le problème est que beaucoup de gens pensent que le féminisme est seulement question du traitement des femmes sur le marché du travail et que quelque chose cloche chez vous si vous préférez rester à la maison et élever vos enfants. Mais les femmes sont sur le marché du travail parce qu’elles doivent bien gagner leur vie.

Qu’est-ce que les femmes du KKK décrites dans le livre ont en commun avec les femmes qui cherchent à affirmer leurs qualités de leader ?
Le fait que je qualifie ces femmes de « féministes » – je crains que les gens pensent que je suis anti-féministe, ce qui n’est pas le cas du tout. Le féminisme se présente sous plusieurs formes. Je suis sûre qu’Ivanka Trump se considère féministe. Certains chefs d’entreprise se considèrent féministes alors même qu’ils ont des politiques vraiment horribles envers les gens qu’ils embauchent. Il existe également des gens qui estiment que les femmes devraient avoir des droits égaux, mais pas les Noirs.

À part Second Coming of the KKK, quels sont vos conseils de lecture pour les personnes désireuses d’en apprendre plus sur l’histoire de la suprématie blanche ?
L’afro-américain Eric K. Ward, organisateur de mouvements sociaux, a écrit un court essai, « Comment l’antisémitisme anime le nationalisme blanc », dans lequel il examine les liens étroits entre l’antisémitisme et le racisme anti-noir.

Le KKK des années 1920 s’est avéré être un succès en matière de recrutement, en cela qu’il a tout misé sur la loyauté de ses membres et son alimentation de la peur, y compris en Occident. Qui les Occidentaux ont-ils dû détester ? Ou craindre ?
Je viens de l’Oregon. Portland est un endroit assez libéral. De grands groupes de nationalistes blancs venaient de l’Oregon, alors même que presque aucuns Afro-Américains n’y vivaient à l’époque. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, c’était un État principalement blanc protestant. La présence physique des Afro-Américains n’est pas nécessaire pour nourrir le racisme. Les gens cherchent un bouc émissaire, quelqu’un à blâmer pour leurs problèmes. Surtout, ils préfèrent blâmer les gens désavantagés plutôt que les dirigeants de l’économie. Les gens perdent leur emploi non pas parce que les immigrants les obtiennent, mais parce que les entreprises se délocalisent là où la main-d’œuvre est moins chère.

Vous considérez le lieutenant général confédéré Nathan Bedford Forest et son petit-fils Nathan Bedford Forrest II comme étant les ancêtres du KKK des années 1920. Compte tenu du programme du KKK, n’est-ce pas une raison suffisante pour enlever les quelque 1 500 symboles confédérés comme les gens l’ont demandé ?
Ces statues… n’ont pas été mises en place avant le XXe siècle, précisément parce qu’un mouvement des droits civiques a commencé à dénoncer la ségrégation. Elles honorent les héros de la guerre civile, mais ne sont pas des statues de la guerre civile. Si j’étais afro-américaine et que je vivais dans une ville où je devais passer régulièrement devant ces statues, ce serait une offense directe envers moi. C’est comme si quelqu’un avait érigé une statue d’Hitler. Il y a un double standard, car personne n’oserait ériger la statue d’une personne connue pour son antisémitisme. Quand il s’agit de racisme, c’est toujours permis.

Quel était le problème du KKK avec Hollywood ?
La majorité de ses membres étaient des protestants évangéliques ayant des conceptions très rigides sur le sexe et le genre. Ils détestaient Hollywood parce que, selon eux, cette industrie promouvait l’indécence. Ils se plaignaient que des femmes de leur communauté portaient des robes trop décolletées. Tout ce qui s’éloignait de ce qu’ils considéraient comme étant le droit chemin était juste un anathème.

Ils détestaient le jazz, qui gagnait en popularité à ce moment-là. Ils croyaient littéralement que si vous écoutiez du jazz, la prochaine étape était de se prostituer. À mon sens, ils mettaient l’homosexualité dans le même panier que toutes les autres « infractions sexuelles » – vêtements impudiques, décolletés, maillots de bain étriqués, tout ce qu’ils considéraient comme étant immoral. La masturbation ? Il va sans dire que le KKK en était horrifié.

Deborah Douglas est sur Twitter.