Marathon man : l’histoire du Français qui fait le tour du monde en courant
Toutes les photos sont publiées avec l’aimable autorisation de Serge Girard

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Marathon man : l’histoire du Français qui fait le tour du monde en courant

À raison de plus de soixante kilomètres par jour, Serge Girard, 63 ans, espère battre le record de la plus longue distance parcourue à pied.

« Si j'avais dû prendre un pari, j'aurais misé sur la victoire de Donald Trump aux Présidentielles américaines. En traversant tous les États de l'Amérique la plus profonde, je peux vous dire que j'en ai vu des affiches pro-Trump. J'avais dit à mon fils "Tu verras, Trump sera élu." Et ça n'a pas loupé. Je crois que l'Amérique profonde est encore trop "macho" pour élire une femme à la Maison Blanche  », estime Serge Girard, qui s'accommode du décalage horaire pour me répondre au téléphone.

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Car si cet homme de 63 ans traverse quatre continents pour effectuer son tour du monde, il aura passé six mois – entre mars et août 2016 –  à traverser les États-Unis du sud au nord, sillonnant au pas de course les États désindustrialisés de la « Rust Belt », qui ont largement donné leurs suffrages à Donald Trump. De la vallée de la Salinas au Nebraska post-industriel, Serge Girard ne s'est pas lancé son défi de tour du monde uniquement pour le plaisir de courir sans s'arrêter. L'un de ses objectifs est de prendre le pouls d'un monde qui, selon lui,  « est en train de changer ». Et rien de tel que de courir plus de soixante kilomètres par jour, en évitant soigneusement les grandes métropoles urbaines, pour se rendre compte de ces changements.

Et des kilomètres, Serge Girard en avale à la pelle. Parti le 31 janvier 2016 de Paris, il compte effectuer plus de 25 000 bornes en environ 400 jours. Pour accomplir son tour du monde, cet ancien conseiller financier n'a laissé aucune place au hasard. Logistique, parcours, matériel : il a tout prévu. Après une première étape entre la capitale française et Lisbonne, il traverse l'Atlantique en avion, avant de remonter les États-Unis de Miami à Anchorage, en Alaska, sur une distance de plus de 11 000 kilomètres. Serge Girard avait alors croisé sur sa route des panthères et des crocodiles, comme il me le confiait en mars dernier. Il poursuit son trajet en passant par Hawaï, puis les îles Fidji, avant de parcourir la Nouvelle-Zélande, et l'Australie. Après avoir pris l'avion entre Perth et l'Afrique du Sud  – où il se trouve actuellement, près d'un an après son départ –, il ralliera la Namibie, d'où il rejoindra la Turquie pour le dernier tronçon de son périple, qui le ramènera à Paris. Son arrivée est prévue en mars ou avril 2017.

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S'il tient la cadence de son projet – pour le moment, il est en avance sur son programme – Serge Girard sera détenteur du record de la plus longue distance parcourue à pied autour du monde, pour le moment détenu par l'Australien Tom Deniss, qui avait parcouru 26 232 km en 622 jours. « Battre ce record est, en réalité, un prétexte pour mener une vie de nomade. Bouger tous les jours, ne jamais être au même endroit, ça empêche la routine de s'installer. Parcourir le monde à pied, c'est la meilleure façon que j'ai trouvée pour mener la vie dont je rêve », raconte-t-il.

Et la vie dont Serge Girard rêve n'a rien de bien compliqué : lacer ses chaussures tôt le matin, courir 70 kilomètres, dîner un plat de pâtes, se coucher, et recommencer le lendemain. C'est aussi simple que ça. Une routine tout sauf ennuyeuse. « Bien sûr, il y a des moments où lorsque vous entendez la pluie taper contre les volets à 4h du matin, et que vous vous apprêtez à partir pour dix heures de course, vous pouvez vous demander pourquoi vous faîtes ça. Mais une fois parti, on se dit qu'on a bien fait. La grande chance que j'ai, c'est d'avoir choisi mes propres contraintes. Dans tout métier, une routine peut s'installer. Mais moi j'ai la chance d'être dans des endroits différents chaque jour, je ne vois pas comment je pourrais me plaindre », s'amuse-t-il. Autrement dit : il prend son pied. Ce tour du monde est homologué par une balise GPS, qui permet de voir en temps réel l'avancée de celui qui se considère comme « tout sauf sportif de haut niveau », malgré ses aptitudes physiques hors du commun et ses références passées. Il est, en effet, déjà détenteur du record de la plus longue distance parcourue en un an, avec la bagatelle de 27 000 kilomètres au compteur.

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Les mauvaises langues estimeront qu'il n'avance pas beaucoup plus vite qu'un randonneur aguerri, à environ 8 ou 9 kilomètres à l'heure. Mais d'autres répondront que s'autoriser seulement une vingtaine de jours de repos – transferts en avion compris -  en une année de course quasi-ininterrompue relève de la folie furieuse.

« Aux Îles Fidji, les gens que j'ai croisés sur le bord de ma route m'ont dit que j'étais un coureur de très longues distances, et c'est une expression qui me plaît bien. Cela n'aurait aucun sens de me comparer à un marathonien par exemple. Il aurait l'impression de marcher en allant au même rythme que moi. Ce sont deux disciplines très différentes », concède Serge Girard, qui estime que son road-trip est avant tout une expérience intérieure. Il poursuit : « Il y a quelque chose de fascinant à faire bouger son corps sur d'aussi longues distances et aussi longtemps. Il n'y a pas un seul moment où je ne pense à rien, où je m'ennuie sur la route. Ce type d'effort fait fonctionner le cerveau de manière très étonnante. »

S'il se laisse parfois aller à contempler les paysages lunaires de la Nouvelle-Zélande ou réfléchit sur l'intégration des Aborigènes australiens qui « ne fonctionne pas », celui qui arbore un tatouage de l'Australie sur le mollet droit profite de ses moments de solitude volontaire pour prévoir les étapes à venir. Son tour du monde a été soigneusement préparé à l'avance. Chaque étape, chaque kilomètre a été pensé en amont. Avant chaque journée de course, il prévoit un certain nombre de points de ravitaillements. Serge Girard est, en effet, accompagné par ses proches, qui se relaient dans une voiture suiveuse pour l'assister en cas de problème.

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Mais si Serge Girard aime à tout prévoir à l'avance, c'est parce qu'il sait que sur d'aussi longues distances, l'inconnu peut vite pointer le bout de son nez. « Lors de ma traversée de l'Alaska, je peux vous dire que je ne faisais pas le malin. J'y suis passé en pleine saison des ours. J'ai croisé beaucoup de femelles avec leurs petits. J'ai donc passé 2 000 kilomètres à courir avec des bombes à ours. J'avais aussi un sifflet pour prévenir les suiveurs, au cas où. Mais quand un ours vous tombe dessus à 50 km/h, même si vous avez du renfort à deux cent mètres de là, c'est déjà trop tard. L'Alaska c'est le moment où j'ai eu le plus de frayeurs. Parfois, j'ai eu vraiment peur », raconte Girard, qui commence à s'autoriser à en rire avec le recul.

L'Australie, dont il a récemment effectué la traversée d'est en ouest, est certes moins risquée, mais pose d'autres problèmes pour courir dix heures en toute sérénité. C'est le thermomètre qui inquiète cette fois le Marathon Man du XXIe siècle : « Je commence à courir aux alentours de 5h45 du matin actuellement, car c'est trop dangereux de courir la nuit, en raison des serpents qui peuvent se cacher dans les fourrés. Mais il fait très rapidement 50°C, ce qui nous change des 2°C de l'Alaska. »

Une situation problématique – même pour un athlète aguerri. Il a donc mis en place un système de ravitaillement tous les quatre kilomètres, pour prévenir toute déshydratation. Mais les chocs thermiques subits par Serge Girard ont laissé des traces. « J'ai dû prendre quelques jours de repos après être arrivé en Australie, la chaleur, le décalage horaire et le dénivelé important en Océanie m'ont valu un coup de fatigue ». Depuis son départ, il a avalé un dénivelé positif de plus de 150 000 mètres, soit environ 17 ascensions de l'Everest.

Sur certaines étapes, il est accompagné par un caméraman, dont l'objectif est de réaliser un documentaire. Ce dernier servira de base à une trentaine de conférences, que Serge Girard souhaite donner une fois son périple bouclé. Un moyen comme un autre de continuer à ne pas rester statique, même une fois de retour de France. D'ici son retour définitif en mars, Serge Girard aura parcouru quelque 8 000 bornes supplémentaires et usé une vingtaine de paires de chaussures. « Le tout, c'est de pouvoir rentrer avant les élections de mai 2017, explique-t-il. J'aime mon pays, même si j'aurais toujours envie d'aller courir quelque part ailleurs. J'appréhende un peu mon retour, mais mes proches me manquent. Et c'est très important pour moi d'être présent pour les élections. Nous sommes dans une époque où la vie politique change vraiment, et ce n'est pas parce que je suis loin que je ne vois pas ce changement s'opérer ». Et ce n'est pas sa traversée de l'Amérique de Donald Trump qui lui fera penser le contraire.