Formé à Sydney à la fin des années 70, Severed Heads est un groupe pionnier dans l’utilisation des boucles, des cassettes et des synthétiseurs, ce qui lui a valu longtemps une place de leader au sein du mouvement industriel, terme que le leader du groupe, Tom Ellard, ne peut plus voir en pâture. Il lui préfère désormais le terme disco, aussi bizarre que cela puisse paraître. C’est vrai qu’en plus de 30 ans d’activité et autant d’albums, le groupe australien a donné dans tous les styles qui mêlaient expérimental et électronique, mettant surtout un point d’orgue à aborder la musique différemment, que ce soit par le live ou l’utilisation de la vidéo.
Parallèlement aux rééditions de leurs deux albums les plus importants (Since The Accident et City Slab Horror) sur Medical Records l’année dernière, ainsi que celle du premier album solo de Tom Ellard, 80’s Cheesecake, sur Dark Entries, le trublion de l’anti-rock continue de faire de la musique en solo et vient de sortir un nouvel album sur bandcamp, Rhine, où il a tenu à clarifier tout de suite les choses : « c’est ce que je fais pour me marrer, détendez-vous direct. » Le type est toujours aussi caustique et c’était le client parfait pour un passage en revue du patrimoine musical australien de ces 40 dernières années.
Videos by VICE
Noisey : Tu étais fan de ces groupes quand t’étais ado ? J’ai lu que Richard Fielding avait quitté Severed Heads parce que c’était devenu « trop rock’n’roll ». Je croyais pourtant que vous étiez le groupe anti-rock par excellence !
Tom Ellard : AC/DC est un groupe de drone écossais qui joue de la guitare comme si c’était de la cornemuse. C’est clairement évident si tu y fais attention. Je ne peux pas m’empêcher d’aimer un groupe qui subvertit à ce point les guitares, même s’ils n’en sont pas conscients. À un moment, on nous avait demandé (pour d’obscures raisons) de faire une version électronique des meilleurs morceaux de Rose Tattoo. J’ai toujours le CD du label quelque part mais le truc n’est jamais sorti. On avait enregistré « Bad Boy For Love ». Et personne ne l’entendra jamais.
Vous étiez excités quand le punk a déboulé en Australie ? Quelles étaient les différences majeures entre les groupes anglo-saxons et australiens ?
Radio Birdman faisaient du Detroit Rock en fait, comme Iggy & The Stooges. Le post-punk consistait à bouter tout le rock d’influence Détroit hors de Sydney, et Dieu merci on a réussi. Il y a eu quelques groupes géniaux et hilarants de glam rock avant eux, mais le pub rock de la fin des années 70 n’était finalement que du putain de rock n’roll. Comme le fait de manger trop de viande rouge. Le post-punk était souvent rebaptisé « Inner City Sound » ici, parce qu’il était pratiqué par tous les gens qui quittaient les suburbs, tous les autistes, les pédés et les pervers qui n’étaient bons à rien d’autre. Contrairement au punk qui est arrivé sur catalogue, c’était un truc individualiste. L’Australie avait son propre son, qui provenait de cette petite tribu de gens complètement isolés du monde. J’étais juste un putain d’abruti d’autiste avec un clavier.
Severed Heads était l’un des seuls groupes industriel et électronique d’Australie au début des années 80… avec SPK. Dis m’en plus sur eux. Vous les fréquentiez ?
On les connaissait, socialement parlant (tous les gens qui évoluaient dans l’underground se connaissaient de toute façon) et on a eu quelques échanges, même si nous, on n’a jamais été « industriel » et bien moins dans l’idéologie qu’eux. Partager la scène ou de l’équipement, c’était le lot habituel, ça n’allait pas plus loin que ça. J’ai utilisé leur lecteur cassettes, ils ont utilisé notre table de mixage, etc. Quand ils ont opté pour la pop un peu plus tard, l’implosion a été fulgurante, parce qu’ils étaient toujours à fond dans ce qu’ils faisaient. Nous, on naviguait entre plusieurs genres. Ils ne pouvaient pas vraiment nous cerner, et je pense qu’ils s’en foutaient un peu de toute façon. Plus tard, je les ai aidé à choper un contrat d’album avec Nettwerk, mais ce sont surtout leurs bandes-son qui ont tout changé, je ne sais pas du tout où Graeme [Revell, leader de SPK] en est aujourd’hui.
Est-ce que le matériel que tu utilisais à l’époque était un facteur créatif important ?
Oui, il y a eu une époque où le matériel était crucial, où des choses n’avaient encore jamais été tentées, où tu pouvais te faire défoncer parce que tu jouais de tel instrument, où tu n’étais pas autorisé à utiliser une P.A. Et faire de la noise était une expérience plutôt choquante pour le public, ça lui a fait repenser la musique. Mais tout ça, c’est de la nostalgie, et les instruments n’ont plus aucune importance aujourd’hui. Maintenant, la musique doit être attaquée avec un angle différent (pour moi, c’est au niveau visuel que ça se passe) – ou tout simplement être appréciée pour ce qu’elle est, sans se compliquer l’existence.
Ca ne te gonfle pas ces louanges continuelles envers Nick Cave ? Tu l’as déjà rencontré ? Les Hunters & Collectors étaient meilleurs que Birthday Party, non ?
The Birthday Party avaient un bon single (j’aimais bien « Mr. Clarinet »). J’ai lu plus tard une interview de Saint-Nick où il se définissait lui-même comme un « consommateur immaculé », ça ressemblait à une bonne blague, mais j’imagine que ça n’en est pas une. Hunters & Collectors étaient plutôt bons ouais, mais ils ont aussi eu la chance d’être là au bon endroit, au bon moment. Je n’ai pas rencontré beaucoup de ces types, ils étaient trop immaculés j’imagine.
Icehouse étaient-ils les INXS avant INXS ?
Icehouse étaient plus dans un délire école d’art. INXS étaient plus football. INXS était un groupe qui jouait dans des pubs, chaque semaine, d’un bout du pays à l’autre. Icehouse, eux, enregistraient des opéras rock gênants, Dieu les garde. Si INXS s’est un jour mis à la new wave, c’était clairement pour choper des meufs.
Beds Are Burning est considéré comme « le meilleur album australien de tous les temps ». Ton avis là-dessus ?
Un jour, lors d’une émission télé, on m’a interviewé juste avant Peter Garrett [chanteur de Midnight Oil]. Quand je suis sorti du plateau, lui entrait, et j’ai pu constater en vrai qu’il faisait à peu près 5 mètres de haut et un centimètre de diamètre. Aussitôt après, ils ont viré le producteur et n’ont fait passer que des groupes de rock dans l’émission. Un mec que je connais avait fait un dessin avec Peter Garrett, moi-même et Iva Davies [leader de Icehouse] par ordre de grandeur. Je ne sais pas exactement ce que tout ça prouvait mais c’est sûrement la base d’une science occulte.
À un moment de ta carrière, t’as puisé ton inspiration dans la pop mainstream ?
Oui, mais pas du côté de Kylie. Il n’y a rien à se mettre sous la dent chez elle. C’est un des cas où je préfère rencontrer l’orgue de barbarie que le singe. Tu me suis ? En fait, je pense que Kylie serait placée juste entre moi et Iva Davies sur le fameux dessin de mon pote.
Bon, Severed Heads est définitivement mort ou pas ?
Tout le monde adore les artistes morts. Tu peux les collectionner et ne rien te faire spoiler, le groupe ne risque pas de sortir plus de disques. Ils restent tous bien rangés le long de tes vieux souvenirs. Personne ne veut vraiment de nous vivants, ce sont des faux-semblants On a donné un paquet de concerts d’adieux parce que ça représentait de bonnes liasses de cash, mais ensuite, on a fait la promesse à Gary Numan de ne jamais remonter sur scène [Severed Heads a fait la première partie de Gary Numan lors de sa tournée australienne en 2011] , alors c’est bel et bien fini. Si quelqu’un nous appelle, je lui répondrai la chose suivante : « Non, Gary serait contre ».
Tu vis toujours à Sydney d’ailleurs ?
Tous les gens qui sont encore vivants vivent à Siyney, tous ceux qui sont morts ont déménagé ailleurs.
Parle-moi de ces rééditions sur Medical Records.
Après Virgin, EMI, Sony, etc, j’ai constamment refusé de traiter avec les labels, puis je me suis rendu compte que ce refus était une autre façon de collaborer avec eux, et que finalement, il valait mieux les laisser faire. J’ai travaillé avec Medical parce que, a) ils utilisent le mot disco et b) ils semblent être à des années lumières des Goths, même s’il y a toujours un goth qui sommeille en eux. Puis il y a aussi eu Dark Entries qui m’ont contacté et qui étaient en colère parce que je leur avais dit non (une réaction assez goth finalement). Comme je ne supporte pas de voir des gens chouiner, je leur en ai filé un peu aussi. Maintenant, il y a des tas de labels de partout qui me contactent et qui marchandent, ça me rappelle à chaque fois pourquoi je ne bosse plus avec eux.
Tu projettes de ressortir tous vos disques ou il y en a que tu ne ressortiras jamais ?
On a commencé par vendre nos propres disques en 1979, et à nouveau en 1998, on pressait nos propres CD. Certains avaient des covers spéciales, livrés par exemple dans des boîtes sensées conserver des échantillons radioactifs. On a quasiment tout fait nous-mêmes durant l’existence du groupe, et des tas de majors ou de labels moins majeurs sont venus et repartis. Donc la musique de Severed Heads a TOUJOURS été plus ou moins disponible. Maintenant, tu peux tout avoir sur bandcamp. Est-ce que les labels veulent rééditer des trucs en particulier ? J’en sais rien. Tout le monde est terrifié à l’idée de vendre un truc sorti après 1986, ça doit être à cette période que les démons de l’esprit ont attaqué ou je ne sais pas quoi. Un label qui s’aventurerait à vendre un disque conçu après cette époque serait extrêmement couillu.
Je ressortirais quasiment tout mais je dois éditer quelques trucs avant.
Et sinon, je pense que mon meilleur album est Return To Barbara Island de 2010. Il a été téléchargé des milliers de fois. Les trucs sortis en 1980 et quelques sont juste des vieux machins.
Dark Entries a aussi ressorti ton premier album solo de 1982, 80’s Cheesecake. Tu peux m’en parler ?
À l’époque, je venais juste de commencer à bosser avec Garry Bradbury [membre éminent de Severed Heads de 1981 à 1985] et il apportait plein de nouvelles idées et en faisait beaucoup pour le groupe, ce qui a fini par déboucher sur Blubberknife. J’avais aussi besoin de progresser tout seul, à mon niveau, et c’est ce qui s’est passé entre les deux. J’avais fait un LP qui s’appelait Clean, qui était correct, mais il y avait tellement d’autres sons à apprendre. Copier mes albums sur cassette signifiait que ça ne causait pas de tort un grand monde si je me plantais – les gens pouvaient simplement recopier autre chose par dessus mon album. Je crois que ces morceaux de Cheesecake étaient nécessaires pour faire sortir Severed Heads du ghetto de la musique industrielle, de toute façon, aucun d’entre nous ne voulait continuer à y rester. Je suis très surpris que ce truc circule encore. Ce n’était pas du tout le but.
Severed Heads est également célèbre pour ses vidéos abstraites et élaborées, surtout celles faites avec Stephen Jones. Vous étiez un des premiers exemples de « groupe multimédia » ?
Non, il y avait un tas de groupes à cette période qui voulaient rendre leurs lives plus visuels, et des tas de groupes qui ont bossé avec des films et des slides avant ça – comme le Velvet Underground. On était assez ignorants – on matait beaucoup de films – mais en ce qui concernait la « présence scénique », on partait de zéro. La plupart de ces vidéos ont l’air débiles et maladroites aujourd’hui, mais l’intention était bonne et c’est ce qu’il les rendaient cool.
T’es allé voir Kraftwerk à l’Opera House de Sydney en 2013 ?
Kraftwerk ont fait de très bonnes choses à leur époque mais maintenant, on dirait un manège de Disneyland. Ils ont trop peur d’écrire de nouveaux morceaux, et c’est vraiment triste pour eux. J’imagine qu’ils se font un paquet de blé et se sont fait construire de superbes saunas. Ralf [Hutter, leader de Kraftwerk en 2015] adore le sauna. Je les utilise souvent comme l’exemple de ce qui arrive quand tu refuses de continuer à lutter. Mieux vaut être mort en fait. Ou essayer quelque chose de différent. Moi j’ai fait un jeu vidéo. C’est déjà vieux, c’était du boulot, un travail relativement bizarre.
Tu écoutes quoi aujourd’hui ?
En ce moment, je suis juste content d’écouter un peu de tout. J’aime beaucoup les vieux trucs jazz des années 20. C’est fou comme ces gens avaient l’air heureux de brailler. Ecoute ça et ça.
Et Iggy Azalea ?
Tout dépend de sa taille par rapport à Iva Davies.
Rod Glacial aimerait être aussi caustique que Tom sur Twitter.