Le 25 octobre, sortait la troisième saison de Black Mirror, sur Netflix. Evidemment, fans et aficionados de la série se sont plantés devant l’écran pour binge watcher cette saison tant attendue. Chaque épisode déroule comme un thriller futuriste mais prend rapidement l’air d’un documentaire, un peu trop réel. Assez pour qu’un malaise profond s’installe au fond de chacun de nous avec cette pensée tenace et entêtante : et si c’était vrai ?
L’épisode trois, Shut Up and Dance !, nous emmène dans le monde impitoyable des hackers et du cyber harcélement. Kenny, 20 ans, se masturbe devant du porno sans savoir que des pirates le filment via sa webcam ; peu après, ceux-ci menacent de mettre la vidéo en ligne s’il n’obéit pas à leurs ordres. Glaçant ? Oui, car tout le monde mate du porno, et le faire en navigation privée ne change pas grand-chose. Il est tout à fait possible que vos agissements masturbatoires soient enregistrés quelque part. Et sans trop spoiler (quoique !), Kenny, comme les autres personnages de cet épisode, verra ses plus profonds secrets dévoilés au grand jour, après avoir été poussé dans ses derniers retranchements.
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Ça vous paraît encore être de la fiction ? Pourtant, la prophétie black mirroresque semble se réaliser plus tôt que prévu. En Angleterre, où la série a pris naissance, des cas similaires ont déjà été observés, comme le rapporte la National Crime Agency. En 2015, quatre hommes anglais se sont donnés la mort après avoir été victimes de « sextorsion ». Le mode opératoire des hackers est vieux comme le monde : Ils se font passer pour des meufs, obtiennent de leurs victimes de faire des cochonneries en ligne, puis les font chanter. Les quatre mecs qui se sont donnés la mort n’ont, selon Martin Hewitt, assistant du commissaire de la Metropolitain Police, « pas trouvé d’autre échappatoire que le suicide ».
Cette nouvelle forme de harcèlement en ligne désespère la NCA, qui a mis en place une campagne de prévention d’urgence contre la « sextorsion », l’extorsion pornographique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le « chantage à la webcam » a touché 864 hommes en 2016, contre 385 en 2015. Si les femmes sont plus souvent victimes du harcèlement scolaire ou du harcèlement de rue, ce sont les hommes qui sont au cœur de ce nouveau genre de chantage. Une majorité ont entre 21 et 30 ans mais les pirates n’hésitent pas à s’attaquer aux plus faibles, comprenez les jeunes adolescents et les seniors. C’est le cas d’un anglais de 60 ans qui a raconté au Guardian que son calvaire ne connaissait pas de fin : « Je me réveille chaque matin et je ne sais pas si cette vidéo existe encore ou pas. »
Pour se faire des thunes, les pirates utilisent un procédé assez proche de ce que les journalistes de M6 aiment bien appeler « l’arnaque à l’ivoirienne » : faire du chantage et se faire envoyer un Western Union bien juteux. Au Maroc, aux Philippines ou en Côte d’Ivoire, sur Facebook, Skype ou même LinkedIn, tous les moyens sont bons pour le cyber-harcèlement sexuel. Quarante arrestations ont déjà été effectuées cette année aux Philippines, rappelle le Guardian. Si les personnages de Black Mirror se plient aux menaces des hackers et refusent de se tourner vers les forces de police, la NCA conseille plutôt aux victimes de se faire aider. « Ne paniquez pas, ne payez pas, ne communiquez pas et gardez les preuves », préconisent donc les autorités. Mais difficile de s’en sortir quand la honte et la pression sont trop fortes. Pour Roy Sinclair, de la NCA, c’est d’ailleurs même le mécanisme sur lequel s’appuient les maitres-chanteurs : « les victimes ont honte ou se sentent embarrassées, et les criminels s’appuient sur cette réaction pour que leur arnaque fonctionne. »
Ronan Hughes, 17 ans, lui, n’a pas supporté le chantage de ses harceleurs et s’est foutu en l’air, en Irlande du Nord, après avoir été « harcelé sans cesse » par un gang nigérian. Il avait envoyé des photos dénudéesde lui, pensant les adresser à une fille rencontrée en ligne. Les pirates lui demandaient 3 000£ de rançon, faut de quoi ils posteraient les clichés sur tous les profils Facebook de ses amis.
Le filtre de la fiction de Black Mirror apparaît désormais aussi désuet qu’un filtre Instagram. La série nous fait douter en permanence de nos certitudes et à raison. Car plus que jamais, la dystopie de la série nous explose à la gueule. Plus qu’une prophétie, bien plus proche que la série ne le laisse entendre, c’est en train de se passer, là, maintenant, pendant que vous lisez ces lignes.