Voici Shane, mon pote collecteur de métal. Photos : Alex Sturrock.
Si l’on met de côté les mecs qui rôdent près de vous sur les voies ferrées en vociférant des insanités, le fait de collecter des morceaux de ferraille pour vivre est un truc – presque – romantique. Tandis que les chances de décrocher un job stable dégringolent chaque jour que Dieu fait, le prix du métal, de son côté, monte en flèche, fournissant une source de revenus potentielle à tous ceux prêts à aller en choper dans les décharges des villes. Si vous ne pouvez pas faire face au chômage, ni à un job qui vous emploie seulement 12 heures par semaine en échange de haricots en conserve, peut-être devriez-vous vous y mettre, vous aussi.
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Curieux de découvrir qui étaient ces collecteurs de ferraille de la banlieue de Londres, j’ai convaincu l’un des leurs, Shane, de m’emmener avec lui lors de l’une de ses expéditions quotidiennes.
J’ai rencontré Shane aux alentours de huit heures du matin. Il nous a dit que d’habitude, il préférait commencer tôt, au cas où d’autres « fouilleurs » trouveraient de meilleurs métaux avant lui. Il nous a expliqué qu’il avait atterri dans le business de cuivre après avoir été éboueur dans le district d’Haringey. « Un des chauffeurs m’avait dit de lui filer tous les morceaux de métal que je pouvais. Un jour, on a trouvé un gros panier à linge plein de vieux chargeurs de portable et d’autres trucs du genre. On les a vendus et on s’est fait 10 pounds chacun. C’est comme ça que je me suis mis à ramasser les petits morceaux. Puis j’ai perdu mon boulot et je ne savais pas comment gagner de l’argent. J’ai essayé de m’inscrire au chômage, mais j’avais du mal à me faire à cette situation. Je n’avais rien à faire là-bas.
Du coup, j’ai essayé de me débrouiller seul. Un jour, j’y suis allé et je me suis fait 30 livres d’un coup. Je suis rentré chez moi, j’ai acheté des cigarettes, de la bouffe, un petit verre – ça me suffit, vous voyez ? Je préfère faire ça qu’attendre de l’aide du gouvernement. »
Depuis notre lieu de rendez-vous, dans les environs d’Euston, on a mis le cap sur Hampstead. On a commencé doucement, creusant d’abord cinq ou six bennes à ordures qui ne contenaient que des panneaux de fibre de bois, des numéros du Sunday Sport et des carreaux cassés. Shane s’y est enfoncé jusqu’à la taille et m’a encouragé à le rejoindre. En collectionneur avisé, j’ai ramassé le premier truc brillant sur lequel je suis tombé et l’ai brandi au dessus de ma tête, triomphant. Ma fierté en a pris un coup lorsque Shane m’a informé que les vieilles boîtes de petits pois n’avaient pas beaucoup de valeur.
À force de fouiller le nord-ouest de Londres, notre persévérance a fini par payer. On a trouvé des câbles, plein de câbles – ce que l’on appelle dans le milieu, « l’or de la ferraille » (vous l’aurez compris, il s’agit d’une métaphore ; nous n’avons pas trouvé la moindre trace d’or de toutes nos recherches.)
Shane a sorti les câbles des décombres tel un oiseau affamé dévorant un ver dont les entrailles seraient constituées de cuivre plutôt que de boue à moitié digérée.
Aussi satisfaits qu’on puisse l’être d’avoir trouvé ces câbles, le reste de notre butin était si maigre que le désespoir s’est vite fait sentir. Shane s’est alors mis à plonger de plus en plus intensément dans les bennes et les poubelles, si bien que je me suis demandé si je n’allais pas finir par le perdre.
Le désespoir a fait place à un sentiment de frustration lorsque, à plusieurs reprises, nous avons croisé des appareils électroménagers qui pouvaient représenter un bon prix. Mais malheureusement, Shane, comme quiconque, est incapable de faire tenir une machine à laver sur son guidon de vélo. « Je dois souvent laisser 15 à 20 kilos sur le bord de la route, à défaut de pouvoir les porter – parce que c’est du fer, c’est lourd », m’a-t-il dit, précisant que le cuivre représentait ce qu’il y avait de mieux en termes de poids/valeur. « Il faut avoir un petit fond de caisse. Si tu tombes sur un tas de cuivre au détour d’un building, ils ne vont pas te le filer gratos – il faut payer un verre aux surveillants. »
Shane chante à qui veut l’entendre les louanges de son fidèle vélo, qui lui évite d’avoir à tout porter à la main et le conduit tous les jours jusqu’au centre-ville. À un moment, il a décidé qu’on devait se dépêcher ; je lui ai demandé si l’on avait un plan, ce à quoi il a répondu : « Je vais où le vent me porte. » Un peu plus tard, il m’a avoué que certaines rues étaient remplies de bennes à ordures, dans lesquelles on pouvait retourner d’un jour sur l’autre. C’est en effet moins romantique que de « suivre le vent », mais cela m’a paru un poil plus sensé.
On a fini par toucher le jackpot – un frigo hors d’usage et une télé cassée.
Shane s’est jeté dessus, ramassant les parties les plus précieuses, tel un vautour arrachant la viande d’une carcasse.
Bien que l’activité de Shane le dispense – volontairement – d’allocations, il est néanmoins certain que l’état britannique le hait. « Ils n’aiment pas ce qui ne leur rapporte rien. Ils détestent ça. Ils sont jaloux et essaient de vous mettre des bâtons dans les roues. Ils vous harcèlent pour cinq pounds. Hier, mes amis et moi avons eu affaire à la police. »
En plus des flics et de la mairie londonienne, les emmerdes viennent également des autres collecteurs. « Mes amis et moi avons dû nous battre pour des fenêtres en aluminium l’autre jour. Une femme me les a données et un vieux clochard a essayé de me les braquer. Il m’a vu les trimballer sur la route, y retourner pour en prendre plus, et il a essayé d’en planquer une à l’arrière de son van – du coup, ons’est battus. Mon pote et moi contre son pote et lui. On a gagné, mais ces connards ont bien amoché mon vélo. »
Au bout de quelques heures sur la route, épuisés, on est tombés sur une bonne piste. Le jeune apprenti de Shane – il se fait appeler Tony Montana – a appelé pour nous parler d’un « trésor pour collecteurs », dans un manoir. Tony est originaire du Kosovo ; il m’a expliqué qu’il avait perdu ses frères à la guerre et qu’il essayait depuis de faire ce qu’il pouvait pour s’en sortir, seul, à Londres.
Après avoir fait le plein de métal dans le manoir, et surtout, après huit heures de plongée dans les bennes à ordures de la capitale britannique, le vélo de Shane pliait sous le poids de son butin. Il estime que, sur une semaine, il transporte environ une tonne de métal. Avant d’avoir les yeux plus gros que le ventre, on s’est pointés chez le revendeur de ferraille pour réclamer notre dû.
On a placé notre butin sur les énormes balances et Shane a commencé à marchander, ce qui m’a surpris, car il est plutôt difficile de contredire les chiffres annoncés par une machine. Mais, comme il me l’a expliqué, « si on a un butin conséquent, on peut marchander. Avec 50 kilos d’un certain matériel, on peut demander un bonus de 5 ou 10 pounds sur chaque kilo. Mais si on a que 20 kilos, on ne peut pas. Ils choppent la pile et c’est terminé. »
Entre deux gorgées de Guinness, le manager du chantier a fait ses petites additions. Nous avions tous les yeux braqués sur lui, de vrais rapaces, espérant toucher le gros lot pour nos longs et douloureux efforts. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. Mon butin s’est péniblement élevé à 9,78 livres.
Aussi décevant que cela puisse paraître, Shane affirme que les recettes varient en fonction du jour et que la collecte de ferraille lui rapporte, dans l’ensemble, d’honnêtes revenus. « Je pourrais facilement voler les gens ; ouais, tout le monde peut faire ça. C’est la solution de facilité. Mais en collectant de la ferraille, je n’ai besoin de personne – c’est le sentiment le plus agréable qui soit. Je gagne tout ce que j’ai par moi-même, et peu de gens peuvent en dire autant. »
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