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She Past Away est l’unique groupe de dark wave turc que vous aurez l’occasion de voir en 2017

Bursa, capitale de l’Anatolie, baignée de forêts et de montagnes, ancien siège de l’Empire Ottoman, célèbre pour son Iskender Kebap et quatrième ville de Turquie avec ses 3 millions d’habitants. C’est là-bas qu’est né un des plus importants groupes goth (et peut-être bien le seul) du pays, She Past Away. Depuis dix ans, le duo puis trio puis re-duo s’est fait l’unique chantre national de la dark wave, ce style pointu de musique macabre et synthétique popularisé par des groupes comme Sisters of Mercy et Fields Of Nephilim, eux-mêmes influencés par Bauhaus, un genre ayant trouvé un terreau plus que fertile en Allemagne, bastion des chaussures New Rock et des festivals gothic sur plusieurs jours. Mais She Past Away n’a rien à voir avec une parodie. Preuve en est, le groupe chante dans sa propre langue, a sorti deux excellents albums entre abime et paranoïa, s’occupe lui-même de sa promo et, à l’instar d’Indochine, a même fait une tournée acclamée en Amérique latine. On a voulu vérifier si leur discours était aussi sombre que leur musique.

Noisey : Quand a été créé She Past Away ?
Doruk Öztürkcan : En 2006, quand Volkan Caner (chanteur/guitariste), a commencé à jouer avec notre ancien bassiste, Idris Akbulut (qui nous a quitté en 2015). Je fais partie du groupe en tant que producteur depuis 2009 et je me suis mis aux synthés et aux machines depuis le départ d’Idris. Le groupe a sorti son premier EP après mon arrivé, en 2010, Kasvetli Kutlama, juste en digital. Ca nous a apporté de la visibilité mais on a vraiment décollé après la sortie du LP, Belirdi Gece, en 2012.

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Tous ces disques sont sortis sur un label appelé Remoov. C’est votre propre structure ?
Oui, j’ai lancé Remoov en 2009. J’ai publié pas mal de musiques variées originaires d’Istanbul depuis, surtout en digital, collaborant avec d’autres labels à l’occasion pour des sorties physiques. Gag Tape, sur lequel on a publié la discographie de She Past Away, est également un de mes labels. Je sors uniquement des cassettes. Et uniquement de la musique synthétique. C’est totalement DIY et les productions sont ultra limitées. Le catalogue du label se résume pour l’instant à cinq noms : She Past Away, QUAL, Selofan, Tobias Bernstrup et Lebanon Hanover.

Vous avez eu d’autres groupes avant She Past Away j’imagine ?
Oui, on a chacun eu d’autres projets dans les années 2000. Volkan jouait dans un groupe de metal et de mon côté, j’étais plutôt dans l’electro. Nous n’avions pas vraiment de modèles en tête, ni avant, ni pour She Past Away. On a toujours joué ce qu’on a voulu selon les périodes de notre vie.

Il existe une scène goth ou cold wave dans votre coin, et dans le reste de la Turquie ?
Eh bien non, il n’y a absolument aucun autre groupe cold wave ou goth en Turquie. La scène autour de ce genre est minuscule. Il n’y a aucun lieu qui lui est dédié. Donc de ce côté là, je ne pourrais rien te dire de plus.

Il y a une scène punk quand même ? Je me souviens d’un groupe nommé Rashit qui jouait il y a quelques années…
En effet, le punk existe ou plutôt survit devrais-je dire, tellement le style est quasiment inexistant ici. Evidemment, nous connaissons Rashit, mais ils ont lâché l’affaire il y a quelques temps il me semble. Le heavy metal, le post-rock et le rock anatolien sont des genres relativement développés ici, mais c’est la pop matinée de mélodies turques qui tire toute la couverture.

Vous avez des connexions à Berlin ? C’est une ville qui possède à la fois une scène goth établie et une importante communauté turque.
Les mots « turc » et « goth » ne se marient pas vraiment ensemble, peu importe l’endroit sur la planète. Mais cela dit, on a joué plusieurs fois à Berlin oui, et on a beaucoup aimé à chaque fois.

Vous faites quoi de vos journées à Bursa ?
Déjà, de mon côté je ne sors plus le soir depuis longtemps, c’est une décision personnelle. Aujourd’hui, nous sommes auto-entrepreneurs même si j’ai eu de nombreux boulots différents par le passé. Je travaille aussi en tant que producteur depuis des années, j’ai enregistré et mixé beaucoup d’albums. Je passe donc la plupart de mes journées enfermé dans mon studio.

Ok. Malgré votre nom en anglais, vous avez choisi de chanter dans votre propre langue. Vous parlez de quoi dans vos chansons ?
Tous nos textes sont entièrement écrits par Volkan. Ils évoquent les déceptions, les mauvais rêves, la solitude, etc… Surtout des expériences personnelles ou des thématiques plus générales comme le vide, la religion, la culture mainstream, la politique… On les a tous traduits ici pour ceux que ça intéresse.

Quel est ton morceau préféré de She Past Away ?
Je dirais « Kasvetli Kutlama ». Son atmosphère est très particulière et vraiment hypnotique.

Chanter en turc a t-il été un obstacle au développement du groupe ?
Pas vraiment. On s’est développé naturellement, sans promotion. Et la sauce a vraiment prise hors de nos frontières, très rapidement. On a été réellement surpris de jouer devant une salle pleine lors du festival Wave-Gotik-Treffen à Leipzig en 2013, c’était un de nos premiers concerts en Europe. On ne savait pas que notre LP allait devenir un classique instantané.

Vous avez tourné beaucoup en dix ans ?
Nous n’avons pas compté, mais on dû joué quelque chose comme 200 concerts depuis nos débuts… Notre tournée en Amérique Latine reste notre fait d’armes le plus marquant et intéressant, c’était aussi le plus long en distance parcourue. On a joué dans d’énormes salles, à Buenos Aires, San Tiago, Lima, Mexico City, Guadalajara… Le public était ultra chaud, les gens s’impliquaient vraiment. C’était incroyable.

Le climat politique actuel affecte t-il votre musique ?
Bien sûr, c’est notre carburant. La situation devient de plus en plus déprimante, donc c’est une grosse influence. La Turquie a toujours été une démocratie de façade, où les droits de l’homme ont toujours été bafoués, parfois par l’état lui-même. De loin, ce pays ressemble à un mélange idéal entre l’Orient et l’Occident. En réalité, c’est une véritable zone de guerre au milieu de laquelle chacune des deux tendances essaie de détruire l’autre.

En 2017, qui vous fait le plus flipper, Poutine ou Trump ?
On observe Poutine depuis un bon moment, et même si je ne soutiens pas sa politique, Trump est la personnification de tout ce qui va mal. Et nous allons très bientôt devoir faire face à un nouveau monde, soumis à ses propres règles…

Rod Glacial ne sort plus non plus. Il est sur Twitter.