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« Si le projet était lancé, on pourrait être sur Mars dans 10 ans »

Je ne savais pas qu’il existait une Mars Society australienne jusqu’à ce qu’un attaché de presse me propose d’en interviewer le président. Ça m’a semblé assez incongru vu que l’attaché de presse en question s’occupe normalement de jeux vidéo. Je me suis d’abord dit qu’il s’était recyclé, puis il m’a expliqué son problème. Je ne sais pas vraiment si John Carmack était indisposé, mais pour accompagner la sortie du nouveau Doom, qui se déroule sur Mars, l’éditeur du jeu a convoqué Jon Clarke, responsable australien de la Mars Society. J’ai d’abord trouvé ça con, puis je me suis dit qu’après tout, à défaut de tout me dire sur l’histoire de Doom et de ID Software(par ailleurs très bien raconté dans ce bouquin, le docteur pourrait au moins répondre aux quelques questions que je me pose à propos de Mars depuis des années et que vous vous posez peut-être aussi puisqu’à force de me nourrir de science-fiction mongolienne – la seule qui vaille – je ne vois pas bien ce qu’on a à foutre sur la planète rouge à part se faire démonter par des aliens démoniaques.

Motherboard : Je vous préviens tout de suite docteur, je ne suis pas sûr d’être à la hauteur de votre expertise martienne. Il faudra m’excuser si je vous pose des questions complètement à côté de la plaque…

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Jon Clarke : Pas de problème, je suis sûr que vous savez aussi faire plein de choses que je ne sais pas faire.

Ok, commençons. Vous pouvez nous parler de la Mars Society, parce que jusqu’à ce qu’on me propose de vous interviewer, je ne savais pas qu’il existait un truc pareil. C’est comme un fan club de la planète Mars en gros ?

On peut voir les choses comme ça. La Mars Society est un rassemblement de petites entités indépendantes qui ont un but commun : envoyer des gens sur Mars et faire de Mars une destination viable pour l’humanité. Ça passe par la pédagogie bien sûr, mais aussi par le partage de recherches et d’expériences diverses et le développement de nouvelles technologies. On trouve des Mars Society un peu partout dans le monde, mais la plus grosse se trouve aux Etats-Unis évidemment.

Vous gardez vos travaux pour vous ou vous les partagez avec la NASA ou l’ESA ?

En fait, de nombreux membres de la Mars Society américaine travaillent à la NASA. Nous travaillons aussi de très près avec l’ESA. La Mars Society australienne organise une expédition en Inde cet été – avec un commandant français – et nous compterons parmi nous des employés de la NASA et de l’ESA. Par ailleurs, j’ai participé à une expédition dans notre station de recherche de l’Utah il y a deux ans, et j’ai accueilli de jeunes pilotes français pour qu’ils viennent voir comment ça se passait. C’était un vrai bonheur de bosser avec eux d’ailleurs, ils étaient très sérieux.

Qu’est-ce qui vous a poussé à participer aux travaux de la Mars Society ?

Je suis un enfant d’Apollo. L’espace et l’astronomie m’ont toujours fasciné. C’est resté un vieux rêve parce que j’étais trop nul en maths pour devenir astronome, donc je suis devenu géologue. Mais je gardais ce truc en tête. Puis en 2001, j’ai découvert la Mars Society australienne sur le net et ils cherchaient des gens pour réfléchir à la manière de construire une station de recherche au milieu de l’Australie, où j’avais déjà pas mal bossé. Je me suis dit que c’était dans mes cordes, j’ai postulé, et voilà.

J’ai vu L’Etoffe des Héros quand j’étais gamin, et je me souviens encore de cette séquence en Australie où les aborigènes arrivent à communiquer avec les astronautes avec des braises. Il y a un truc entre eux et les étoiles dans la mythologie locale ?

Pas plus que dans n’importe quel mythologie je dirais. Ils ont même nommé les Pléiades les Sept Sœurs, comme les Grecs, avant même qu’il y ait pu avoir une communication entre eux. Je crois que c’est le scénariste qui a inventé cette séquence, mais un truc est sûr, les aborigènes connaissent très bien la voûte stellaire et ils ont une manière très singulière d’observer le ciel parce qu’ils regardent moins les étoiles que ce qui se passe entre les étoiles.

“Tout ce qu’il nous faut, c’est le désir social et politique d’aller sur Mars”

A votre avis, pourquoi les auteurs de science-fiction se sont tournés vers Mars plutôt que vers d’autres planètes pour écrire leurs histoires d’invasion ? Pourquoi est-ce que je n’ai jamais entendu parler d’invasion jupitérienne ou mercurienne à grande échelle ?

Je dirais que c’est parce que Mars est la seule planète dont on peut très précisément observer la surface à travers un télescope. Jupiter et Vénus sont couvertes de nuages. On peut observer Mars, ses nuages, ses saisons… du coup ça alimente plus facilement l’imagination. Comme on la voit, on peut bien s’imaginer y voyager, et y vivre un tas d’aventures. Y croiser des gens, pacifiques ou hostiles… Du coup, Vénus, Jupiter ou Saturne ne font pas le poids. Et aujourd’hui, plus encore qu’avant, on peut même imaginer y marcher !

Et vous, vous vous y êtes intéressé parce que c’était la planète la plus populaire ou vous entretenez un rapport particulier avec elle ?

Je ne saurais dire. Je crois que j’ai simplement grandi en lisant des trucs qui nous disaient que ce serait la prochaine destination après la lune. C’est comme ça que je m’y suis intéressé en tout cas, parce que comme c’était la destination suivante, c’est aussi la planète qu’on avait le plus étudiée et dont on connaissait le mieux la géologie. Et puis le désert australien ressemble beaucoup à Mars. Je me suis souvent imaginé le traverser en combinaison spatiale, comme si j’étais sur Mars. Forcément, ça crée des liens. Je me suis souvent vu en train de faire de la géologie sur Mars.

Vous avez pu le faire en travaillant sur des Mars Analog Research Stations. Qui est à l’origine de ce projet ?

Ce sont deux scientifiques qui en ont eu l’idée. Pascal Lee et Robert Zubreen, le fondateur de la Mars Society. Ils ont réalisé que ce ne serait pas très difficile de créer des simulations martiennes qui permettraient à certains chercheurs de travailler comme s’ils étaient en situation. Et ça permettrait aussi au public de s’y intéresser de plus près. La première a été construite sur l’île Devon, dans l’arctique canadien. La seconde a été construite dans l’Utah, puis d’autres se sont développées dans le monde. Mais elles sont toujours très difficiles à financer. Les Mexicains sont en train d’en construire une de la taille d’un volcan, qui sera bientôt opérationnelle. Elles nous permettent, en gros, de voir comment nous vivrions et travaillerions sur place. La station de Hawaï accueille des gens pendant 1 an. Cette année, nous allons envoyer la même équipe, dans deux stations différentes, pour recueillir leur expérience sous deux climats différents.

La base de la mission HI-SEAS IV, à Hawaii.

Qui les finance, ces stations ?

La plupart du temps, les gens qui y vont payent les frais de leur poche. Mais la Mars Society reçoit aussi des dons, et certains bénéficient de bourses financées par les agences spatiales qui les envoient.

Et les résultats et conclusions que vous en tirez, elles apparaissent où ensuite ?

Dans des revues le plus souvent. Des revues scientifiques, médicales et d’ingénierie. Tout le monde ne le fait pas, mais c’est tout de même le but. Quoi qu’il en soit, ces expéditions ont donné lieu à de nombreux articles et autres livres. La station de l’Utah a accueilli près de 170 équipes depuis sa création en 2002.

J’ai du mal à croire que ces simulations aient donné lieu à des découvertes probantes. Vous pouvez me contredire ?

Mmmmmh… Certaines équipes qui sont restés 4 mois dans les stations arctiques et désertiques ont travaillé en temps martien. Sur Mars, les jours sont un peu plus longs que les nôtres. Ce n’est pas très facile dans l’Utah parce qu’il fait tellement chaud qu’au milieu de la journée, vous êtes obligé de vous réveiller. Mais dans l’Arctique, vu qu’il fait jour tout le temps, on peut vraiment s’adapter et créer ses propres heures de sommeil sans tenir compte des jours terriens.

Et donc ?

Eh bien ça nous a permis de découvrir que nous pouvions très bien travailler au rythme de Mars sans aucun problème, et c’était une découverte importante. Les stations nous permettent aussi de voir comment nous travaillerons avec des robots.

Et il faut vraiment simuler Mars pour ça ?

Pour travailler avec les robots avec lesquels nous travaillerons sur Mars, oui. Ça nous permet de voir ce que nous pouvons les laisser faire, et les tâches pour lesquelles nous sommes plus efficaces qu’eux avec nos combinaisons. On a compris à cette occasion que les robots fonctionnaient mieux en tant qu’assistants qu’en tant que travailleurs autonomes. Dans l’Utah, nous avons pu tester des outils géophysiques, des radars ou des foreuses que nous pourrons utiliser sur Mars. Et puis, nous pouvons aussi réaliser des études de comportement dans un microcosme. Nous avons découvert à cette occasion que des équipes mixtes travaillaient bien mieux que des équipes intégralement féminines ou masculines.

A propos de robots, d’un point de vue extérieur, toutes les missions martiennes de ces dernières années semblent s’être soldées par un échec, et le grand public est obligé de se demander si tout ça n’est pas un énorme gâchis de temps et d’argent. Je veux dire… c’est la crise quand même…

Je vois ce que vous voulez dire. Mais quoi qu’on en pense, même si ces missions ont l’air vaines, ces dernières années, elles ont été couronnées de succès. Elles nous ont appris plusieurs choses. Souvenez-vous, dans les années 80, tout le monde était terrorisé à l’idée d’un conflit nucléaire. Ce dont on ne se rendait pas compte, c’est que les bombes et les missiles en eux-mêmes étaient probablement moins dangereux que ce qu’on a fini par appeler l’hiver nucléaire. Eh bien toutes les simulations d’hiver nucléaires ont pu être réalisées grâce à l’étude des tempêtes de sable sur Mars. On aurait pu simuler certaines choses nous-mêmes, mais à chaque fois qu’une tempête de sable s’abat sur Mars, la planète entre dans un long hiver, très semblable à ce que serait notre hiver nucléaire. Ce sont ces découvertes qui ont permis aux gouvernements de l’époque de réfléchir un peu à ce qu’ils étaient en train de faire. Donc on peut dire que si on ne vit pas dans un monde post-apocalyptique aujourd’hui, c’est un peu grâce à ce qu’on a trouvé sur Mars.

Vous m’avez convaincu, je dois dire…

Mais ce n’est qu’une des nombreuses applications que nous avons tirées des études de la planète. En voilà une autre : les premiers milliards d’années de notre planète demeurent relativement mystérieux. Les premières formations géologiques en ont effacé toutes traces. C’est pourtant à cette époque que certains événements majeurs se sont déroulés. La formation de l’océan et de l’atmosphère date de cette époque, et nous n’avons aucun moyen de comprendre comment c’est arrivé. Or, ce sont des réponses que nous pourrons probablement trouver sur Mars, qui ressemble en bien des points à la Terre quant à sa formation. Enfin, partir sur Mars nous apprendra à vivre de manière beaucoup plus durable que n’importe où sur terre. Parce qu’il faudra se montrer extrêmement économes lors des premiers voyages, et nous devrons apprendre à recycler au mieux toutes nos ressources. Nous aurons beaucoup à apprendre de notre style de vie sur Mars !

En 2016, il y a encore un espoir de voir un jour un homme marcher sur Mars, ou c’est destiné à rester un rêve d’auteur de SF ?

Il y a beaucoup d’espoir. Les robots peuvent faire beaucoup de choses, mais ils sont encore très limités. Curiosity, qui reste le plus gros robot envoyé sur Mars, a fait moins en 4 ans que ce que 2 astronautes pourraient faire en un jour. On l’a vu avec la mission Apollo sur la lune. Ne serait-ce que pour les prélèvements, que des hommes pourront rapporter sur Terre. Et ils pourront rapporter des témoignages subjectifs de leur expérience, des impressions. Je pense que c’est tout à fait possible d’aller sur Mars, c’est un désir encore très vivace et c’est même nécessaire si on espère un jour voir l’homme se développer au-delà de notre planète. Vous avez peut-être raison… peut-être que c’est un rêve de science-fiction… mais il faut qu’on sache si c’est possible ou non.

Le cratère de Gale, sur Mars. Credit: NASA/JPL-Caltech/ASU/UA.

De votre point de vue, quand est-ce que ça pourrait arriver ?

Très bonne question, tout le monde me la pose, mais franchement, je n’ai pas de réponse. Je sais en revanche que nous avons déjà toute la technologie nécessaire. Qu’elle soit opérationnelle ou encore à l’état de prototype. Tout ce qu’il nous faut, c’est le désir social et politique d’aller sur Mars. Si le projet était lancé, on pourrait y être dans 10 ans. Ça pourrait être dans 20 ans, ou alors pas de notre vivant. Mais au point où nous en sommes, il suffit de le vouloir.

Combien de temps je dois compter pour aller sur Mars ?

Avec la navette la plus rapide aujourd’hui, en moyenne, 5 à 6 mois, en fonction de là où vous voulez vous poser.

Mais est-ce que le grand public ne préfère pas que ça reste un rêve finalement ? Peut-être que la réalité d’un voyage sur Mars emmerde profondément les gens…

C’est un commentaire pertinent, et j’en ai conscience. Mais finalement, c’est un peu ce qui se passe avec n’importe quel voyage. Par exemple, moi, je ne suis jamais allé à Paris. J’ai évidemment des images plein la tête, des fantasmes, et je sais que je serai très déçu le jour où j’irai à Paris.

Ouais, je vous confirme, surtout en ce moment…

Et pourtant, cette normalité que je ressentirai finalement m’offrira probablement plus que ce que je pouvais imaginer. C’est quelque chose qui arrive tout le temps dans la vie. La réalité transcende très souvent l’imagination et je pense que c’est quelque chose que l’on pourra vivre sur Mars. Mars ne regorgera probablement pas des aventures extraordinaires qu’on a pu imaginer jusque-là. Mais sa réalité sensible, qui se traduira dans un rocher ou un grain de sable, nous le fera rapidement oublier.

Quelles sont les dernières nouvelles de Mars qui vous permettent de rester optimiste ?

Ces dernières années, nous avons découvert quelque chose. Jusqu’à il y a 18 mois, nous croyions encore que Mars était un environnement relativement primitif. Ça m’excitait beaucoup en tant que géologue, mais je comprendrais que ça ne vous passionne pas. Il n’y avait pas de trace de granite ou de minéraux plus complexes. Mais ces derniers mois, nous en avons découvert grâce à Curiosity. Nous avons aussi découvert que Mars possédait une activité tectonique. Nous avons donc découvert une complexité que nous ignorions jusque-là, et ça a décuplé mon intérêt !

Il y a un truc qui m’intrigue quand même. Aujourd’hui, je vous parle dans le cadre de la promotion du nouveau Doom. Mais est-ce que le message du jeu, qui rejoint tous les films et les jeux qui nous ont expliqué que Mars était une planète super dangereuse, ne ruine pas un peu votre message prosélyte ? Si c’est pour croiser des démons, je ne veux pas aller sur Mars !

Bah, si je devais croire tout ce que lis sur Paris, ça me couperait aussi toute envie d’y aller ! Mais c’est le genre d’histoire qu’on a envie de lire. On aime les conflits, on aime les tragédies, les grandes histoires qui confrontent des personnages à des obstacles insurmontables. Je crois que la majorité des joueurs de Doom ne croiront pas VRAIMENT qu’il y a des démons sur Mars… en revanche, ça montrera à certains que Mars est une planète sur laquelle on peut aller. Et ça, c’est bien. C’est comme Star Wars. On sait tous que c’est de la science-fiction, mais la saga a inspiré de nombreuses vocations très sérieuses.

Mais pour revenir à une question précédente, est-ce que les gens ne préfèrent pas imaginer que Mars est une planète dangereuse plutôt qu’une terre d’exil potentielle ?

Si vous vous penchez sur l’Histoire, vous verrez que les premiers colons n’étaient pas forcément chauds pour partir aux Etats-Unis ou en Australie. Mais nous avons besoin de ces pèlerins pour nous montrer que c’est faisable. Nous avons besoin de gens, et ils existent, qui seront prêts à tout lâcher pour aller voir ailleurs. A prendre ce risque pour en inspirer d’autres, un peu plus frileux.

D’après vous, il y a de la vie sur Mars ?

De ce qu’on sait, il est possible qu’il y en ait. Nous n’avons pas encore assez de données pour le savoir vraiment. Mais c’est une possibilité qui mérite d’être explorée. Et quelle que soit la réponse, ce sera passionnant de le savoir. Si la réponse est oui, ça voudra dire qu’il y en a probablement d’autre, ailleurs dans l’univers. Si la réponse est non, ça voudra dire que la vie est une chose très rare dans l’univers. Et quelle que soit la réponse, ça nous donnera matière à réflexion. De manière très subjective, je trouverais ça bien plus passionnant s’il y en avait. Maintenant, s’il n’y en a pas, ça simplifiera beaucoup l’exploration. Le bon compromis serait qu’il y ait eu de la vie sur Mars. Parce qu’une vraie biosphère, ce serait l’enfer à gérer. Mais le rêve de mes amis biologistes qui se foutent des fossiles, ce serait de trouver du slime vert sous un caillou.

Et s’il y avait de la vie sur Mars et qu’elle s’avérait être hostile, comment est-ce qu’on devrait réagir à votre avis ?

Pour commencer, si on trouvait de la vie sur Mars, il s’agirait de bactéries. Et elles ne seraient probablement pas hostiles comme vous l’entendez. Elles ne nous attaqueraient pas. Au pire, ce serait une menace ou un risque. On n’aurait pas affaire à une civilisation. En revanche, on ne serait pas à l’abri d’un nouveau type de grippe. Enfin si ces bactéries existent, elles seront tellement adaptées à Mars qu’elles auraient une chance de survie minime sur Terre.

Donc mes petits enfants devront se faire vacciner contre la grippe martienne ? Ça craint…

Non. Je pense que ça n’ira pas plus loin que la grippe espagnole ou la grippe de Hong Kong.

Pas de démons non plus, donc ?

Non, vous pouvez dormir tranquille.

Merci docteur !