Les meurtriers, les violeurs et les criminels ont leur propre site de rencontres

Illustration d’Ethan Tennier-Stuart

En 2011, Dustin Hales a tué sa femme. Il a poignardé à mort la mère de ses trois enfants dans un parc de Dartmouth. Leur petite amie mutuelle assistait à la scène. Hales avait planifié le meurtre. Il a tout avoué après avoir été arrêté.

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Il s’agissait d’une fin tragique pour un triangle amoureux qui avait tourné au vinaigre.

En prison depuis quatre ans, Hales peut désormais retrouver l’amour derrière les barreaux grâce à une plate-forme de correspondance qui s’est transformée en un véritable site de rencontres pour les prisonniers canadiens.

Je lui ai parlé le mois dernier, juste après qu’il a reçu ses deux premiers messages. Hales a été agréablement surpris et n’espère rien de plus pour l’instant – il préfère prendre les choses comme elles viennent.

« Honnêtement, je m’attendais surtout à recevoir des messages de haine, m’a-t-il dit au téléphone. J’ai été étonné que quelqu’un m’écrive et veuille entamer une correspondance avec moi. »

Canadian Inmates Connect compte parmi ses membres les types les plus détestables du Canada – des meurtriers aux violeurs en passant par les proxénètes. L’auteur de la fusillade du Centre Eaton, Christopher Husbands, est inscrit sur le site, tout comme le violeur et tueur Brian Dickson. Jeremiah Valentine, l’assassin de Jane Creba, est également membre. Il rêve de sortir de prison afin d’emmener ses deux fils au parc. « Je recherche une femme de confiance qui ne juge pas un livre à sa couverture », écrit-il sur son profil.

Brett Jones, ancienne étoile montante du hockey ayant frappé à mort sa copine en 2009, est sur Canadian Inmates Connect : « Je n’ai jamais manqué de personnalité, prévient-il. J’accorde beaucoup d’importance aux bonnes manières. »

Luka Magnotta placé en détention à Montréal. Photo de Rex Features

Canadian Inmates Connect a fait les gros titres l’an dernier quand Luka Magnotta, le célèbre « dépeceur de Montréal », s’est créé un profil sur le site afin de trouver son « prince charmant ».

Pour rappel, Magnotta a tué et démembré un homme et a envoyé, par la poste, les morceaux de son corps à divers destinataires. Il a fait l’objet d’une chasse à l’homme internationale. Reconnu coupable de meurtre avec préméditation, il purge actuellement une peine de prison à vie.

Sur le site, certains des mecs prétendent ne chercher que de l’amitié.

John Derek Mills – condamné pour « vol à main armé, tirs sur la police, conduite dangereuse, etc. » – précise qu’il cherche une amie pour lui rappeler ce qui est bien dans ce monde.

Malgré cela, la majorité des prisonniers sont à la recherche de l’amour – amour se matérialisant souvent par des « visites familiales privées ».

Lorsque Melissa Fazzina, 39 ans, a fondé le site après avoir appris le lancement d’un concept similaire aux États-Unis, elle a pensé qu’un service de correspondance pourrait arrondir ses fins de mois.

Au vu de l’évolution du projet en site de rencontres, cette trentenaire a été violemment critiquée par des personnes inquiètes pour la sécurité des soupirants. D’aucuns trouvent offensant que de tels criminels puissent avoir des rencards.

La position de Fazzina est simple. Elle croit fermement que son site permet la réinsertion des détenus en les aidant à tisser des liens avec le monde extérieur. Les personnes travaillant avec les prisonniers tendent à être d’accord quant à l’importance de retisser un lien social.

Garry Glowacki est un ancien délinquant et héroïnomane reconverti dans l’aide aux détenus. Il sait ce que ça fait de purger une peine et de désirer un peu de compagnie. S’il émet des réserves quant au site, il croit au pouvoir du lien.

« Tout ce qui peut créer un sentiment de communauté et d’appartenance après la libération favorise les chances de réinsertion. Souvent, ces mecs n’ont personne quand ils sortent », m’a-t-il précisé.

Mais il rappelle que, parfois, il y a de bonnes raisons à cela. Pour lui, il y a une nette différence entre un programme de correspondance et un site de rencontres. Il exhorte les gens à se méfier d’une possible relation avec un prisonnier.

Une personne peut-elle se voir refuser quelque chose d’aussi fondamental que l’interaction humaine quand elle est derrière les barreaux ? « Dire qu’ils ne méritent pas ceci ou cela reviendrait à nier le fait qu’ils sont des êtres humains », m’a dit Garry.

Catherine Latimer, directrice d’une organisation à but non lucratif qui vient en aide à des détenus, fait écho à cette déclaration : « Les prisonniers ont le droit de communiquer avec des gens. Ils ont le droit d’avoir une famille et des amis à l’extérieur. » Elle comprend cependant qu’un site comme celui-ci en bouleverse plus d’un. « Les victimes sont en droit d’être choqués », ajoute-t-elle.

« Ces mecs-là vont sortir de prison, a ajouté Garry Glowacki. S’ils peuvent sortir en étant soutenu et accompagné, la réinsertion sera possible. De toute façon, cela va se produire avec ou sans le site. »

Le nombre d’inscrits sur Canadian Inmates Connect varie. Début juillet, le site comptait parmi ses membres 160 hommes et une femme – Renee Acoby, qui purge une peine pour séquestration et trafic de cocaïne.

Plus tard dans le mois, une autre femme a fait son apparition : Kowtar Rodol, qui purge une peine pour vol à main armée. Selon son profil, elle cherche à « correspondre avec des hommes dans l’espoir de créer de nouvelles amitiés ». Elle précise la chose suivante : « J’aime tous les animaux, donc n’hésitez pas à m’envoyer une carte avec un chiot mignon, juste histoire de dire bonjour. Si vous souhaitez en savoir plus sur moi et êtes prêt à prendre le temps de m’écrire, je vais attendre avec impatience votre lettre. Rien d’autre n’illumine autant ma journée que de recevoir du courrier. Je suis dans l’attente de votre réponse. Portez-vous bien et souriez. »

Cent soixante personnes ne représentent qu’une goutte d’eau au niveau du Canada. Il y aurait environ 15 000 détenus dans les 43 établissements fédéraux du pays. Si l’on ajoute les établissements provinciaux, le nombre avoisine les 140 000.

Fazzina ne fait pas de distinction entre les criminels. Tant qu’ils peuvent payer les frais annuels de 35 dollars, ils sont les bienvenus. Elle reconnaît que beaucoup sont en prison pour des actes horribles mais elle précise qu’ils viennent tous de milieux très difficiles, avec des enfances traumatisantes.

« J’ai eu l’occasion de me confronter à un grand nombre d’entre eux, m’a-t-elle affirmé. Certains sont pédophiles. Moi, je suis mère de famille. [Mais] écouter leurs récits me permet de comprendre un peu mieux comment ils en sont arrivés à commettre de tels actes. »

Fazzina est consciente que derrière tout crime se cachent de nombreuses victimes mais, tout comme Garry Glowacki, elle est d’avis de respecter les droits les plus basiques des détenus. « Leurs crimes ne devraient pas définir qui ils sont, assène-t-elle. Si vous preniez le temps d’apprendre à les connaître, vous verriez qu’ils sont humains avant tout et qu’ils resteront humains malgré tout. »

Le Service correctionnel du Canada (SCC) n’a pas voulu répondre à notre demande d’interview. Des porte-parole nous ont expliqué qu’il serait « inapproprié de commenter un site tiers » et nous ont envoyé un mail décrivant leur mission. Ils ont également souligné que les détenus n’avaient pas accès à Internet ou aux mails en prison – tous les échanges s’y font par courrier. Les détenus indiquent donc leur adresse sur leur profil.

De son côté, Fazzina estime qu’elle remplit une mission ayant un intérêt public. « Des prisonniers très dangereux se sont enfin calmés, a-t-elle déclaré à VICE. Quelqu’un vient leur rendre visite et ils ne veulent pas tout gâcher. »

Gord Longhi, agent de probation depuis plus de 25 ans, considère cela comme une solution à court terme : « Je suis sûr que ça va aider certains de ces mecs mais j’ai peur que ça mette des femmes en danger. La plupart des mecs incarcérés ont de sérieux problèmes à régler. Ce site ne fait que les distraire. »

Il marque un point. En parcourant les profils, on remarque que la plupart de ces détenus sont extrêmement maniaques, et franchement bizarres. Mark Moore, qui prétend avoir été condamné à tort pour quatre homicides, est à la recherche d’une « Miss Univers âgée de 22 à 40 ans, en bonne santé et désireuse de rencontrer une star du rap. La race n’est pas un problème tant qu’elle a des fesses bien rebondies. »

Lee Reynard, incarcéré pour possession de contenus pédopornographiques, recherche lui aussi l’amour. Du haut de son mètre 80, il précise qu’il aimerait une femme plus petite que lui et âgée de 18 à 35 ans afin de « développer une amitié ou éventuellement une relation plus longue ».

Comme c’est aux membres de divulguer leurs crimes, certains profils sont encore un peu vagues. Celui de Jack Kelley, trentenaire à la musculature imposante, indique qu’il est en prison pour « ACCUSATIONS / CONDAMNATIONS EN ATTENTE (TRUCS SÉRIEUX) ».

Charlie Gagne, lui, n’est plus inscrit sur le site. Après 14 années passées en prison, le tueur à gages de Montréal pourra sortir en septembre. Sa femme est décédée d’un cancer pendant qu’il était derrière les barreaux, suite à quoi ce quarantenaire est tombé dans la solitude la plus extrême.

Gagne a rejoint le site sur un coup de tête. Aujourd’hui, il nous confie être sur le point de se remarier. Sa partenaire – qui n’a pas voulu être interviewée – lui a d’abord écrit par curiosité. Elle ne s’attendait pas à tomber amoureuse d’un forçat.

« Je me réveille chaque jour avec le sourire, m’a-t-il dit. Je ne suis plus aussi triste qu’avant. Je me demande pourquoi elle m’aime. Je suis un menteur, un manipulateur, j’ai tué des gens. Mais elle voit quelque chose en moi. Et je suis prêt à traverser les océans pour cette femme. Elle a certaines valeurs que je respecte et qui me poussent à devenir meilleur. »

Fazzina et certains détenus font valoir que, par certains aspects, Canadian Inmates Connect est plus sûr que d’autres sites de rencontres. Au moins, sur ce site-là, vous ne pouvez pas dissimuler grand-chose. Cependant, comme c’est aux membres de divulguer leurs crimes, certains profils sont encore un peu vagues. Celui de Jack Kelley, trentenaire à la musculature imposante, indique qu’il est en prison pour « ACCUSATIONS / CONDAMNATIONS EN ATTENTE (TRUCS SÉRIEUX) ».

Catherine Latimer ne pensait pas qu’un site de rencontres comprenant exclusivement des détenus pourrait susciter l’intérêt de quelqu’un. « Les [détenus] ont beau avoir des qualités, qui pourrait bien éprouver de l’attirance pour eux ? », se demandait-elle. Fazzina admet qu’elle partageait cette opinion.

« Bien sûr, des femmes écrivent parce qu’elles ont beaucoup en commun avec leur mode de vie », dit-elle, tout en précisant qu’elle reçoit des lettres de personnes croyantes, d’étudiants en plein projet de recherche ou tout simplement de curieux.

Frankie Dorsey – délinquant et proxénète récidiviste – est en prison depuis les années 1980. Il admet que certaines des femmes qui le contactent ont clairement des problèmes. Il a même dû leur demander de ne plus lui écrire.

Pour Hales, la prison n’est que solitude et isolement. Il a été coupé de sa famille et de ses amis. Il comprend que l’assassinat de sa femme a été un crime horrible.

« Ça a été une attaque très brutale, avoue-t-il. J’essaie de faire tout ce que je peux pour laisser ça derrière moi. J’espère que les femmes qui se rendent sur ce site peuvent le constater. »

J’ai demandé à Melissa Fazzina si elle serait prête à fréquenter un prisonnier après des années passées à jouer l’intermédiaire. « Je dis toujours qu’il ne faut jamais dire jamais, avance-t-elle. Vous apprenez à connaître ces mecs et à les voir sous un aspect différent. Mais ils n’envisagent rien avec moi. Beaucoup d’entre eux sont tout simplement terrifiés [par moi]. »

Certains sont quand même devenus ses amis. Parmi eux, Frankie Dorsey. Lorsque son père est décédé il y a quelques années, Fazzina est allée à son enterrement. C’était leur première rencontre en personne.

« J’ai regardé toutes les personnes présentes dans la salle, se souvient Dorsey. Il n’y avait que des macs, des prostituées, des gangsters, des voleurs. Ce n’étaient pas mes vrais amis. Melissa m’a montré que l’on pouvait rencontrer des gens différents et que, si jamais je sortais, ce serait le genre de personnes dont j’aurais besoin. »

Dorsey assume la responsabilité de ses crimes. Il ne sortira probablement jamais de prison et il le sait, mais il ne veut pas renoncer à l’espoir – celui de sortir de prison, de devenir meilleur et de trouver l’amour.

De son côté, Charlie Gagne résume sa situation personnelle : « Que vous dire d’autre ? Je ne suis pas le prince charmant. Je suis qui je suis. »

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