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Démerdez-vous avec ça : Slipknot est à nouveau n°1 des ventes aux USA

Chaque méga-groupe possède ses méga-fans. Justin Bieber a ses « Beliebers », Lady Gaga a ses « Monsters » et Slipknot a ses « Maggots », qui sont des sortes de « Monsters » améliorés, qui préferent se coller des mandales et se faire cracher dessus plutôt que de porter des lunettes « insolites » pour bien faire comprendre au monde combien ils sont « intenses » et « différents ». En termes purement commerciaux, les méga-fans ont un rôle crucial : ils forment en effet le tiers le plus important des consommateurs. Quand un méga-fan proclame son « amour » pour quelque chose, ça n’a rien à voir avec l’amour tel que vous ou moi le connaissons, ça signifie qu’il considère un slip jamais lavé de Neil Diamond récupéré après un concert comme la prunelle de ses yeux et qu’il peut posséder jusqu’à 20 tatouages dédiés à One Direction, sur un seul bras.

Comme les hordes enragées collées aux basques de Bieber et Gaga, les fans de Slipknot sont eux aussi capables de démonstrations publiques d’affection aux limites du soutenable (cf. le clip de « Duality », que vous pouvez voir ci-dessous). Au cours de ses 19 années de carrière, le groupe a à la fois été salué pour avoir sorti du gouffre des milliers d’adolescents à la dérive et accusé d’avoir été la principale inspiration de massacres lycéens, mais rassurez-vous : pour chaque maniaque qui entrera par effraction dans le dressing de Lady Gaga afin de carresser ses tenues de scène, des milliers et des milliers d’autres se contenteront simplement d’écouter « Born This Way » en essayant de se saoûler avec de la bière sans alcool. Méga-fan ou pas, chacun a sa place. L’important c’est de participer. Et, de la couverture du dernier Relvolver à la review 4 étoiles du Guardian, Slipknot ont prouvé qu’ils continuaient à intéresser tout un tas de gens très différents et qu’ils avaient dépassé depuis longtemps le stade de « musique embarrassante pour boutonneux ».

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Slipknot s’est tranquillement fait une place dans la pop culture, malgré leurs tentatives outrées pour être considérés comme l’antithèse de tout ce qui pouvait être rattaché aux termes « pop » et « culture ». De toute évidence, il y a quelque chose chez ces clowns de l’Iowa qui fait que les gens les respectent plus que n’importe quel autre groupe issu de la vague nü-metal. Tout le monde a zappé Korn, Linkin Park et System of a truc, mais Slipknot a tenu bon. Et ce, aussi bien dans la mémoire musicale collective que dans les charts. OK, nous vivons dans un monde où Hybrid Theory de Linkin Park est le debut album le plus vendu du 21ème siècle et où le metal remplit des stades et s’invite régulièrement dans les charts. Mais ça n’explique pas pour autant pourquoi un groupe d’adultes sapés comme s’ils bossaient pour le train-fantôme de la Fistinière sont sur le point d’atteindre pour la deuxième fois de leur carrière le sommet du Billboard. Pourquoi Slipknot a réussi là où tous les autres ont échoué ? Pourquoi sont-ils les seuls à avoir survécus à l’avènement du jean slim ?

Quand j’ai écouté Slipknot pour la première fois, j’ai immédiatement accroché. J’ai adoré ce groupe parce qu’ils repoussaient les limites de l’acceptable et que, comme n’importe quel ado en colère, je voulais faire chier mes parents au maximum. Mais les années ont passé et j’ai grandi. Et je considère toujours Iowa comme un de mes disques préférés de tous les temps. Derrière ces putain de masques débiles se cachait le discours le plus honnête qui soit – des choses dans lesquelles tout le monde pouvait se retrouver, parce que TOUT LE MONDE a, à un moment ou un autre, pensé que « gens = merde » [People = Shit, motto du groupe et titre d’un de leurs morceaux] et que la meilleure façon de supporter cet enfer était d’écouter des morceaux qui disaient exactement ça et dont vous pouviez marmonner les paroles dans le col de sa veste ad lib, debout dans le métro le lundi matin, coincé entre un gros type nauséabond, un touriste à la braguette ouverte et une vieille carne vous inspectant des pieds à la tête.

L’esthétique de Slipknot est leur « image de marque ». Un peu de maquillage et quelques déguisements peuvent rapidement faire de vous un groupe culte : Insane Clown Posse, GWAR, Lordi et Nekrogoblikon en sont les parfaits exemples. Mais aucun de ces groupes n’a jamais pénétré le mainstream à un niveau international. ICP ont beau avoir leur propre réseau social et GWAR leur passage chez Jimmy Fallon, Slipknot ont, eux, ont réussi à rester culturellement pertinents et unanimement salués par la critique depuis bientôt deux décennies. On est bien au delà du simple gimmick. Depuis la sortie de leur album éponyme en 1999, Slipknot ont été nominés pour 7 Grammys (et en ont gagné un), leur quatre albums sont tous devenus au moins disque de platine et ils peuvent même se permettre d’apparaître aux Virgin Music Awards avec leur pote McLovin’ bourré et de demander à leur fans d’être sympa de ne pas ramener de restes humains à leurs concerts sans avoir à compromettre leur identité. Les gamins les adorent, le show biz les adore et les médias ne peuvent plus les ignorer. Contre toute attente, Slipknot sont aujourd’hui partout à leur place.

Une partie de la longévité et du succès de Slipknot tient dans le fait qu’ils sont à 100 % dans ce qu’ils font. Il fallait pas mal de conviction et de courage pour enfiler un masque en plastique et un bleu de travail en 1995 et ne l’enlever que pour dormir, tout ça pendant presque 20 ans. Ils l’ont avoué sincèrement au cours de leurs interviews, leurs déguisements ont toujours été un gimmick marketing (et leurs multiples nominations aux Grammy’s prouvent que la tactique a plutôt bien fonctionné). Mais il y a autre chose. Ce n’est pas comme si ces gars mettaient leurs masques et se transformaient tout à coup en machine à tubes au vocabulaire exclusivement composé des mots « merde », « souffrance » et « mort ». Slipknot s’apparente plutôt à une scène où vos parents enfileraient des masques de goblin en plein repas et continueraient tranquillement à vous parler de développement durable. Slipknot sont tellement à l’aise dans ce rôle qu’ils n’y ont apporté absolument aucun changement depuis leurs débuts. Ils n’ont de toute façon jamais eu à le faire.

Masques à part, le groupe a surtout su synthétiser à la perfection les angoisses et les obsessions propres à l’adolescence, et tant que le monde sera peuplé de ces êtres en sweat capuche, à la fois mous et énervés, Slipknot vendra toujours des disques. Slipknot parle aux gamins qui en chient dans des familles monoparentales, qui se font bolosser à l’école ou qui se sentent seuls. Le problème de ICP, GWAR ou Lordi, c’est qu’ils ne sont pas universels. Ils parlent uniquement aux rednecks américains, aux collégiens finlandais ou aux gens qui ont envie de rigoler cinq minutes en se faisant asperger de (faux) sang et de (faux) sperme. Slipknot cartonnent partout. Absolument partout. Parce qu’ils ont réussi à se placer sur la limite étroite qui sépare la fureur et l’absurdité d’un mec déguisé en clown qui tape dans un bidon et la passion et la dévotion d’un joueur de piano classique. Aucun groupe ne peut tenir 20 ans juste grâce à un gimmick. Les tendances évoluent. Les gens se blasent vite. Si Slipknot sont là depuis toutes ces années et qu’ils continuent à vendre des disques par palettes entières, c’est parce que, que vous le vouliez ou non, ils représentent une forme d’art crédible.

.5: The Gray Chapter est le cinquième album studio de Slipknot et le premier enregistré depuis la mort de leur bassiste Paul Gray en 2010 et le départ de leur batteur Joey Jordison l’année dernière – soit deux des principaux compositeurs du groupe. Et malgré leur absence, l’album se tient plutôt bien. Avec une estimation de 100 000 albums vendus pour sa première semaine, .5: The Gray Chapter est le premier album heavy à atteindre le top des ventes depuis Sempiternal de Bring Me The Horizon (qui avait atteint la 11ème place en 2013). Je n’ai pas vraiment envie de mêler Slipknot au bourbier nü-metal, mais le fait est que -comme je l’ai précisé plus haut- ils sont issus de ce mouvement, que le Guardian (décidément) a décrit comme « le dernier mouvement à guitares qui a été capable de créer un fossé intergénérationnel ». Qu’est ce que vous dites de ça les Finkielkraut de l’indie-rock ?

Dans les prochaines semaines, la place de n°1 des ventes d’album va se jouer entre 1989 de Taylor Swift et un disque composé par sept types qui montent sur scène munis de têtes de boucs morts, de pentagrammes et d’un énorme 666 en feu. Et, rien que pour pouvoir assister à ça, je suis contente d’être en vie, là, tout de suite, en 2014, aux États-Unis.


EDIT : Slipknot sont officiellement N°1 des charts US depuis 48 heures.


Emma est sur Twitter – @emmaggarland