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Soudan du Sud : Pourquoi l’arrivée de la saison sèche signifie le retour des combats

Les représentants de l’ONU et les observateurs avertissent depuis des mois que l’accalmie temporaire de la violence est due à la saison humide, qui rend impraticable de larges zones du territoire à la fois pour les convois humanitaires et pour les véhicules militaires.

« Novembre marque le début de la saison sèche » indique Brian Kelly, le porte-parole de la Mission de l’ONU au Soudan du Sud (UNMISS), à VICE News. « On craint que les choses ne s’embrasent à nouveau. »

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Cette semaine, des combats ont fait rage en périphérie et à l’intérieur même de la ville pétrolière de Bentiu, où un camp de l’ONU abrite environ 50 000 réfugiés Soudanais du Sud. La ville, comme d’autres, est repassée tellement souvent sous le contrôle d’une partie ou d’une autre depuis le début de la guerre en décembre que même les responsables et les experts ont quelques difficultés à suivre le cours des événements.

Mercredi, les rebelles ont affirmé avoir pris le contrôle de Bentiu. Vendredi, le gouvernement a déclaré contrôler la ville. L’ONU n’a pas pu confirmer les multiples témoignages indiquant la mort de civils, mais reconnaît qu’un enfant a été tué cette semaine à l’intérieur du camp.

Dans la ville toute proche de Rubkona, où des casques bleus ont secouru vendredi 30 civils, un porte-parole des rebelles a indiqué que leurs forces s’étaient lancées « dans un retrait stratégique ».

Dans un rapport fait vendredi à Bentiu, le docteur Erna Rijnierse a indiqué que son équipe de Médecins Sans Frontières (MSF) avait déjà pratiqué neuf actes chirurgicaux dans le camp de l’ONU sur des patients blessés au cours du dernier combat, dont une femme enceinte atteinte à la poitrine.

« Il est difficile de se déplacer sans encombre à l’intérieur du camp et même dans l’hôpital, des balles perdues volent dans tous les sens » écrit Rijnierse. « Une fusillade ou un pilonnage peut commencer à tout moment. »

L’association Médecins Sans Frontières – souvent la dernière ONG à quitter les zones de conflit – indique qu’elle a dû suspendre les cliniques mobiles à l’extérieur du camp.

Eric Reeves, professeur d’anglais au Smith College et expert du Soudan et Soudan du Sud a déclaré à VICE News : « Cela semble montrer que c’est une bataille à grande échelle. C’est une zone où la terre n’est pas encore complètement sèche – cela montre que ça démange certains commandants de relancer les combats. »

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Les rebelles forment une coalition éparse – aux alliances souvent floues – composée essentiellement d’éléments nuers (une ethnie locale) loyaux à l’ancien président du Soudan du Sud Riek Machar. Les forces de l’opposition se battent contre les troupes gouvernementales dirigées par le président Salva Kiir. Kiir est Dinka (une autre ethnie du Soudan du Sud), et le conflit s’est largement étendu dans le pays, prenant une dimension ethnique.

L’ONG International Crisis Group affirme que plus d’une douzaine de groupes armés – dont l’armée ougandaise qui se bat au nom de son gouvernement – sont impliqués dans ce conflit.

L’ONU estime à plus de 10 000 le nombre de morts et à 1,9 million le nombre de réfugiés depuis décembre. Les représentants de l’ONU affirment que le viol et les violences sexuelles, devenues endémiques, sont utilisés comme armes de guerre.

« Ça démange certains commandants de relancer les combats »

Le spectre d’une famine étendue plane également au-dessus du Soudan du Sud en crise. D’après l’organisation Oxfam, plus de 2 millions de personnes souffrent déjà de la faim.

Une série de pourparlers et de cessez-le-feu commencés en janvier se sont révélés être complètement inefficaces. Salva Kiir ne s’est pas montré à l’assemblée générale de l’ONU en septembre, une rencontre tenue à propos de ce conflit.

« Le conflit est à l’origine le fait de deux dirigeants politiques, mais à mesure que les mois ont passé, malheureusement, cela s’est transformé en conflit ethnique sur le terrain, » a déclaré Ellen Margrethe Løj, directrice de l’UNMISS, aux journalistes au cours d’une conférence en septembre. « Donc même si les deux dirigeants politiques signent un accord, beaucoup de travail de réconciliation devra se faire sur le terrain. » 

Les États-Unis et l’Union Européenne ont pris des sanctions contre les dirigeants militaires de tous les bords, mais jusqu’ici le Conseil de sécurité n’a fait qu’envisager une telle mesure. Un embargo exhaustif sur les armes de l’ONU a également été ajourné. Les États-Unis et l’Union européenne ont pris des sanctions contre les dirigeants militaires de tous les bords, mais jusqu’ici le Conseil de sécurité n’a fait qu’envisager une telle mesure. Un embargo exhaustif sur les armes a également été ajourné par l’ONU.

Dans une déclaration cette semaine, le Département d’État américain a affirmé être « déterminé à tenir pour responsable ceux qui choisissent la violence, et à sanctionner ceux qui font obstacle à la paix. »

Jeudi, l’International Crisis Group a publié un rapport pessimiste sur le conflit, dans lequel on peut lire que les factions belligérantes « se préparent à mener d’importantes offensives alors que les pluies saisonnières se dissipent. »

« Les jusqu’au-boutistes du gouvernement et du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLA) se retranchent sur leurs positions » poursuit l’International Crisis Group. « De puissants généraux à la fois de l’Armée populaire de libération du Soudan et du SPLA ont exprimé leurs intentions de continuer à se battre, même si les dirigeants politiques signent un accord. »

Alors que cela fera bientôt un an que le conflit a débuté, une des questions qui revient est de savoir comment les forces rebelles – armées à l’origine de leurs seules prises de combat – ont été capables de se procurer des stocks d’armes et de munitions. Reeves est persuadé que la réponse peut être trouvée au nord, au Soudan, où le gouvernement de Khartoum est toujours disposé à semer le chaos dans un territoire anciennement sous sa coupe.

Le gouvernement soudanais a déjà été impliqué dans des largages aériens de fusils d’assaut à des rebelles actifs dans l’Unity State (État dans le Nord du Soudan du Sud) en août 2012. Reeves pense que Khartoum ne fournit pas seulement des armes, mais aussi des renseignements militaires sophistiqués aux rebelles, une affirmation confirmée à VICE News par d’autres experts comme étant plausible.

En septembre, Reeves a rendu public  ce qu’il présente comme le compte-rendu d’une réunion tenue le 31 août par de haut-fonctionnaires soudanais. Ces derniers y discutent de la meilleure manière d’apporter de l’aide à Machar, l’ancien vice-président soudanais du Sud. Des politiques soudanais en fonction et à la retraite ont confirmé la véracité de ce document à d’autres médias.

« Le Soudan a toujours tenté d’attiser des guerres en essayant de monter des Soudanais du Sud contre d’autres Soudanais du Sud », explique Reeves. « Pendant la guerre avec le Nord, ils étaient très forts pour monter les Dinkas contre les Nuers. Ici, Khartoum observe la situation et assiste à l’autodestruction du SPLA. »

Le Soudan nourrit depuis longtemps l’idée d’annexer cinq régions frontalières disputées, dont le sort n’a jamais été fixé après le vote d’indépendance du Sud en 2011. Un Soudan du Sud divisé faciliterait ce projet.

« Il est très clair que chacun des deux camps possède beaucoup d’armes. »

Le gouvernement de Djouba n’a cessé de dépenser des revenus pétroliers sur le déclin dans des commandes d’armes plutôt que dans une aide humanitaire et des services sociaux. Un rapport de Bloomberg cite un diplomate occidental, dont le nom n’est pas mentionné,qui estime que le Soudan du Sud a aujourd’hui dépensé au moins un milliard de dollars en armes et systèmes de transport.

« Il est clair que chacun des deux camps possède beaucoup d’armes » a déclaré Løj au briefing.

L’UNMISS est pendant ce temps chargée de la prise en charge des quelque 100 000 réfugiés – la mission n’a pas été créée pour ce type de travail. Bien que leur mandat les autorise à intervenir dans un combat si des civils sont en danger, les casques bleus n’en sont pour le moment jamais arrivés là.

Kiir a exprimé sont mécontentement vis-à-vis du rôle de l’UNMISS, disant que cette mission devrait se recentrer sur l’objectif d’édification de l’État qu’elle s’était fixée en 2011. 

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